Le sextage : favoriser le respect et le consentement plutôt que blâmer la victime

Matthew JohnsonPeu de questions reflètent notre anxiété concernant les jeunes et les médias sociaux comme le sextage. Comme pour les technologies qui remontent au moins au télégraphe, une grande partie de cette anxiété concerne précisément les filles et les femmes, ce qui est logique dans une certaine mesure : bien que les garçons et les filles envoient des sextos à peu près dans les mêmes proportions et que les sextos envoyés par les garçons soient plus susceptibles d’être transférés, il est vrai que la société désapprouve davantage les filles qui envoient des sextos et, par conséquent, que le tort qui leur est fait est plus grand lorsque des sextos qu’elles ont envoyés rejoignent un public plus élargi que prévu. Cependant, le tort lui-même découle de la façon dont les filles qui participent au sextage sont représentées (par les médias, dans de nombreux programmes d’éducation et par les jeunes eux-mêmes), autant comme des gardiennes de leur innocence sexuelle et, si elles dérogent de ce rôle, comme responsables des conséquences qu’elles pourraient subir en raison de leurs actions.

Cette perception sexuée du sextage semble être fréquente parmi les jeunes Canadiens : l’étude Jeunes Canadiens dans un monde branché, Phase III réalisée en 2013 par HabiloMédias, un des premiers projets de recherche à mesurer les taux d’envoi, de réception et de partage de sextos chez les jeunes Canadiens, a cerné une « œillère morale » concernant le partage de sextos. Bien que les jeunes Canadiens soient moins susceptibles de participer à d’autres formes de cyberintimidation si une règle est établie à la maison sur le respect des autres en ligne, la présence ou l’absence d’une telle règle n’a aucun effet sur la probabilité que les jeunes partagent des sextos. Bien qu’il soit de plus en plus évident que l’envoi de sextos n’est pas en soi une activité nuisible, il est clair que d’envoyer un sexto sans le consentement de la personne concernée, qu’il s’agisse de le publier sur un site de « pornographie de vengeance » ou de le montrer à un seul ami, est profondément nuisible et moralement inacceptable. Pourquoi alors les jeunes qui reçoivent des sextos décident-ils de les partager, et pourquoi considèrent-ils qu’ils ne font rien de mal (dans bien des cas, leurs pairs qui ne partagent pas de sextos eux‑mêmes choisissent tout de même de blâmer la victime de l’avoir envoyé en premier lieu)?

Pour répondre à ces questions, HabiloMédias et des chercheurs de la Faculté de travail social Factor-Inwentash de l’Université de Toronto ont mené une étude pour examiner dans quelle mesure les attitudes, les expériences, les connaissances et les croyances morales des jeunes ont un impact sur leur décision de partager ou non des sextos qu’ils ont reçus. Nous avons constaté qu’un nombre important de jeunes semblent faire partie d’une « culture du partage » dans laquelle le partage non consensuel de sextos est non seulement toléré, mais normalisé. Cette étude a été financée par TELUS.

L’étude Partage non consensuel d’images intimes : les comportements et les attitudes des jeunes Canadiens examine le lien entre le partage de sextos et quatre facteurs.

Stéréotype de genre : Les recherches précédentes sur le partage de sextos indiquent que les rôles de genre, ainsi que les attitudes à leur égard, jouent un rôle important dans la prise de décisions. Aussi, l’adoption d’attitudes traditionnelles quant au genre, comme croire que les hommes devraient s’intéresser davantage au sexe que les femmes ou que les femmes ne peuvent pas vraiment être heureuses sans conjoint, est associée à la croyance aux « mythes du viol » qui excusent le comportement des coupables et blâment les victimes d’agressions sexuelles.

Nous avons découvert que la mesure dans laquelle les jeunes adoptent ces attitudes a un important lien avec la probabilité d’avoir partagé les sextos de quelqu’un : la moitié (53 %) des jeunes qui se sont classés dans le tiers supérieur de cette échelle avait partagé un sexto, comparativement à un peu plus d’un sixième (18 %) de ceux classés dans le tiers central et à seulement 1 sur 10 (9 %) de ceux dans le tiers inférieur. Comme il fallait sans doute s’y attendre, cet effet était plus puissant chez les garçons et les jeunes hommes de l’étude, mais il était également important chez les filles et les jeunes femmes.

Désengagement moral : Le désengagement moral, un terme pour la façon dont nous nous convainquons de faire quelque chose que nous savons inapproprié ou de ne pas faire quelque chose que nous savons être juste, est bien établi en tant que facteur de la cyberintimidation et du harcèlement sexuel ainsi que des attitudes liées à la culture du viol. Pour savoir si les jeunes utilisent ces méthodes pour se décharger de toute responsabilité lorsqu’ils partagent des sextos, nous leur avons demandé s’ils étaient en accord ou en désaccord avec des énoncés conçus pour tester différents mécanismes de désengagement moral, comme trouver une façon de justifier une action comme étant positive (« Lorsque les sextos d’une fille sont partagés, cela montre les risques aux autres filles. »), nier le tort du geste (« Le partage de sextos est si fréquent que personne ne s’en soucie. »), rejeter la responsabilité sur quelqu’un d’autre (« Si je partage un sexto avec une seule personne et que cette personne le partage avec d’autres, ce n’est pas vraiment de ma faute. »), et blâmer la victime (« Une fille ne devrait pas être surprise que son sexto soit partagé après une rupture. »).

