Il existe une inquiétude grandissante à propos de la retouche d'images. En octobre dernier, la photo altérée de Filippa Hamilton dans une publicité de Ralph Lauren créait un petit scandale médiatique, et relançait la polémique à propos de l'incitation à l'anorexie provoquée par de telles photos. Cet incident arrivait au même moment que la proposition de loi française de la députée UMP Valérie Boyer relative à la signalisation des images retouchées : « Les photographies publicitaires de personnes dont l'apparence corporelle a été modifiée par un logiciel de traitement d'image doivent être accompagnées de la mention : “Photographie retouchée afin de modifier l'apparence corporelle d'une personne”. »
Mais quel est exactement le lien entre publicité et anorexie ?
Lorsqu'on analyse les causes invoquées dans les troubles d'anorexie, celles-ci comportent des facteurs internes – génétiques, neuro-endocrinologiques, néo-nataux, …, et des facteurs externes – psychosociaux, famille, et enfin société et culture. La publicité et la retouche de photos tombent dans ce dernier groupe des facteurs culturels, qui sont parmi les plus difficiles à tester : « La pression sociale que représente la valorisation de la minceur constitue probablement un facteur non négligeable associé au développement de troubles alimentaires. Certes, le culte du corps filiforme, renforcé par les médias, favorise le début d'un grand nombre de régimes amincissants, pourtant toutes les jeunes filles débutant un régime ne vont pas développer de trouble grave des comportements alimentaires.” , indiquent Catherine Doyen et Solange Cook-Darzens dans Les causes connues de l'anorexie et de la boulime.
Il semble donc que le facteur culturel (dont la retouche de photos publicitaires n'est qu'un aspect) favorise, mais ne provoque pas l'anorexie. Il est d'ailleurs intéressant de considérer par comparaison que dans les pays arabes, qui valorisent culturellement les femmes bien en chair, on fasse état certes d'obésité féminine, mais pas de boulimie…
La publicité, et plus largement les facteurs culturels, ne déclenchent pas à eux seuls un comportement pathologique. Cependant, si “, le culte du corps filiforme, renforcé par les médias, favorise le début d'un grand nombre de régimes amincissants”, peut-on penser que la signalisation des photos retouchées permettrait de faire un pas dans la bonne direction ?
A l'ère d'Internet, où les médias n'ont plus de frontières, je suis toujours sceptique vis à vis des emplâtres légaux sur les problèmes sociaux : l'idée d'apposer un label “photo retouchée” pour signaler qu'une photo n'est pas “réelle” ne rend pas moins réelle l'idée que notre culture se fait de la beauté. En d'autres termes : la photo n'est que la matérialisation d'une représentation socioculturelle, et c'est plutôt sur cette dernière qu'il faut réfléchir et agir.
Comment ? Par l'éducation aux médias, et plus particulièrement dans ce cas par l'analyse de l'image.
Parce que Photoshop constitue un processus qui intervient a posteriori (on altère le produit « fini »), notre société le perçoit comme plus condamnable : « Aujourd'hui, je peux réaliser un portrait en utilisant des lumières douces et diffuses pour atténuer les rides d'un visage, cela est bien admis. Si j'obtiens le même résultat, en toute délicatesse, mais en opérant sur un logiciel et en le faisant savoir, cela passe beaucoup moins bien. », note un graphiste dans son blogue. Le processus est-il moins éthique que la composition photographique, qui a toujours existé ?
L'important est plutôt que Photoshop, grâce à ses excès et dérives, rend particulièrement évidente la construction de l'image photographique. Profitons donc de l'occasion qu'il nous donne pour éduquer nos enfants, nos élèves :
- Visiter des sites d'effets Photoshop avant/après constitue un bon début, ludique et facile à exploiter. Ceci pourrait être utilisé dès la maternelle, comme une alternative au classique jeu des différences ; même les jeunes enfants peuvent commencer à réfléchir sur ce qu'on efface systématiquement pour « embellir » un portrait, et ce qu'on met en valeur –avec un début de questionnement sur les raisons sous-jacentes : pourquoi gomme-t-on ce qu'on gomme ?
- Avec un public plus âgé, on peut prendre en considération d'autres variables, et ne plus se focaliser que sur des portraits :
- o « Contexte socio-culturel : qu'est ce que le spectateur-lecteur partage de valeurs, de langages, de représentations... avec les auteurs-énonciateurs.
- o Contexte de production : quel auteur, quelle instance de production, qui «parle» à travers tel type d'image : l'annonceur, le publicitaire, l'auteur...
- o Contexte de réception : quelle diffusion, quels supports (magazine, télé, panneaux...), quels lieux, quel public, quelle durée d'exposition, quelle date, quelle audience.... ».
Un exemple de l'influence du contexte de réflexion ? Lorsque le Nouvel Observateur décide, en janvier 2008, de rendre hommage à Simone de Beauvoir , il choisit pour photo de couverture cette image :
Alors que la même photographie n'avait soulevé aucune protestation lorsqu'elle avait servi de couverture au magazine Lire en octobre 2006 (n° 349), sa reprise par le Nouvel Observateur a déclenché une levée de bouclier. La différence ? le journal paraît au beau milieu d'une série de photos dénudées (de Laure Manaudou, Carla Bruni, et Miss France) rendues publiques par des auteurs mal intentionnés.
La lecture de l'image va bien au-delà d'un simple étiquetage « photo retouchée » -étiquette dont l'effet pervers induirait que les photos « non retouchées » seraient fidèles à la réalité, et donc à prendre pour argent comptant. Finalement, ce qu'il faut intégrer à la panoplie intellectuelle de nos jeunes, c'est qu'une image –retouchée ou non- n'est jamais la réalité. C'est un dialogue, un sens négocié entre ce que le photographe y a voulu mettre, ce que nous y percevons, et l'instant dans lequel nous le regardons.
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