Comment les Canadiens se tiennent-ils informés?

« Si un consommateur de nouvelles lit un titre provenant du Globe and Mail en faisant une recherche sur Google News, la nouvelle vient-elle de Google ou du Globe and Mail? Et si un ami publie la nouvelle sur Facebook, la nouvelle provient-elle de l’ami, de Facebook ou du Globe and Mail? Comment les complexités de la signification du mot "source" dans un environnement médiatique convergent peuvent-elles être prises en compte[1]? » [traduction]

Si un consommateur d’information lit un titre du Globe and Mail en faisant une recherche sur Google Actualités, la nouvelle vient-elle de Google ou du Globe and Mail? Et si un ami publie cette même nouvelle sur Facebook, provient-elle de l’ami, de Facebook ou du Globe? Comment rendre compte de la complexité de la notion de « source » dans un environnement médiatique où tout converge?[1]

Peu d’industries ont été autant bouleversées par l’avènement d’Internet que le journalisme, et ces transformations se reflètent dans notre expérience en tant que consommateurs d’information. Autrefois, ces derniers pouvaient compter sur un nombre limité de médias d’information, chacun proposant une sélection particulière de nouvelles (par exemple, différents journaux ou téléjournaux pour les nouvelles locales et nationales, ou la radio pour la circulation et la météo). Aujourd’hui, nous avons accès à une multitude de sources, à la fois débordantes et autonomisantes. La possibilité de partager des liens vers des articles par l’entremise des médias sociaux signifie notamment que nous dépendons moins des médias d’information pour choisir l’information et davantage des filtres que nous créons nous-mêmes, consciemment (en « aimant » ou en suivant des médias, des journalistes ou des personnes qui partagent des nouvelles) ou inconsciemment (par le biais des algorithmes utilisés par les réseaux sociaux et les moteurs de recherche pour repérer les contenus auxquels nous réagissons le plus). Ainsi, « nous avançons vers un monde de réception passive de l’information, où les nouvelles que nous consommons dépendent davantage de ce que partagent les membres de nos réseaux et des choix que nous faisons pour façonner nos fils d’actualité que des décisions éditoriales prises dans les salles de rédaction des journaux ou des chaînes de télévision.[2]

La télévision demeure la source d’information la plus populaire pour l’ensemble des Canadiens : un peu plus de la moitié (56 %) s’y tournent pour s’informer. Les sites Web (42 %) et la radio (41 %) arrivent sensiblement à égalité en deuxième position; plus du tiers (37 %) se tournent vers les moteurs de recherche et un peu moins du quart (23 %) vers YouTube. Toutes les autres sources, y compris Instagram, TikTok ainsi que les journaux et magazines imprimés, atteignent 20 % ou moins. (En 2014, davantage de personnes s’informaient par la télévision ou la radio qu’en 2019.)[3]

Les jeunes Canadiens, toutefois, sont beaucoup moins nombreux à s’informer par la télévision (23 %), les journaux en ligne (21 %), la radio (15 %) ou la presse écrite (7 %). En revanche, 57 % d’entre eux se tiennent informés par le biais des médias sociaux[4]. Ainsi, les consommateurs supposent dans une moindre mesure que les faits présentés dans l’actualité ont été vérifiés ou qu’ils proviennent d’une source objective : la moitié des Canadiens se tournent vers les médias nationaux lorsqu’ils cherchent de l’information, contre seulement un tiers qui se tournent vers les médias sociaux[5]. Les médias traditionnels, en particulier les sources de longue date comme Radio-Canada, CTV et Global News, demeurent des sources d’information très fiables[6]. Toutefois, la confiance dans les sources d’information traditionnelles a considérablement diminué au fil du temps, tant au Canada que dans le reste du monde. Certains chercheurs suggèrent que cette baisse découle non seulement de la propagation de l’information sur les médias sociaux, mais aussi des changements qui touchent l’industrie de l’information depuis les années 1990. 

Comme le cycle de l’information en continu oblige les médias à remplir toujours plus de temps d’antenne avec du contenu, ils en viennent à s’éloigner d’un simple compte rendu des faits (dont le nombre est limité) pour offrir davantage de commentaires, ce qui accroît la place de l’opinion par rapport à celle des faits et brouille la distinction entre les deux. En outre, l’analyse du marché médiatique suggère que, pour des raisons de rentabilité, les médias ont intérêt à adapter leur couverture aux biais de leur audience, proposant essentiellement les types de nouvelles que le public souhaite entendre et auxquelles il adhère, plutôt que de privilégier une couverture de qualité et véritablement objective[7].

Une autre complication réside dans le fait que les réseaux sociaux les plus populaires auprès des jeunes diffusent du contenu essentiellement trié par des algorithmes, comme la section À suivre de YouTube ou la page Pour toi de TikTok. Or, ces fils proposent rarement des contenus d’actualité : une étude a révélé que, sur plus de 6 000 vidéos recommandées par TikTok, seulement six pouvaient être considérées comme des nouvelles. Même les tentatives d’influencer l’algorithme, réputé particulièrement réactif, en suivant quatre médias d’information professionnels n’ont fait qu’accroître légèrement le nombre total de vidéos d’actualité recommandées[8].

