Contenu raciste et sexiste en ligne

Matthew JohnsonLe sectarisme, sous ses diverses formes, est présent depuis longtemps, au moins depuis que les Grecques ont inventé le terme « barbare » pour signifier « toute personne qui ne fait pas partie de notre groupe » et probablement depuis encore plus longtemps. Il n’est donc pas surprenant que le racisme, le sexisme et les autres préjudices se soient frayé un chemin sur Internet. Le nouveau rapport de HabiloMédias intitulé Jeunes Canadiens dans un monde branché : Contenu raciste et sexiste en ligne examine la fréquence à laquelle les jeunes sont exposés aux préjudices, comment ils se sentent face à ceux-ci et comment ils y réagissent.

L’une des grandes différences entre cette étude-ci et notre dernière, en 2005, concerne les réseaux sociaux et les autres formes de contenu créé par les pairs qui représentent un grand nombre des sites les plus populaires parmi les jeunes (YouTube, le site numéro un dans l’ensemble, offre une combinaison de contenu professionnel et de contenu généré par les utilisateurs)[1]. Pour cette raison, plutôt que de demander aux élèves s’ils avaient visité des sites contenant du contenu haineux, comme nous l’avons fait en 2005, nous leur avons demandé s’ils avaient vu (et à quelle fréquence) du contenu sexiste ou raciste en ligne (question posée aux élèves de la 7e à la 11e année seulement). Le résultat peut être envisagé autant avec optimisme qu’inquiétude : un cinquième des élèves dit ne jamais avoir rencontré de contenu raciste ou sexiste en ligne, mais 4 élèves sur 10 disent en voir une fois par mois ou par semaine, et 1 élève sur 6 dit en voir tous les jours. Les élèves plus âgés sont plus susceptibles d’avoir vu du contenu raciste ou sexiste en ligne : seulement un élève sur cinq de la 7e année voit ce type de contenu une fois par semaine ou plus, comparativement à plus de la moitié des élèves de la 11e année[2].

Les garçons et les filles rencontrent du contenu raciste et sexiste à peu près au même rythme (les garçons sont légèrement plus susceptibles d’en voir une fois par jour ou par semaine, les filles sont plus susceptibles d’en voir une fois par mois ou par année, et les deux groupes sont tout aussi susceptibles de n’en avoir jamais vu). Cependant, alors que les garçons rencontrent ce type de contenu plus fréquemment, les filles semblent plus touchées par celui-ci : beaucoup plus de filles (57 % comparativement à 34 % des garçons) disent que les blagues racistes ou sexistes les blessent, et moins de filles (36 % par rapport à 52 % des garçons) signalent qu’elles et leurs amis se disent des choses racistes ou sexistes en ligne pour s’amuser. Les garçons, conformément à leurs attitudes à l’égard de la cyberintimidation[3], sont plus susceptibles de dire que les commentaires racistes ou sexistes en ligne ne veulent rien dire pour eux et leurs amis et qu’ils ne disent rien face à ce contenu parce que « la plupart du temps, les gens ne font que plaisanter ». Les garçons sont également plus susceptibles que les filles d’adopter des comportements d’intimidateur en ligne selon la race, la religion, l’ethnie ou l’orientation sexuelle ou de harceler sexuellement quelqu’un en ligne[4].

Ces différences pourraient expliquer en partie la conclusion tirée plus tôt voulant que les filles soient moins susceptibles que les garçons de considérer Internet comme un espace sécuritaire[5], et peuvent également avoir un lien avec les attaques fréquentes et souvent publiques envers les femmes en ligne. Certains cas peuvent retenir l’attention du public, comme les attaques visant la critique Anita Sarkeesian après avoir lancé une campagne en ligne pour financer une série de vidéos sur le sexisme dans les jeux vidéo[6], mais les femmes qui ne sont pas des personnalités publiques attirent également une certaine hostilité en ligne.

Les nombreux sites virtuels fréquentés par les jeunes (particulièrement les jeux à multiples joueurs) sont caractérisés par des propos agressifs et fréquemment racistes, misogynes et homophobes[7]. Une étude a conclu que de jouer au jeu Halo 3 avec la voix et le nom d’une femme générait trois fois plus de commentaires négatifs que de jouer avec la voix et le nom d’un homme ou sans voix et un nom neutre[8]. On a également observé la montée de contenu haineux en ligne ciblant particulièrement les femmes[9], et, comme d’autres formes de contenu haineux, sa rhétorique peut influencer la culture des espaces grand public[10]. Bien que la majeure partie du contenu misogyne ne soit pas lié à des groupes haineux traditionnels, ce contenu mise sur les mêmes « idéologies » haineuses comme la stigmatisation et la déshumanisation du groupe cible et l’auto-victimisation du groupe haineux[11], et attire les jeunes de façon similaire, particulièrement les garçons et les jeunes hommes, qui se sentent exclus de la société[12].

