Travailler pour gagner sa vie

Étonnamment, peu de cyberentreprises essaient vraiment de faire de l’argent. Bien sûr, à quelques exceptions près (comme Wikipédia), les bénéfices font certainement partie du plan d’activités, autrement il n’existerait pas tout ce capital de risque, mais, en général, l’approche consiste d’abord à trouver un bon produit ou service et à chercher ensuite à rendre l’entreprise rentable après avoir trouvé une clientèle stable. Les grandes entreprises profitables comme Google, YouTube et Facebook ont toutes commencé leurs activités à perte. Cette tendance se poursuit encore aujourd’hui : il est déjà difficile d’imaginer Internet sans Twitter, mais jusqu’à présent ce service ne rapporte pas beaucoup à ses créateurs (quoique ces derniers doivent assurément chercher des façons de le faire).

De nombreuses raisons expliquent la situation. Les utilisateurs s’attendent généralement à ce que les services Internet soient gratuits, mais il y a lieu de se demander d’où vient cette attitude. Après tout, les premiers services de type Internet comme CompuServe et The Source étaient réputés pour leurs frais élevés, et peu nombreux sont ceux qui refusent de payer pour leur connexion Internet. Pourquoi donc pensons-nous qu’Internet devrait être gratuit ? La qualité graphique du Web moderne pourrait y être pour quelque chose. Les premiers services offerts étaient surtout textuels. Nous nous attendons à payer les livres, les magazines et les journaux, mais le Web graphique qui a évolué dans les années 1990 ressemblait plutôt à la télévision, un autre médium payant mais dont nous ne payons (généralement) pas le contenu. (Bien sûr, les premières entreprises à offrir des services Internet ne pouvaient probablement pas se permettre d’imposer des frais étant donné la grande concurrence et l’absence d’antécédents. Si Google avait imposé des frais aux utilisateurs pour faire des recherches, Yahoo ferait probablement la loi aujourd’hui.)

Par conséquent, alors que les cybercommerces tentent de trouver des façons de rentabiliser leur produit, ils finissent souvent par le faire d’une façon quelque peu désorganisée. Après tout, rien ne garantit le succès d’une approche donnée. Pendant que la dette s’accumule, ils recherchent toutes les sources possibles de recettes. Deux réalités importantes peuvent en découler : vous pourriez ne pas savoir de quelle façon un site ou un service Web fait de l’argent à vos dépens, et il est fort possible, en raison de ces nombreuses sources de revenus différentes, que l’un de ces sites compromette votre sécurité ou la confidentialité de vos renseignements personnels.

Dans cette optique, les principales façons permettant aux sites et aux services Web de faire de l’argent, et certaines des répercussions de chacune de ces méthodes sur la protection des renseignements personnels et la sécurité, sont présentées ci-après. Il faut se rappeler que la plupart des sites utilisent plus d’une méthode.

Ventes ou paiement à l’acte – Ce modèle ressemble le plus à celui des entreprises traditionnelles hors ligne : une personne achète un produit ou un service et le paie directement. À eux seuls, les Canadiens ont dépensé 15 milliards de dollars en ligne en 2010, et certaines des cyberentreprises les plus connues, comme Amazon (qui vendait à l’origine des livres et qui vend maintenant de tout) et Zappos (chaussures), empochent ainsi des bénéfices.

Le paiement à l’acte est une façon directe et fiable d’acheter un produit ou un service. L’honnêteté du marchand en est le principal risque. Avant de donner votre numéro de carte de crédit à un service Web, vous devriez toujours vous assurer a) que vous achetez auprès d’un marchand établi ayant une bonne réputation, b) que vous faites des achats à partir de son site Web actuel (des personnes malveillantes ont créé de faux sites très convaincants présentant des adresses Web presque identiques) et c) que vous visitez un site sécuritaire (l’adresse Web devrait commencer par « https » et pas seulement par « http »). Certains sites facilitant l’achat d’articles en ligne, les enfants et les adolescents ne devraient faire aucun achat en ligne à moins de pouvoir établir un compte de paiement à l’avance, limitant ainsi le total qu’ils peuvent dépenser. Les entreprises tenteront de faire de l’argent à vos dépens par l’exploration de données (voir ci-après). Examinez toujours le contrat d’utilisation et la politique sur la protection des renseignements personnels afin de savoir ce que le site fera de vos renseignements personnels, et ne donnez pas plus de renseignements personnels qu’il n’en faut.