Aussi, certaines plateformes de médias sociaux populaires, comme Facebook, ne permettent plus le partage de liens provenant de médias d’information légitimes. Cela a entraîné une baisse importante du trafic vers les sites d’information, particulièrement ceux consacrés à l’information locale[9]. Le déclin des nouvelles locales[10], conjugué à l’importance que les Canadiens leur accordent, puisque près des trois quarts d’entre eux s’inquiètent de leur disparition[11], explique en partie l’essor des sites dits « pink slime », qui imitent de véritables journaux locaux et paraissent ainsi plus crédibles que d’autres sources similaires[12]. Certains sont exploités par de grandes entreprises, comme la pétrolière américaine Chevron, dont le site Richmond Standard ne comportait initialement aucune mention de sa propriété[13], tandis que d’autres servent à promouvoir des points de vue politiques particuliers[14], à agréger des articles d’actualité de type « pièges à clics » pour générer des revenus publicitaires[15], ou sont simplement gérés par des personnes poursuivant des intérêts personnels[16]

En 2023, seulement un Canadien sur six a payé pour consulter de l’information en ligne, bien qu’il s’agisse d’une hausse de plus de cinq points de pourcentage depuis 2019[17]. On pourrait dire que nous avons ce que nous méritons. Comme l’explique Madelaine Drohan, « les contraintes financières qui pèsent sur les médias d’information ont eu des répercussions négatives sur les conditions de travail des journalistes… Le résultat inévitable est un journalisme de moindre qualité, moins de voix participant au débat public et une perte de lecteurs, de téléspectateurs et d’auditeurs fidèles[18]. »

Néanmoins, des recherches récentes montrent que les personnes qui s’informent sur les médias sociaux connaissent mieux l’actualité, distinguent plus facilement les vraies informations des fausses et font davantage confiance à l’information[19]. Ce qu’il nous faut, donc, c’est renforcer notre capacité à identifier les sources d’information fiables et à les lire de manière critique. 


[1] Thom, Jessica. “Believing the News: Exploring How Young Canadians Make Decisions About Their News Consumption.” (2016). Electronic Thesis and Dissertation Repository. 4269.

[2] Blevis, Mark and David Coletto. Matters of Opinion 2017: 8 Things We Learned About Politics, the News, and the Internet. February 7 2017.

[3] Lockhart, A., Laghaei, M & Andrey S. (2024) Survey of Online Harms in Canada 2024. The Dais. 

[4] (2024) Trust in Media: How Canadians feel about news outlets. Pollara Strategic Insights.

[5] (2024) 2024 Edelman Trust Barometer: Canada Report. <https://www.edelman.com/trust/2024/trust-barometer>

[6] (2024) Trust in Media: How Canadians feel about news outlets. Pollara Strategic Insights.

[7] Kavanagh, Janet and Michael D. Rich. “Truth Decay: An Initial Exploration of the Diminishing Role of Facts and Analysis in American Public Life.” RAND Corporation, 2018.

[8] Hagar, N., & Diakopoulos, N. (2023). Algorithmic indifference: The dearth of news recommendations on TikTok. New Media & Society, 14614448231192964.

[9] Parker, S., Park, S., Pehlivan, Z., Abrahams, A., Desblancs, M., Owen, T., ... & Bridgman, A. (2024). When journalism is turned off: Preliminary findings on the effects of Meta’s news ban in Canada.

[10] MacDonald, M. (2024) Sale of Atlantic Canada's biggest newspaper chain could reduce local content: expert. The Canadian Press.

[11] (2024) Trust in Media: How Canadians feel about news outlets. Pollara Strategic Insights.

[12] Darr, J. P. (2023). How Sticky Is Pink Slime? Assessing the Credibility of Deceptive Local Media. The ANNALS of the American Academy of Political and Social Science, 707(1), 109-124.

[13] Taft, M. (2022) Chevron Jumps Into Texas News Desert With Stories About Puppies Football and Oil. Gizmodo.

[14] Fischer, S. (2024) Dark money news outlets outpacing local daily newspapers. Axios. <https://www.axios.com/2024/06/11/partisan-news-websites-dark-money>

[15] Knibbs, K. (2024) How a Small Iowa Newspaper’s Website Became an AI-Generated Clickbait Factory. Wired.

[16] Moore, R., Dahlke, R., Bengani, P., & Hancock, J. (2023). The Consumption of Pink Slime Journalism: Who, What, When, Where, and Why?.

[17] Reuters Institute Digital News Report 2024: Canada. <https://www.cem.ulaval.ca/publications/dnr-2024-canada-fr/>

[18] Drohan, Madelaine. “Does Serious Journalism Have a Future in Canada?” Public Policy Forum, 2016.

[19] Altay., S., Hose E. & Wojcieszak M. (2024) News on Social Media Boosts Knowledge, Belief Accuracy, and Trust. Preprint.