Lorsque les jeunes rencontrent du contenu généré par des groupes haineux, il s’agit souvent de sites « secrets » qui se disent des sources d’information ou de débat légitimes. Pour ce faire, ces sites utilisent autant de pièges qu’il est légitimement possible de le faire, utilisant des adresses Web .org, par exemple, ou optant pour un nom à consonance officielle. Lors d’une étude réalisée en 2003, les étudiants d’une classe de première année d’université ont dû évaluer de façon critique le site martinlutherking.org, un site « secret » créé par le groupe haineux Stormwatch : presque aucun d’entre eux n’a pu reconnaître que le site était biaisé ou encore déterminer le point de vue de l’auteur[13]. L’un des enseignants de notre étude a signalé une expérience similaire avec les élèves d’une école secondaire canadienne[14].

Les élèves semblent adopter différentes croyances contradictoires sur les préjudices que cause le contenu raciste et sexiste. Un très grand nombre d’élèves sont d’accord pour dire que « des gens disent des choses racistes et sexistes pour taquiner d’autres personnes », mais un nombre important d’élèves (52 %) estiment que « des gens disent des choses racistes et sexistes parce qu’ils sont insensibles et non parce qu’ils veulent blesser quelqu’un ». (Bien sûr, il est possible que ces deux énoncés soient véridiques dans différents cas.) Lorsqu’on leur a demandé comment ils croient que les gens devraient réagir au contenu sexiste ou raciste en ligne, 78 % disent qu’« il est important de dire quelque chose pour que les gens sachent que c’est mal », mais 45 % estiment que « c’est mal, mais ce n’est pas à moi de dire quelque chose ». Cette contradiction apparente peut partiellement s’expliquer par le fait que les élèves plus jeunes sont quelque peu plus susceptibles d’être d’accord avec le premier énoncé (82 % des élèves de la 7e année par rapport à 77 % des élèves de la 11e année) et beaucoup moins susceptibles d’être d’accord avec le deuxième énoncé (37 % des élèves de la 7e année par rapport à 50 % des élèves de la 11e année). La situation peut sembler contradictoire, puisque l’on pourrait s’attendre à ce que les adolescents se sentent plus aptes à dire quelque chose que les plus jeunes. Bien que les plus jeunes élèves passent leur temps dans des environnements en ligne principalement utilisés par leurs pairs, les élèves plus âgés passent plus de temps dans des environnements qu’ils partagent avec des jeunes plus âgés et des adultes, comme les jeux à multiples joueurs, ce qui pourrait en partie expliquer la situation. Il existe très peu de différence entre les sexes quant aux réponses des élèves relativement à ces énoncés, mais il existe de grandes différences relativement aux énoncés « Je ne dis rien parce que, la plupart du temps, les gens ne font que plaisanter » (62 % des garçons par rapport à 52 % des filles) et « Quand vous êtes témoin de quelque chose de raciste ou de sexiste en ligne, il est important d’en parler à un adulte » (42 % des garçons par rapport à 52 % des filles)[15].

Une importante majorité (76 %) d’élèves a appris à composer avec le contenu haineux, raciste ou sexiste en ligne auprès d’une source quelconque. Les parents et les enseignants sont les principales sources d’information (39 % chacun), les amis (21 %) et les sources hors ligne (17 %) arrivant juste derrière. Cependant, comme pour nos autres conclusions sur les compétences en littératie numérique, il existe des différences notables entre les sexes. Les filles sont beaucoup plus susceptibles d’avoir appris à le faire auprès de leurs parents (43 % par rapport à 34 % des garçons) et enseignants (44 % par rapport à 34 % des garçons), alors que les garçons sont plus susceptibles d’avoir appris à le faire auprès de sources en ligne (22 % par rapport à 13 % des filles). Malgré ces différences, il n’existe toutefois pas d’écart important entre les sexes et leur niveau de connaissance du sujet[16]. Les filles sont plus susceptibles que les garçons d’être assujetties à une règle à la maison à propos des sites qu’elles ne sont pas censées visiter (51 % par rapport à 44 % des garçons)[17]. Cette règle est en partie associée à la plus grande fréquence de rencontre de contenu raciste ou sexiste en ligne (11 % des élèves assujettis à cette règle en rencontrent une fois par jour ou plus comparativement à 19 % des élèves qui ne sont assujettis à aucune règle), mais n’a que peu ou aucune relation avec le risque de rencontre à des fréquences inférieures, ce qui suggère qu’il y a peut-être certains sites contenant du contenu raciste ou sexiste qui sont populaires parmi au moins certains jeunes et qui sont considérés inappropriés par les parents (notamment les jeux cotés M[18]).