Abonnement – Ce modèle permet de payer des frais réguliers (habituellement au mois ou à l’année) afin d’obtenir un accès continu à un site Web. Certains journaux, comme le Wall Street Journal, utilisent ce modèle, tout comme le font de nombreux sites de jeux en ligne comme World of Warcraft.

Certaines des préoccupations concernant le paiement à l’acte s’appliquent également aux abonnements. Comme toujours, soyez prudent lorsque vous donnez votre numéro de carte de crédit. Lors de votre abonnement, vous devez fournir un grand nombre de renseignements personnels, mais ils ne sont généralement pas tous nécessaires. Les renseignements qu’il est essentiel de fournir présentent souvent un astérisque ou des caractères gras. Il est également important de lire le contrat d’utilisation afin de vous assurer que seuls des frais d’abonnement vous seront imposés. Certains sites imposent des frais supplémentaires pour différentes options. Vous pourriez donc avoir une mauvaise surprise à la fin du mois.

Sites utilisant le modèle « freemium » – Ces sites offrent gratuitement leur contenu de base, mais vous imposent des frais pour accéder à tout autre contenu. Parfois, seul un abonnement vous permet d’accéder à l’ensemble du contenu. Par exemple, au Club Penguin, vous pouvez jouer gratuitement au jeu de base, mais si vous désirez décorer votre propre igloo, vous devez vous abonner. Dans d’autres cas, le contenu ajouté est payé à l’acte. Par exemple, certains sites de jeux en ligne gratuits imposent des frais pour obtenir des armes ou des articles spéciaux. Sur ces sites, la pression sociale et la concurrence occupent une très grande place, et il est alors difficile de résister à la tentation de payer pour ce qui devait être une expérience gratuite. De nombreux jeux comme Farmville vous permettent d’acheter des articles que vous gagneriez autrement en jouant régulièrement. L’aspect « social » et compétitif de ces jeux pousse les joueurs à dépenser de l’argent pour faire comme leurs amis.

Dans tous les cas, il est important de lire le contrat d’utilisation et de savoir exactement ce qui est gratuit et ce qui ne l’est pas avant d’aller trop loin. Les parents qui laissent leurs enfants jouer à des jeux de type « freemium » devraient s’assurer que ces derniers ne peuvent faire aucun achat. Récemment, un enfant a pu dépenser près de 100 $ pour un jeu de type « freemium » pour iPad : le dispositif avait conservé le numéro de la carte de crédit de son père.

Intermédiation – Les sites qui regroupent les acheteurs et les vendeurs, comme eBay et Expedia, font de l’argent en prenant un pourcentage des transactions. Cependant, ils ne répondent pas toujours des vendeurs vers lesquels ils vous dirigent. Il est donc important de se renseigner sur le vendeur même si vous faites confiance au site par l’intermédiaire duquel vous achetez. De nombreux sites comme eBay offrent un système de cotation vous permettant d’évaluer la fiabilité d’une personne ou d’une entreprise auprès de laquelle vous achetez (ou à qui vous vendez). Vous pouvez également faire une recherche à partir du nom d’une personne afin de savoir si des plaintes ont été déposées contre elle ou si elle a été mêlée à des conflits. Il faut se rappeler que les sites imposant des frais d’intermédiation sont parfois payés pour recommander un vendeur ou un acheteur particulier. Vous devriez donc vous assurer que la transaction recommandée est la meilleure.

