Experts ou amateurs? Jauger les compétences en littératie numérique des jeunes Canadiens

Matthew Johnson

Cela fait bientôt 15 ans que Mark Prensky a inventé le terme « enfants du numérique » pour décrire les jeunes ayant grandi avec Internet et les médias numériques. En fait, les enfants nés l’année de la publication de son livre sont maintenant au secondaire. Si, pour beaucoup de gens, l’image des jeunes naviguant comme des poissons dans l’eau sur les plateformes numériques persiste – ainsi que celle des adultes, les parents particulièrement, considérés (souvent par eux-mêmes) comme complètement dépassés –, il reste à savoir si cette perception correspond vraiment à la réalité. Les jeunes Canadiens ont-ils réellement des connaissances numériques de base ? Et s’ils ne sont pas des « enfants du numérique » qui acquièrent leurs compétences sans effort par eux-mêmes ou grâce à leurs pairs, les élèves apprennent-ils ce qu’ils ont besoin de savoir de leurs parents ou de leurs professeurs ?

C’est la question à laquelle HabiloMédias a tenté de répondre dans le rapport Experts ou amateurs? Jauger les compétences en littératie numérique des jeunes Canadiens en utilisant les données tirées de notre enquête Jeunes Canadiens dans un monde branché, Phase III, où nous avons interrogé plus de 5 000 élèves de partout au Canada.  Le rapport examine les compétences des élèves sous l’angle de la littératie numérique telle que définie par HabiloMédias, qui illustre les nombreux éléments étroitement liés que  le terme littératie numérique englobe.

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Utiliser est habituellement l’élément de la littératie numérique le plus apparent et l’aspect par lequel les jeunes sont le plus susceptibles de faire bonne impression. Pratiquement tous les élèves utilisent la technologie numérique à l’extérieur de l’école et participent à un large éventail d’activités par l’entremise de plateformes numériques comme les réseaux sociaux, les sites de vidéotransmission en direct et les jeux en ligne. Le tableau se complique toutefois quand on y regarde de plus près. Les moteurs de recherche représentent un bon exemple : alors que Google se retrouve parmi les plus populaires auprès des élèves, un peu plus du tiers seulement utilisent des outils de recherche avancée et seulement la moitié parcourent complètement la première page des résultats du moteur de recherche avant de cliquer sur l’un d’eux.

Les élèves s’en remettent aussi à Wikipédia comme source d’information – malgré que beaucoup se soient fait dire par leurs professeurs de ne pas utiliser cette référence en ligne. Même si la popularité de Wikipédia auprès des élèves n’est pas nécessairement matière à s’inquiéter (et qu’elle peut être en partie attribuable au classement élevé des articles de Wikipédia apparaissant dans les résultats de recherche avec Google), le fait que plusieurs élèves interrogés dans nos groupes de discussion de 2012 l’aient décrit comme leur première source d’information suggère que les jeunes Canadiens adoptent une approche « au seuil de satisfaction » à l’égard de nombreuses tâches numériques, apprenant – et mettant en pratique – seulement les compétences qu’ils jugent essentielles selon le contexte.

L’utilisation que font les élèves des réseaux sociaux prouve encore davantage ce concept. Alors qu’ils démontrent des habiletés assez sophistiquées dans leur façon d’utiliser les caractéristiques d’identification et de blocage ainsi que les paramètres de confidentialité pour gérer l’information les concernant vue par leurs amis, leur famille et la communauté – chose d’une pertinence évidente aux yeux des jeunes –, ils surestiment généralement à quel point  les politiques de protection de la vie privée de ces sites limitent comment leurs renseignements personnels peuvent être utilisés par les compagnies propriétaires de ces sites. De la même manière, un quart des élèves se disent confiants de pouvoir accéder à des sites web bloqués par les programmes de filtrage à l’école. Les élèves plus âgés sont plus portés à l’avouer que les plus jeunes et sont aussi plus susceptibles d’affirmer qu’ils ont eu de la difficulté à trouver de l’information en raison de ces filtres. Dans les deux cas, les compétences « d’utilisation » des élèves sont plus développées si elles sont considérées comme immédiatement pertinentes.

