Normes et pratiques du journalisme en santé et en sciences

La couverture médiatique de la santé et des sciences est influencée à la fois par des normes économiques (les conditions et contraintes dans lesquelles les journalistes exercent leur travail) et par des normes journalistiques telles que l’objectivité et l’équilibre[1]. Ces deux dimensions ont un impact sur la manière dont ces sujets sont traités.

L’équilibre comme biais (faux équilibre)

Comme le dit Ross Gelbspan : « Le canon professionnel d’impartialité journalistique exige des journalistes qui traitent d’une controverse qu’ils présentent des points de vue opposés. Lorsque la question est de nature politique ou sociale, l’impartialité, c’est-à-dire présenter les arguments les plus solides des deux côtés avec un poids égal, constitue un garde-fou essentiel contre un traitement biaisé. Mais ce canon pose problème lorsqu’il est appliqué aux questions scientifiques. Il semble obliger les journalistes à présenter des points de vue divergents sur une question scientifique comme s’ils avaient le même poids scientifique, alors qu’en réalité ce n’est pas le cas[2].

Cela s’explique en partie par le fait que les journalistes ne font généralement pas la distinction entre un consensus social ou politique et un consensus scientifique. Par exemple, la couverture des changements climatiques a en réalité eu davantage tendance à présenter « les deux côtés » entre 1998 et 2000, alors même que le consensus scientifique se renforçait, parce qu’il faisait l’objet de débats plus intenses chez les responsables politiques à cette époque[3]. De même, la pratique du faux équilibre a été particulièrement critiquée dans la couverture des soins de transition pour les jeunes transgenres, où les inquiétudes d’une petite minorité de professionnels de santé dissidents reçoivent souvent un poids équivalent à celui d’organisations médicales légitimes[4].

Contrainte de temps et manque d’expertise

La pression de produire de l’« information en temps réel » entraîne une forte dépendance aux communiqués de presse rédigés par des spécialistes en relations publiques pour le compte d’instituts de recherche et d’universités. Ces communiqués sont délibérément conçus pour attirer l’attention sur l’établissement ou le chercheur et peuvent « survendre la valeur de la recherche ». Des études ont démontré que des reportages inexacts ou exagérés sont souvent « le résultat direct de l’information contenue dans ces communiqués ». Cette dépendance confère « un certain contrôle de l’agenda médiatique aux chercheurs et à leur institution ». Comme un grand nombre d’articles scientifiques s’appuient sur les communiqués plutôt que sur les études elles-mêmes, les articles sont souvent sensationnalistes, déforment les données (par exemple, en ne précisant pas qu’une étude a été menée uniquement sur des souris et non sur des humains) et formulent des recommandations (comme consommer ou éviter un nutriment particulier) qui sont soit prématurées, soit non étayées par les résultats de l’étude[5]. La contrainte de temps peut également expliquer pourquoi les politiciens et dirigeants gouvernementaux, plutôt que les scientifiques, sont le plus souvent cités ou interrogés dans les articles sur les changements climatiques[6].

De nombreux médias d’information n’ont plus de journalistes spécialisés en santé ou en sciences, et il peut être difficile pour des reporters sans formation scientifique de couvrir ces sujets avec exactitude[7]. Certaines initiatives tentent de remédier à ce problème, comme l’Oxford Climate Journalism Network, qui « développe de nouvelles compétences journalistiques mêlant modélisation statistique, données et cartographie[8] ». Par ailleurs, on observe de plus en plus, dans certains contextes, l’idée que des sujets comme le réchauffement climatique ne sont pas exclusivement des « questions scientifiques », les présentateurs météo étant de plus en plus amenés à en parler lorsqu’ils couvrent des phénomènes tels que les vagues de chaleur ou les feux de forêt[9].

Marques et médias compromis

Certains grands médias d’information produisent et publient également du « contenu promotionnel trompeur pour des compagnies pétrolières », connu sous le nom de publireportages ou de publicité native, conçu pour ressembler au travail éditorial authentique d’une publication. Même si cela ne compromet pas nécessairement la qualité des reportages du média, des recherches ont montré qu’au moins deux tiers des lecteurs confondent ces publireportages avec du contenu « réel »[10].

Avec le déclin de l’information locale, les petits médias peuvent manquer de ressources pour couvrir avec précision les sujets liés à la santé et aux sciences, ou ne pas pouvoir se permettre de perdre des revenus en reconnaissant un consensus scientifique que leur public ne partage pas[11]. Des entreprises comme Chevron, une compagnie pétrolière, ont même lancé leurs propres « sites d’information » pour promouvoir leur point de vue sur des sujets comme les combustibles fossiles ou l’énergie solaire. Bien que ces informations ne soient pas forcément fausses, comme le souligne David Folkenflik de NPR, « le contexte, le cadrage et les omissions aboutissent à donner une vision très différente » de la réalité, atténuant souvent des vérités difficiles ou passant sous silence des faits défavorables à l’entreprise[12].


[1] Bennett, W. L. (1996). An introduction to journalism norms and representations of politics.

[2] Gelbspan, R. (1998). The Heat is On: The Climate Crisis, the Cover-Up, the Prescription. Perseus Press

[3] Boykoff, M. T., & Boykoff, J. M. (2004). Balance as bias: Global warming and the US prestige press. Global environmental change, 14(2), 125-136.

[4] Santora, T. (2023) How to Report on Healthcare for Trans Youth Accurately and Sensitively. Open Notebook.

[5] Dempster, G., Sutherland, G., & Keogh, L. (2022). Scientific research in news media: a case study of misrepresentation, sensationalism and harmful recommendations. Journal of Science Communication, 21(1), A06.

[6] Hamilton-Evans, D., & Mahoney T. (2023) Quiet Alarm: A Review of CBC’s Climate Reporting. SFU CERi.

[7] Priyadarshini, S. (2025) Why newsrooms must rethink science journalism before the next crisis. Nature.

[8] Newman, N. (2022) Journalism, Media, and Technology Trends and Predictions 2022. Reuters Institute for the Study of Journalism.

[9] Ziafati, N. (2022) Canadian on air weather personalities shifting tone amid worsening climate change. The Canadian Press.

[10] Westervelt, A., & Green M. (2023) Leading News Outlets are Doing the Fossil Fuel Industry’s Greenwashing. The Intercept.

[11] Robins-Early, N. (2021) How anti-vaxxers and ivermectin advocates have co-opted US local news. The Guardian.

[12] Dhanesha, N. (2024) How NPR and Floodlight teamed up to uncover fossil fuel news mirages across the country. NiemanLab.