Surveiller ou lâcher la bride ? le dilemme des parents de la génération numérique

Anne GaignaireÇa y est, c’est l’âge : ma fille, 10 ans, veut un compte sur Facebook. Comme plusieurs de ses amies, qui en ont déjà un depuis longtemps. Même si l’âge légal est de 13 ans... La pression est forte. La tentation est grande d’accepter à condition que « tu m’acceptes comme amie et que je vérifie tout ce que tu postes et ce que tu reçois »... Comme cette maman qui surveille les réseaux sociaux de ses enfants à partir de son téléphone cellulaire.

Je l’avais fait quand son frère, de trois ans son aîné, avait ouvert son compte. Ça m’avait permis de voir des conversations déplacées de plus grands que lui qui le taquinaient un peu... J’étais contente d’avoir vu ça et d’avoir pu le prévenir : ne pas accepter l’invitation de gens que tu ne connais pas, refuser d’entrer dans toute discussion inappropriée, intimidante ou contenant des propos violents, me parler de tout ce qu’il verrait de suspect, etc. Mais quelques temps plus tard voyant qu’il avait bien pris ses marques sur les réseaux, adopté les bons réflexes, j’avais baissé ma vigilance.

Depuis, rejoint par ses parents mais aussi ses grands-parents, il a bien vite délaissé Facebook pour se réfugier sur des plateformes dont j’ignorais l’existence jusqu’alors. Si je n’exerce plus une surveillance sur ses « amis » ni ses échanges, les discussions sur les réseaux sociaux sont fréquentes à la maison. Je ne manque jamais l’occasion de relayer les informations de l’actualité sur l’intimidation sur les réseaux, les commentaires intolérables voire illégaux au bas des posts, les « sextos », la diffusion de fausses nouvelles... Tout y passe et on en parle librement en famille.

Bien sûr, la surveillance a ses avantages et, dans le cas où l’enfant fait ses premiers pas sur les réseaux, où je le sais naïf ou vulnérable, elle est même incontournable. Mais ai-je le temps de tout surveiller ? De toute façon, j’ai mes enfants en garde partagée. Pendant une semaine, même si je sais que leur père est vigilant, ils échappent à mon contrôle. Ensuite, ai-je vraiment envie de me transformer en espionne 24h sur 24 ? Pas sûre ...

Confiance et vigilance

Une fois les débuts encadrés pour mon grand, j’ai préféré jouer la carte de la confiance et de la communication. De l’autonomisation aussi. Je sais que cette approche comporte des risques. Je peux bien sûr passer à côté de choses importantes. Je vis avec... comme dans le reste de la vie. Comme quand il part chez son ami en vélo. Je lui ai appris les règles de sécurité, je lui redonne les conseils, je connais son trajet, il m’appelle quand il arrive. Et pourtant, le risque existe bel et bien. 

Tout le reste de l’éducation transmise par son père et moi-même - l’encadrement qu’on lui offre, les valeurs qu’on lui inculque -, sa personnalité, son environnement, tout influe sur son comportement face au numérique. Le fait que je sois présente, que j’ai une bonne communication avec mon fils, que je le sache prudent explique que j’ai pu lâcher un peu la bride.

Mais cela vient avec des impératifs : ça ne fonctionne que si je suis disponible, capable de discuter avec lui en tout temps, attentive à tout changement de comportement, aux bribes de conversations entendues par hasard... Espionne, non. Vigilante et à l’écoute, oui.

Ça m’impose aussi d’avoir conscience des enjeux du numérique et de connaître les bonnes pratiques. Les parents doivent développer encore une nouvelle compétence : celle de la littératie numérique pour pouvoir guider leurs enfants. Le but ultime : qu’ils assument de plus en plus de responsabilités pour pouvoir être en mesure d’assurer sa propre sécurité et son propre bien-être en ligne.

De ma modeste expérience, c’est une solution gagnante. Plusieurs fois, dans des contextes très différents, mon fils a été confronté aux défis du numérique et des réseaux sociaux : publicités douteuses ou propos suspects de YouTubers, ami qui affiche ses idées suicidaires sur les réseaux sociaux, information fausse, copine dépressive... Dans toutes ces situations, il a eu le bon réflexe : venir me parler. Même quand ça le gênait, même quand il savait que je n’allais pas dire ce qu’il voulait - « Non, tu ne participes pas à ce jeu-concours de ton YouTuber préféré qui demande un numéro de carte de crédit et de téléphone pour gagner un téléphone intelligent ! ».

C’est là que j’ai su que j’avais fait le bon choix. Celui de la communication et de la confiance. Mais ce choix est vrai pour cet enfant-là, à ce moment-là de sa vie. Il ne l’est pas forcément pour un autre enfant ou à un autre âge.

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