Pour connaître et se reconnaître : tenir compte de la diversité dans les médias

Les enseignants qui assurent l’éducation aux médias dans leur classe font souvent face à des difficultés qui ne surviennent pas dans d’autres matières. Rien n’illustre mieux ces difficultés que la question de la diversité dans les médias. On comprendra que, pour les enseignants, aborder ce sujet, c’est souvent ouvrir une boîte de Pandore. Ils sont également soucieux de ne pas offenser les élèves et leurs parents – sans compter qu’ils s’inquiètent de ce que les jeunes eux-mêmes pourraient dire. En même temps, c’est un sujet qui est tout simplement trop important pour qu’on l’évite : ce que nous voyons dans les médias influence énormément la façon dont nous percevons les autres, nous-mêmes et le monde. Par conséquent, la capacité d'analyser les représentations de la diversité dans les médias est non seulement un élément clé de l’éducation aux médias, mais elle est essentielle pour comprendre plusieurs des préoccupations et des enjeux sociaux auxquels nous faisons face en tant que citoyens. Le Réseau Éducation-Médias a donc mis au point un nouveau tutoriel de perfectionnement professionnel, Pour connaître et se reconnaître, offert en ligne pour aider les éducateurs et les dirigeants communautaires à aborder cette question au moyen de certains concepts clés de l’éducation aux médias.

Un certain nombre de principes guident l’éducation aux médias ; les auteurs et éducateurs ont formulé ces principes chacun à leur façon, mais certains principes sont presque universels. Ces principes sont les suivants :

  • Pour commencer, les médias sont des constructions qui représentent la réalité ; les produits médiatiques sont créés par des individus et reflètent leurs opinions, leurs hypothèses et leurs partis pris.
  • Deuxièmement, les médias véhiculent des messages idéologiques sur différentes notions comme le pouvoir, les valeurs et l’autorité ; parce que notre façon de voir la réalité repose en partie sur les médias que nous utilisons, ces messages pourraient avoir des répercussions au plan social et politique.
  • Troisièmement, puisque la plupart des médias sont créés en vue de faire des profits, ces médias sont généralement influencés par des considérations commerciales.
  • Quatrièmement, les produits médiatiques n’ont pas une signification unique et fixe, mais différents publics peuvent en donner différentes interprétations.
  • Cinquièmement, chaque média possède une forme esthétique distincte qui peut comprendre des éléments tels que l’influence des limites technologiques sur le récit ou encore la transmission de thèmes généraux ou récurrents propres à un genre particulier.

Pour mieux comprendre comment ces principes peuvent servir de cadre à la discussion sur la diversité engagée avec les jeunes, examinons-les avec plus d’attention.

Les médias sont des constructions qui représentent la réalité

Les stéréotypes illustrent sans doute le mieux la notion que les médias sont des constructions. C’est une question que les jeunes connaissent très bien et ils pourront sans doute énumérer plusieurs stéréotypes courants – que ce soit à propos des groupes minoritaires, de catégories particulières de personnes (athlètes, maniaques d’Internet, etc.) ou des jeunes eux-mêmes. Il est toutefois important pour les jeunes de comprendre que ce n’est pas parce qu’ils sont sensibilisés à ces stéréotypes que ces derniers n’influencent pas leurs attitudes et leurs perceptions. Pour illustrer cette idée, dans le cadre de l’étude « Why It Matters: Diversity on Television, » menée en 2002, on a demandé à de jeunes enfants d’attribuer divers rôles à diverses personnes. Les enfants – dont plusieurs faisaient partie de minorités visibles – ont choisi un Afro-Américain pour tenir le rôle d’un criminel, expliquant que « il a tout simplement l’air du type de criminel capable de voler ou de faire ce genre de choses ».

Les médias véhiculent des messages idéologiques

L’exemple précédent illustre également le deuxième principe, à savoir que les médias véhiculent des messages idéologiques : en tant qu’individu et en tant que société, notre opinion de différents groupes se forge en partie d’après la façon dont ces groupes sont représentés dans les médias – pour autant qu’ils soient représentés. Par exemple, environ 1 Canadien sur 7 est atteint d’une incapacité, mais une étude des réseaux de télévision américains effectuée en 2009 révèle qu’à la télévision, seulement 1 personnage sur 50 ’était. (Il n’existe pas de statistiques pour la télévision canadienne, mais il semble peu probable que les données soient très différentes.) Cette quasi-invisibilité influence presque certainement notre opinion quant à la fréquence des incapacités dans la société et à l’importance que nous attachons aux questions d’incapacité.