Il s’avère que le désengagement moral a un lien avec le partage de sextos qui ressemble à celui de l’acceptation de stéréotypes de genre traditionnels : la moitié (53 %) des jeunes qui se sont classés dans le tiers supérieur sur l’échelle du désengagement moral avaient partagé un sexto, un sixième (17 %) de ceux classés dans le tiers central l’avaient fait, et 1 sur 10 (11 %) de ceux dans le tiers inférieur l’avaient fait. Cependant, l’effet était le même pour les garçons et les jeunes hommes que pour les filles et les jeunes femmes.

Normes sociales, pression des pairs et réciprocité : La mesure dans laquelle les jeunes pensent que le sextage est une pratique courante a été cernée comme l’un des plus importants facteurs influençant leur décision d’envoyer ou non des sextos. Pour déterminer si cette pensée s’appliquait également au partage de sextos, nous avons demandé aux participants s’ils croyaient que leurs pairs envoyaient et partageaient fréquemment des sextos, et le nombre d’amis proches qui l’avaient fait. Même si cette croyance avait un certain lien avec leur propre comportement de partage, un lien beaucoup plus fort a été associé avec le fait de penser que leurs amis s’attendraient à ce qu’ils partagent les sextos qu’ils ont reçus et, encore plus fortement, s’ils s’attendraient à ce que leurs amis partagent des sextos avec eux.

Très peu d’autres facteurs avaient un lien important avec leur décision de partager ou non des sextos. Bien que les participants plus âgés étaient plus susceptibles d’avoir envoyé et reçu des sextos, ils n’étaient pas plus susceptibles de les avoir partagés : en réalité, les jeunes de 16 ans de notre étude étaient légèrement plus susceptibles d’avoir partagé un sexto que les jeunes de 20 ans. De même, le fait que les jeunes doivent suivre des règles à la maison concernant l’envoi ou le partage de sextos, qu’ils aient participé ou non à des programmes scolaires sur le sujet, ou qu’ils savaient ou non que le partage d’images intimes sans le consentement de la personne concernée était un crime au Canada n’avait essentiellement aucun lien avec leur décision de partager ou non des sextos. Même le nombre de sextos qu’ils avaient reçus n’était pas étroitement lié au nombre de sextos qu’ils avaient partagés.

Toutefois, chacun des comportements de partage sur lesquels nous avons posé des questions, soit montrer des sextos à d’autres en personne, les transmettre par voie électronique à d’autres personnes, et les publier sur un espace publiquement accessible, n’était pas étroitement lié entre eux, que ces sextos aient été sollicités par le destinataire ou non. En d’autres termes, tous les types de partage se concentrent dans un groupe de personnes dont environ la moitié qui ont reçu des sextos, qui partagent souvent des sextos (une proportion moyenne de 1,4 sexto partagé par sexto reçu), et qui le font au sein d’une culture qui normalise, justifie et encourage même le partage.

Plutôt que d’être remise en question, cette culture est souvent renforcée par les efforts éducatifs relatifs au sextage. Un examen de 10 campagnes adoptées à grande échelle a montré qu’elles ciblaient presque toutes exclusivement le créateur et l’expéditeur initial du sexto et que la moitié d’entre elles contenaient des messages d’abstinence, ignorant le moment auquel le tort causé est le plus marqué, soit lorsque les sextos sont partagés sans le consentement de l’expéditeur, et omettant la responsabilité de la personne qui les partage.

Bien qu’il soit logique que les interventions relatives à l’envoi de sextos portent sur des programmes d’éducation sexuelle complets, encourageant des relations saines et respectueuses et enseignant aux jeunes à minimiser le tort possible causé par le partage des sextos, ces programmes ciblent encore le changement des comportements du créateur et de l’expéditeur initial de l’image, rejetant la responsabilité sur l’auteur original du sexto et exonérant la personne qui l’a rendu public.

Notre recherche indique la voie à suivre quant aux interventions liées au sextage en démontrant que les efforts déployés dans les écoles et à la maison, ainsi que l’établissement d’une politique sur le sextage visant les jeunes, doivent cibler la lutte contre les racines de la culture du partage en enseignant aux jeunes à reconnaître et à éviter les façons dont nous excusons le comportement de partage et en remettant en question les stéréotypes qui peuvent amener des personnes à blâmer les victimes et à ignorer les responsables lorsque des sextos sont partagés.

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Où la ligne se situe-t-elle? Plan de cours sur la sécurité en ligne pour les policiers éducateurs

Cet atelier à l’intention des policiers éducateurs donne aux élèves de la 6e à la 8e année les compétences pour prendre des decisions éthiques et sécuritaires en ligne et les aide à cerner les stratégies et les mesures de soutien offertes pour les aider à résoudre les problèmes qu’ils peuvent rencontrer en ligne, y compris le sextage. Créé grâce au soutien de la Gendarmerie royale du Canada (GRC).