Publicité – Ce modèle est probablement le plus commun sur le Web. La plupart des sites qui offrent leur contenu gratuitement font de l’argent grâce à la publicité, de la même façon que les annonces publicitaires financent les émissions télévisées. La majeure partie des publicités présentées en ligne, comme les bannières publicitaires, sont agaçantes mais relativement faciles à ignorer. Cependant, certains types de logiciels malveillants (des programmes qui attaqueront votre ordinateur) prétendent être des fenêtres publicitaires. La plupart des utilisateurs ferment ces fenêtres sans même y penser. Cependant, en cliquant sur ce que vous croyez être le bouton rouge « Fermer », vous pourriez en fait vous diriger vers un site Web dangereux ou donner la permission à un programme malveillant de s’installer dans votre ordinateur. Si vous voulez fermer une fenêtre publicitaire, laissez le curseur survoler le bouton rouge « Fermer » pendant quelques instants avant de cliquer. Si le curseur ressemble à une main plutôt qu’à une flèche, ne cliquez pas. Fermez carrément l’onglet pour vous en débarrasser. (Aussi, dans une fenêtre publicitaire, ne cliquez jamais ailleurs que sur le bouton rouge « Fermer », même si une autre case indique « Fermer » ou affiche un message similaire.) Même les annonces légitimes peuvent utiliser la tromperie. De nombreux sites étant payés chaque fois qu’un utilisateur clique sur une publicité, ils utilisent différents trucs pour amener les utilisateurs à cliquer sur les publicités qui y sont présentées, notamment en fournissant de manière trompeuse les liens publicitaires en question. Le typosquattage en est le pire exemple. Les annonceurs achètent des adresses Web qui ressemblent à d’autres adresses populaires en espérant que les utilisateurs taperont leurs noms par erreur. Par exemple, si vous écrivez « Wikpedia » plutôt que « Wikipedia », vous pourriez vous retrouver sur un site annonçant toutes sortes de produits ou de services. Souvent, les sites de typosquattage contiennent du matériel ou des logiciels pornographiques. Pour éviter le typosquattage, il est préférable de créer des marques-pages pour les sites préférés de vos enfants afin qu’ils n’aient pas à taper les adresses Web. Dans certains navigateurs, la barre d’adresse peut être enlevée. Bien qu’il ne soit pas possible de le faire dans Internet Explorer 7, Firefox permet de le faire en cliquant sur l’onglet « Affichage » dans la barre de menus, puis en sélectionnant « Barre d’outils » et en décochant la barre de navigation. Toutefois, cette fonction peut facilement être désactivée. Elle est donc probablement efficace seulement chez les jeunes enfants.

Aussi, les publicités n’offrent pas toujours le même contenu que les sites sur lesquels elles apparaissent. Par exemple, un site sur les jeux informatisés visant les jeunes pourrait présenter des publicités de jeux cotés M (« mature »). Certains problèmes peuvent être plus graves. Par exemple, en 2007, le Washington Post a repéré des publicités sexuellement explicites sur le site de Neopets, un site s’adressant aux jeunes enfants. Bien qu’il s’agisse d’un exemple extrême et inhabituel, il n’est pas rare que les sites Web donnent en sous-traitance des publicités à des tierces parties, lesquelles ne sont peut-être pas aussi responsables que le site lui-même. Pour cette raison, tout ordinateur utilisé par un enfant ou un adolescent devrait être muni d’un logiciel antipublicité comme AdBlock.

La plupart des publicités en ligne s’adressant aux enfants ne peuvent cependant pas être bloquées puisqu’elles sont intégrées au site : de nombreuses entreprises qui vendent des produits aux enfants, comme des grignotines et des céréales pour le déjeuner, exploitent des sites Web offrant des jeux et des divertissements et même des mondes virtuels entiers aux visiteurs. Aujourd’hui, les marchands les utilisent de plus en plus parallèlement aux publicités traditionnelles. Ils présentent des annonces publicitaires télévisées pour attirer les enfants vers leurs sites où ils joueront pendant une heure ou plus et où ils seront constamment exposés aux logos et aux personnages de l’entreprise. Il est très difficile d’empêcher les enfants de voir ce type de publicités, même si certains sites peuvent être bloqués lorsque le temps qu’ils y passent devient un problème. La meilleure approche est donc d’éduquer les enfants en bas âge en leur faisant comprendre le but de la publicité et en leur montrant le fonctionnement des personnages de marque et de leurs environnements. Les enseignants peuvent le faire par l’intermédiaire de leçons comme « Regard sur la publicité concernant les aliments » (1re à 6e année) et « Vous avez trouvé la combine ! » (5e année à 1re secondaire) offertes par HabiloMédias. Les enfants, et même les adolescents, ont souvent de la difficulté à faire la distinction entre la programmation et la publicité, et les sites Web qui affichent leur marque en profitent en brouillant cette distinction : ces ressources aident les enfants à reconnaître ces sites pour ce qu’ils sont, soit des publicités continues et interactives.