Les médias sont influencés par des considérations commerciales

Les intérêts commerciaux liés aux médias relèguent souvent la représentation diversifiée au second plan. Bien que divers médias aient grandement amélioré la situation – tant dans la façon de représenter la diversité que dans la fréquence des représentations –, ces améliorations ne s’appliquent toujours pas aux personnages principaux : si les personnages secondaires sont parfois issus des minorités visibles, sont allosexuel, sont atteintes d’incapacités ou autochtones, le personnage principal l’est rarement. Les considérations commerciales ne se limitent pas au public visé : il est important de savoir à qui appartient un média, car cela peut avoir une influence considérable sur la décision de représenter ou non la diversité et sur la façon dont on la présente. Maureen Googoo, reporter au réseau autochtone Aboriginal Peoples Television Network (APTN), compare ainsi le travail dans un réseau autochtone et un réseau traditionnel : « L’atmosphère qui règne dans la salle de rédaction de l’APTN n’est pas différente de celle des autres salles de rédaction… Ce qui est différent, c’est que tout le personnel est autochtone et que l’objectif principal est de couvrir les enjeux et les évènements qui ont de l’importance pour les Premières Nations. Je fais des reportages sur ces enjeux… et personne ne soulève la question du parti pris ou de l’objectivité. »

Le public « négocie » le sens du produit médiatique

L’identité peut influencer non seulement la création du produit médiatique, mais aussi l’interprétation qu’en fait le public. Le petit nombre de personnages représentant des minorités, personnages qui sont toujours secondaires, a donné naissance à une tradition dans plusieurs communautés qui font une « autre lecture » du texte – soit en « assignant » une identité à un personnage ambigu (par exemple la campagne pour demander que M. Smithers des Simpsons affirme son homosexualité) ou en donnant plus d’importance aux personnages secondaires (notamment Bruce Lee, qui a joué le rôle de Kato dans la série télévisée The Green Hornet ; il a fini par prendre la tête d’affiche et, sur certains marchés, l’émission portait le nom de Télé-Kato). Le principe voulant que le public négocie le sens peut aussi aider les élèves à comprendre comment divers groupes peuvent donner une interprétation différente à un personnage ou à un récit. Par exemple, pour le grand public, le personnage d’Artie de l’émission Glee – personnage qui est membre d’une petite chorale et participe aux activités du groupe bien qu’il soit en fauteuil roulant – est une représentation positive et stimulante d’un jeune homme atteint d’une incapacité. Mais, pour plusieurs membres de la communauté handicapée, il incarne plusieurs des clichés et stéréotypes associés à un handicap.

Chaque média possède une forme esthétique distincte

Comprendre les formes esthétiques propres aux différents médias peut aussi aider les élèves à saisir comment les représentations douteuses de la diversité peuvent se produire. Plusieurs médias et genres utilisent des tropes, images ou thèmes récurrents, qui peuvent exister depuis des dizaines, voire des centaines d’années. Par exemple, tandis que les héros du film Aladin, réalisé par Disney, ont des traits généralement associés à la race blanche, le méchant a des traits sémitiques exagérés et incarne un trope que véhiculait déjà le Shylock de Shakespeare dans Le marchand de Venise.

En cette ère numérique, nous sommes presque tous des consommateurs de médias, mais aussi des auteurs – que nous produisions des vidéos, des remixages, des articles de blogues ou simplement quelques lignes dans Facebook –, ce qui signifie que pour être des citoyens numériques responsables, les jeunes doivent apprendre à reconnaître les questions de diversité dans les médias et à s’y intéresser. Pour connaître et se reconnaître offre justement aux enseignants et aux dirigeants communautaires des outils pour les seconder dans cette tâche.


Pour connaître et se reconnaître fait partie de la Trousse éducative – médias et diversité, une vaste série de ressources élaborées par le Réseau Éducation-Médias à l’intention des écoles et des communautés pour lutter contre la propagande haineuse. Outre le tutoriel Pour connaître et se reconnaître, la trousse comprend des plans de leçons et un module interactif pour les élèves.