Figures narratives courantes dans l’actualité criminelle
L’actualité criminelle utilise des cadres narratifs spécifiques pour simplifier des enjeux complexes, ce qui conduit souvent à des représentations biaisées et stigmatisantes. Comme le souligne Jens Ludwig dans son ouvrage Unforgiving Place: The Unexpected Origins of American Gun Violence : « si le modèle économique des médias d’information et de divertissement est de donner au public ce qu’il veut, celui-ci a été très clair : les gens veulent des histoires de psychopathes. Nous voulons des tueurs en série, des sectes et de la préméditation[1]. »
Mettre l’accent sur les individus plutôt que sur les enjeux structurels
Les médias ont souvent tendance à privilégier des « définitions individualistes du crime » plutôt que des explications culturelles ou politiques plus complexes. Cette approche simplifie les récits et leur donne un attrait « humain », en présentant les événements comme le résultat des « actions et réactions d’individus » plutôt que d’institutions, d’entreprises ou de gouvernements[2].
- Mettre l’accent sur le « méchant » : les récits réduisent fréquemment les accusés à des archétypes criminels, en utilisant des termes comme « tueur hédoniste » ou « criminel endurci », et en mettant fortement l’accent sur l’auteur et ses caractéristiques individuelles (mentionnées neuf fois plus souvent que son environnement social). Ce cadrage, qui insiste sur la pathologie individuelle, renforce l’idée reçue selon laquelle la violence serait le fait de « mauvaises personnes, des individus fondamentalement différents du reste d’entre nous », alors que ces cas ne représentent en réalité qu’« une faible part » des violences par arme à feu[3].
- Occulter les enjeux structurels : cette figure narrative renforce l’idée que la violence relève d’un échec individuel, plutôt que d’expliquer les causes profondes des inégalités, comme le racisme structurel, la pauvreté concentrée ou le manque d’accès aux soutiens sociaux. De plus, lorsqu’ils couvrent des fusillades, les médias ont tendance à se focaliser sur des « événements criminels isolés plutôt que sur l’expression de conflits structurels[4]. »
Langage
Dans l’actualité criminelle, certains procédés de langage et de formulation tendent à obscurcir les responsabilités, surtout lorsqu’il est question de violences institutionnelles comme les homicides policiers :
- Les verbes intransitifs (par exemple, transformer « tuer » en « mourir », comme dans « un homme meurt »).
- L’absence de complément d’agent (par exemple, « un homme a été tué »), qui efface complètement la mention de la police comme cause.
- La nominalisation (par exemple, « fusillade mortelle impliquant un policier »), qui transforme l’action en substantif et rend à la fois l’agent et le patient plus flous. Le terme « fusillade impliquant un policier » suggère que la violence commise par les autorités « survient de façon passive » ou « n’est pas considérée comme un crime ».
- La voix passive (par exemple, « un homme a été tué par un policier » ou « un civil a été tué »), qui relègue l’auteur de l’action à l’arrière-plan[5].
Ce type de langage est plus fréquent dans les articles relatant des homicides policiers que dans ceux concernant des homicides commis par des civils : on le retrouve dans 35,6 % des cas. Fait important, « ce type de langage est plus fréquent dans les cas où la victime de violences policières était non armée, c’est-à-dire précisément lorsque nos résultats expérimentaux montrent qu’il contribue à atténuer les jugements portés sur la responsabilité morale du policier dans l’homicide[6] ».
Représentations stigmatisantes et sensationnalistes
La couverture médiatique contribue souvent, sans le vouloir, à entretenir des discours stéréotypés sur les personnes et les communautés les plus touchées.
- Biais racial : dans les reportages sur les arrestations, les personnes noires représentent 37 % des individus mentionnés, un chiffre nettement supérieur à leur proportion dans les statistiques générales d’arrestations aux États-Unis (environ 25 %) et à leur part dans la population (12–13 %). Cela renforce « le faux stéréotype du criminel noir »[7]. Par ailleurs, l’usage de termes comme « téméraire » ou « urbain » dans les nouvelles criminelles peut accentuer les stéréotypes et les biais raciaux[8].
- Figures narratives nuisibles : les récits dominants mettent souvent en scène les « gentils policiers » (présentés comme experts en violence armée) face aux « méchants criminels », et aux victimes « impuissantes, stigmatisées et parfois déshumanisées[9]. »
[1] Ludwig, J. (2025). Unforgiving Places: The Unexpected Origins of American Gun Violence. In Unforgiving Places. University of Chicago Press.
[2] Cere, R., Jewkes, Y., & Ugelvik, T. (2013). Media and crime: a comparative analysis of crime news in the UK, Norway and Italy. In The Routledge handbook of European criminology (pp. 266-279). Routledge.
[3] Ludwig, J. (2025). Unforgiving Places: The Unexpected Origins of American Gun Violence. In Unforgiving Places. University of Chicago Press.
[4] Reiner, R. (2002). Media made criminality: The representation of crime in the mass media.
[5] Malone, E. (2023) We Need to Abolish The Past Exonerative Tense In Stories About Police Killings, Traffic Violence. Buzzfeed News.
[6] Moreno-Medina, J., Ouss, A., Bayer, P., & Ba, B. A. (2025). Officer-involved: The media language of police killings. The Quarterly Journal of Economics, 140(2), 1525-1580.
[7] Allen, B. (2023) Newsrooms struggle over how to cover crime. Poynter.
[8] (2024) Better Gun Violence Reporting: A Toolkit for Minimizing Harm. FrameWorks.
[9] (2024) Better Gun Violence Reporting: A Toolkit for Minimizing Harm. FrameWorks.