Exploration de données – Bien sûr, la publicité est des plus efficaces si elle vise le bon public. Pour cette raison, il existe un important marché de renseignements personnels en ligne, et pas seulement de données démographiques, comme les noms, le sexe et l’âge des utilisateurs, mais également de données plus subtiles comme les goûts et les intérêts. Si vous faites partie d’un marché désirable (les jeunes, parce que leurs responsabilités sont moindres, que leur pouvoir de dépenses directes et indirectes est à la hausse et que leurs préférences de marque ne sont pas encore établies, font partie de l’un des marchés les plus recherchés), les entreprises sont prêtes à payer cher pour connaître vos goûts. Pour les sites qui livrent leur contenu gratuitement, il s’agit là d’une autre façon de faire de l’argent. Par exemple, le site de Neopets offre fréquemment aux utilisateurs des « Neopoints » (la monnaie virtuelle du site) afin de les remercier d’avoir répondu à des sondages concernant des produits comme des tablettes de chocolat et des céréales pour le déjeuner. Cette méthode très efficace et lucrative de recueillir des renseignements à caractère commercial sur les jeunes permet ensuite à des sites comme Neopets de les vendre à des annonceurs et à des fabricants. Les enfants doivent donc apprendre à gérer leurs renseignements personnels dès leur plus jeune âge, avant que ces sites ne les habituent à fournir des renseignements personnels. Aussi, l’exploration de données permet aux sites qui utilisent d’autres modèles de production de recettes de faire des gains supplémentaires. Il est important d’examiner les conditions de service de tout site Web auquel vous fournissez des renseignements personnels ou à partir duquel vous achetez un produit (les sites peuvent faire le suivi de vos achats et vendre votre historique) afin de vous assurer qu’il ne vend pas vos données à une tierce partie.

Dans certains cas, l’exploration de données se fait par mégarde, une question préoccupante pour le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada (CPVP) relativement à Facebook. Bien que les utilisateurs puissent modifier les paramètres de confidentialité du site pour protéger leurs renseignements personnels, ces paramètres n’ont aucun effet sur la capacité d’applications tierces d’accéder à ces données. Le CPVP a estimé que Facebook n’exerçait pas un contrôle suffisant sur les développeurs de ces applications et ne pouvait donc pas garantir la confidentialité des renseignements personnels des utilisateurs (certaines applications répandent des logiciels malveillants, comme des virus). Un récent reportage a démontré les conséquences d’une telle situation : la photo du profil d’une femme récemment décédée a été utilisée dans un témoignage de perte de poids pour l’une des applications qu’elle avait installées avant sa mort. La leçon à retenir ? Lorsque vous visitez un site, il n’y a pas que vous et l’entreprise exploitant le site : il peut s’y trouver un tiers développeur pour un site comme Facebook ou Twitter ou un tiers vendeur sur Amazon ou eBay.

Connaître son latin

Lorsque vous naviguez sur le Web, deux phrases latines sont à retenir : caveat emptor et cui bono. La phrase caveat emptor signifie « que l’acheteur prenne garde » et, bien que ce principe en matière de protection des consommateurs ne soit plus aussi essentiel dans la plupart des pays, il est encore très pertinent sur le Web. Chaque fois que vous prévoyez donner de l’argent ou fournir des renseignements personnels à une autre personne, vous devez savoir à qui ils profitent et ce qui en sera fait, et vous assurer que la transaction que vous croyez avoir faite sera honorée. La phrase cui bono, pour sa part, signifie « Qui en profite ? » Il est bon de se poser la question lorsque vous utilisez un site ou un service prétendument gratuit. Presque tous les acteurs du Web tentent de faire de l’argent d’une façon ou d’une autre. S’ils ne sont pas honnêtes quant à leur façon de faire, ils s’y prennent alors probablement d’une façon à laquelle vous vous opposeriez.