Tout comme nos conclusions sur le sextage, la grande fréquence à laquelle les jeunes rencontrent du contenu sexiste en ligne suggère qu’il faut en faire davantage pour combattre les stéréotypes de genre et promouvoir des vues saines des genres et de la sexualité. Les jeunes doivent être sensibilisés aux préjudices que cause le contenu haineux, qu’il soit fondé sur la race, la religion, le genre, l’orientation sexuelle ou tout autre élément. Ils doivent également posséder les compétences en littératie numérique et médiatique nécessaires pour reconnaître le contenu haineux lorsqu’ils le voient (comme comprendre les marqueurs d’un argument fondé sur la haine) ainsi que reconnaître et décoder les différentes techniques de persuasion qu’emploient les groupes haineux pour affirmer la solidarité du groupe et recruter de nouveaux adeptes (comme la fausse information[19], le déni et le révisionnisme[20], et la pseudoscience[21]). Aussi, les jeunes doivent sentir qu’ils peuvent s’exprimer contre la haine sous toutes ses formes, surtout lorsqu’ils en rencontrent dans les espaces grand public comme les jeux en ligne et les réseaux sociaux.

Cliquez ici pour lire le rapport complet : http://habilomedias.ca/jcmb.

Jeunes Canadiens dans un monde branché – Phase III : La sexualité et les relations amoureuses à l'ère du numérique a été rendu possible grâce aux contributions financières de l'Autorité canadienne pour les enregistrements Internet, du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada et de l'Alberta Teachers' Association.

Cliquez ici pour lire le rapport complet : http://habilomedias.ca/jcmb.

Jeunes Canadiens dans un monde branché – Phase III : Contenue raciste et le sexiste en ligne a été rendu possible grâce aux contributions financières de l'Autorité canadienne pour les enregistrements Internet, du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada et de l'Alberta Teachers' Association.


[1] Steeves, Valerie. Jeunes Canadiens dans un monde branché, Phase III : La vie en ligne. HabiloMédias, 2014.

[2] Steeves, Valerie. Jeunes Canadiens dans un monde branché, Phase III : Contenu raciste et sexiste en ligne. HabiloMédias, 2014.

[3] Steeves, Valerie. Jeunes Canadiens dans un monde branché, Phase III : La cyberintimidation : Agir sur la méchanceté, la cruauté et les menaces en ligne. HabiloMédias, 2014.

[4] Steeves, Valerie. Jeunes Canadiens dans un monde branché, Phase III : Contenu raciste et sexiste en ligne. HabiloMédias, 2014.

[5] Steeves, Valerie. Jeunes Canadiens dans un monde branché, Phase III : La vie en ligne. HabiloMédias, 2014.

[6] Zerbisias, Antonia. « Internet trolls an online nightmare for young women ». The Toronto Star, 18 janvier 2013, News/Insight.

[7] Gray, K. L. Deviant Bodies, Stigmatized Identities, and Racist Acts: Examining the Experiences of African-American Gamers in Xbox Live. New Review of Hypermedia and Multimedia, 2012.

[8] Rose, L. M. « Communication in multiplayer gaming: Examining player responses to gender cues ». New Media & Society : 541-556.

[9] « Misogyny: The Sites ». Southern Poverty Law Center Intelligence Report. Printemps 2012. http://www.splcenter.org/get-informed/intelligence-report/browse-all-issues/2012/spring/misogyny-the-sites

[10] Chiang, Chau-Pu. « Hate Online: A Content Analysis Of Extremist Internet Sites ». Analyses of Social Issues and Public Policy : 29-44.

[11] Rowland, Robert C. « The Symbolic DNA of Terrorism », Communication Monographs, 75:1 (2008), 52-85.

[12] Blazak, Randy. « From White Boys to Terrorist Men: Target Recruitment of Nazi Skinheads », American Behavioral Scientist 44:6 (2001), 982-1000.

[13] Gerstenfeld, Phyllis B., Diana R. Grant et Chau-Pu Ching. « Hate Online: A Content Analysis of Extremist Internet Sites », Analyses of Social Issues and Public Policy, 3:1 (2003), 29-44.

[14] Steeves, Valerie. Jeunes Canadiens dans un monde branché, Phase III : La perspective des enseignants. HabiloMédias, 2012.

[15] Steeves, Valerie. Jeunes Canadiens dans un monde branché, Phase III : Contenu raciste et sexiste en ligne. HabiloMédias, 2014.

[16] Steeves, Valerie. Jeunes Canadiens dans un monde branché, Phase III : Contenu raciste et sexiste en ligne. HabiloMédias, 2014.

[17] Steeves, Valerie. Jeunes Canadiens dans un monde branché, Phase III : La vie en ligne. HabiloMédias, 2014.

[18] Steeves, Valerie. Jeunes Canadiens dans un monde branché, Phase III : Contenu raciste et sexiste en ligne. HabiloMédias, 2014.

[19] Meddaugh, P. M. « Hate Speech or "Reasonable Racism?" The Other in Stormfront », Journal of Mass Media Ethics, 24:4 (2009), 251-268.

[20] McNamee, L., Pena, J., et Peterson, B. « A Call to Educate, Participate, Invoke and Indict: Understanding the Communication of Online Hate Groups », Communication Monographs, 77:2 (2010), 257-280.

[21] Meddaugh, P.M. « Hate Speech or "Reasonable Racism?" The Other in Stormfront », Journal of Mass Media Ethics, 24:4 (2009), 251-268.