Lorsqu’il s’agit de la capacité des élèves à comprendre les médias numériques, on peut constater qu’ils sont nombreux à utiliser une stratégie « au seuil de satisfaction », non seulement en termes de type de compétences apprises mais aussi quant au moment où ils les mettent en pratique. Que les élèves tentent ou non d’authentifier l’information en ligne dépend grandement de la raison pourquoi ils en ont besoin : presque tous les élèves disent faire un effort pour vérifier l’information cherchée pour l’école, près des trois quarts vérifient l’information fournie à un ami ou à un membre de la famille et les deux tiers le font quand ils cherchent de l’information pour eux-mêmes. On peut donc supposer que les jeunes sont plus susceptibles de mettre leurs compétences numériques en pratique quand ils voient un risque de conséquences immédiates : s’ils seront notés, par exemple, ou quand des amis et des membres de leur famille comptent sur eux. Le contexte est aussi un élément important : les jeunes sont moins portés à aller vérifier quelque chose appris par les médias sociaux. Le nombre d’élèves qui vérifient l’information dans tous les contextes à l’exception de l’école est plus élevé chez les élèves plus âgés, ce qui pourrait s’expliquer par un plus grand scepticisme de leur part ou un contact accru avec l’enseignement de la littératie numérique. Si le nombre d’élèves qui vérifient l’information recherchée pour l’école est presque constant à tous les niveaux scolaires, suggérant ainsi que même les plus jeunes sont conscients du besoin de vérifier l’information en ligne, seulement ceux  des niveaux plus avancés mettent ces compétences en pratique dans des contextes autres que l’école.

Lorsque les élèves tentent de vérifier l’information trouvée en ligne, réussissent-ils à le faire efficacement ? En tout, 6 élèves sur 10 utilisent des stratégies d’authentification sur lesquelles on les a interrogés, la plus populaire étant celle visant à vérifier si d’autres sources donnent la même information – utilisée par sept sur dix élèves. On peut en déduire que cette stratégie, souvent appelée la « méthode du triangle » en raison de la validation de l’information auprès de trois sources différentes, est la plus souvent enseignée aux élèves. Étant donné leur forte utilisation de sources telles que Wikipédia et la fréquence à laquelle ils partagent des liens vers des informations et d’autres renseignements via les réseaux sociaux, il est évident que les élèves ont à la fois besoin d’améliorer leurs compétences d’authentification et de les utiliser plus souvent.

Comme pour les autres compétences en littératie numérique, les élèves créent des contenus numériques assez fréquemment : presque les trois quarts d’entre eux affichent des commentaires ou des photos sur leurs propres sites de réseautage social et un sur six le fait une fois par jour ou plus. Plus du tiers ont affiché une histoire ou une œuvre de leur cru, bien que seulement un sur cinq d’entre eux le fait au moins une fois par année. Seulement un tiers des élèves affichent des fichiers vidéo ou audio d’eux-mêmes, probablement parce que si, en théorie, n’importe qui peut afficher une vidéo sur YouTube et des sites similaires, il reste, en pratique, un nombre relativement peu important de créateurs de contenus ; pour les jeunes, la culture de YouTube en est principalement une de consommation de médias et non de création. D’autre part, il est probable qu’un nombre significatif de jeunes créent des contenus en utilisant Minecraft, le 7e site au classement et le 2e chez les garçons de la 4e à la 6e année, la création de contenus étant considérée comme une activité normale du jeu et récompensée au sein de la culture du jeu.

En plus d’évaluer les niveaux de littératie numérique chez les élèves, l’étude examine la question tout aussi importante à savoir comment ceux-ci font l’apprentissage de compétences numériques. Presque tous déclarent avoir appris autant de leurs parents que de leurs professeurs à trouver l’information en ligne. Quatre élèves sur cinq disent avoir appris à authentifier l’information trouvée et, dans ce cas, il est plus susceptible de dire que ce sont des professeurs qui leur ont montré comment faire. Lorsqu’il est question d’authentification, cela peut se traduire par des niveaux de confiance et de compétences plus bas chez les parents comparativement aux habiletés de recherche. Les élèves étaient plus susceptibles de dire que leurs parents leur avaient appris comment utiliser les paramètres de confidentialité sur les réseaux sociaux – une compétence pratique pouvant être considérée comme une préoccupation liée à la sécurité – tandis que les professeurs représentaient une source plus répandue pour apprendre comment les compagnies recueillent et utilisent les renseignements personnels, une préoccupation plus abstraite. Il n’y a pas de tendance évidente lorsqu’on compare les niveaux scolaires quant au nombre d’élèves ayant acquis des compétences numériques à l’école, ce qui suggère que ces compétences n’ont pas encore leur place dans le programme scolaire et que, lorsqu’elles sont enseignées, cela ne se produit qu’exceptionnellement et non dans le cadre plus large de la littératie numérique.

Dans l’ensemble, les filles sont plus susceptibles que les garçons d’avoir acquis des compétences numériques grâce à leurs professeurs. Cela peut s’expliquer par le fait que les filles accordent plus d’attention à leurs professeurs ou vont chercher auprès d’eux plus d’informations sur le sujet. Cette dernière raison est inquiétante car elle laisse encore une fois sous-entendre que les compétences numériques ne font toujours pas partie du contenu standard vu en classe et qu’elles ne sont accessibles qu’aux élèves assez intéressés et motivés pour s’en informer. Il est cependant vrai que les garçons sont généralement plus susceptibles d’avoir appris des compétences numériques à partir de sources en ligne, suggérant ainsi qu’ils les acquièrent plus tôt et de façon autonome et qu’ils se sentent par conséquent déjà bien outillés lorsque ces compétences sont abordées en classe.

Le rôle de la technologie en classe peut constituer un autre aspect affectant l’apprentissage des compétences numériques chez les élèves. Alors qu’un grand nombre d’élèves rapportent que leur école possède des technologies numériques axées sur l’enseignement, un bien plus petit nombre disent pouvoir utiliser leurs propres appareils numériques et moins d’un tiers déclarent que leurs professeurs n’ont jamais utilisé les médias sociaux pour les aider à apprendre (quoique ce pourcentage augmente jusqu’à 39 % chez les élèves de la 9e à la 11e année). Lorsque les élèves sont capables d’utiliser les appareils et les plateformes numériques auxquels ils sont le plus habitués, ils s’en servent principalement de la même façon que dans les activités de classe traditionnelles. C’est inquiétant parce qu’en intégrant la technologie d’une telle façon, les compétences numériques enseignées aux élèves peuvent ainsi sembler moins pertinentes en raison de leur manque de lien avec leur vie numérique à l’extérieur de l’école. C’est un aspect que les éducateurs doivent considérer, étant donné que notre évaluation des compétences numériques des élèves démontre que la pertinence s’avère primordiale pour déterminer quelles compétences sont acquises par les élèves et s’ils choisissent de les utiliser.

Les prochains rapports fondés sur les données de l’étude Jeunes Canadiens dans un monde branché examineront les habitudes, les activités et les attitudes des élèves relativement au contenu offensant et aux relations en ligne.

Cliquez ici pour lire le rapport complet : habilomedias.ca/jcmb.

Jeunes Canadiens dans un monde branché, Phase III : Experts ou amateurs? Jauger les compétences en littératie numérique des jeunes Canadiens a pu être réalisé grâce aux contributions financières de l’Autorité canadienne pour les enregistrements Internet, du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada, et de la Alberta Teachers’ Association.