Meilleures pratiques pour améliorer la couverture médiatique du crime

Pour contrer les biais structurels et les figures narratives sensationnalistes qui dominent actuellement la couverture médiatique du crime, les salles de rédaction doivent volontairement réorienter leurs pratiques vers la reddition de comptes, la contextualisation et l’humanisation des personnes concernées. Améliorer la couverture médiatique du crime exige que les journalistes redéfinissent leur mission et privilégient l’analyse structurelle aux dépens des détails anecdotiques.

Réévaluer les sources et remettre en question les récits officiels

Une pratique fondamentale consiste à examiner de manière critique la dépendance traditionnelle envers les forces de l’ordre et les sources officielles, qui poursuivent souvent des objectifs organisationnels précis[1].

  • Les salles de rédaction ne devraient pas se limiter à la police, aux procureurs et aux responsables de l’administration pénitentiaire comme seules sources en matière de sécurité publique. Les journalistes devraient également donner la parole à des membres de la communauté reconnus comme experts, ainsi qu’à des spécialistes de la santé et de la santé publique (autres que les représentants des forces de l’ordre). Ces experts non policiers sont essentiels pour expliquer les causes structurelles de la criminalité et proposer des solutions.
  • Les déclarations provenant de policiers ou de procureurs doivent être vérifiées ou contextualisées. Si des services ou des responsables ont déjà émis de fausses informations, ils ne devraient pas être cités sans avertissement. De plus, les journalistes doivent divulguer les liens avec les forces de l’ordre ou autres conflits d’intérêts, par exemple en précisant qu’un « expert en sécurité » a été policier pendant vingt ans[2]. Employer la formule « La police a déclaré avoir retardé l’intervention » est techniquement plus exact que d’écrire « La police a retardé l’intervention » sans attribution, ce qui évite de répéter la version policière sans recul critique[3].
  • Il faut éviter d’employer un langage qui obscurcit les responsabilités, en particulier dans les cas de violences policières. Cela implique d’éviter la voix passive, la nominalisation (« fusillade impliquant un policier ») et les verbes intransitifs[4].
  • Journalistes et rédacteurs devraient s’autoévaluer en se posant des questions critiques sur leur couverture de l’actualité :
    • Pourquoi ce sujet est-il jugé digne d’intérêt alors que d’autres sujets portant sur des préjudices sont ignorés?
    • Quelles sources ont été interrogées et quels points de vue ont été laissés de côté?
    • Le degré d’attention accordé correspond-il réellement à l’ampleur du préjudice social causé?
    • Comment l’histoire aurait-elle pu être racontée par d’autres groupes de sources offrant des perspectives différentes[5]?

Mettre en contexte

Plutôt que de présenter la criminalité comme une série d’événements isolés causés par de « mauvaises personnes[6] », la couverture médiatique devrait mettre l’accent sur les causes systémiques et les solutions.

  • Les journalistes devraient s’éloigner des définitions individualistes du crime en présentant, par exemple, la violence armée comme un problème structurel. Cela suppose d’expliquer les facteurs qui alimentent les inégalités, comme le racisme systémique, la pauvreté concentrée et le manque d’accès aux soutiens sociaux, plutôt que de se limiter à la description de l’ampleur du problème.
  • La couverture devrait partir d’une situation individuelle, mais offrir aussi un contexte. Elle devrait inclure des informations ou des ressources qui font partie de la solution. Par exemple, les journalistes devraient mentionner le travail accompli pour mettre fin à la violence armée et évoquer les problèmes structurels qui augmentent les risques d’y être exposé, comme la séparation des familles due à l’incarcération de masse[7].
  • Les salles de rédaction devraient recueillir des données, analyser les tendances criminelles et informer le public avec exactitude. Elles devraient utiliser ces données en contexte pour discuter des tendances ou des effets des choix politiques. Les journalistes devraient aussi rappeler que les fusillades de masse et les violences commises par des inconnus sont rares[8].

Humaniser les victimes et réduire les préjudices

Il a été démontré que la couverture médiatique du crime complique le rétablissement des victimes de traumatismes. Les meilleures pratiques exigent de mettre l’accent sur l’humanité des personnes touchées, tout en évitant le sensationnalisme et la stigmatisation.

  • Les journalistes devraient humaniser les victimes et raconter leur histoire à partir de leurs propres témoignages ou de ceux de leurs proches et de leur communauté, par exemple, en utilisant un langage qui souligne leur humanité comme « fils » ou « père » pour les désigner[9].
  • Pour réduire les préjudices, les journalistes ne devraient pas inclure de détails tels que l’état clinique de la victime, le nombre de blessures par balle ou l’hôpital où elle est soignée, sans avoir d’abord obtenu son consentement. Ils devraient également éviter les images explicites de la fusillade ou de la scène du crime[10], de même que tout langage sensationnaliste ou toute dramatisation de situations traumatisantes[11].
  • Certaines salles de rédaction ont déjà adopté des changements positifs, comme l’abandon de l’usage systématique des photos d'identité judiciaire ou la mise en place de procédures permettant au public de demander le retrait d’articles[12]. Les médias d’information doivent examiner en permanence leurs pratiques éditoriales, en gardant à l’esprit que la couverture médiatique ne doit pas se limiter à ce qui est « intéressant », mais viser ce qui est véritablement significatif pour les consommateurs d’information[13].

 


 

[1] Bennett, L., & Karakatsanis, A. (2025) Building a Better Beat: A New Approach to Public Safety Reporting. The Center for Just Journalism.

[2] Bennett, L., & Karakatsanis, A. (2025) Building a Better Beat: A New Approach to Public Safety Reporting. The Center for Just Journalism.

[3] Malone, E. (2023) We Need to Abolish The Past Exonerative Tense In Stories About Police Killings, Traffic Violence. Buzzfeed News.

[4] Moreno-Medina, J., Ouss, A., Bayer, P., & Ba, B. A. (2025). Officer-involved: The media language of police killings. The Quarterly Journal of Economics, 140(2), 1525-1580.

[5] Karakatsanis, A. (2025) Copaganda. The New Press.

[6] Ludwig, J. (2025). Unforgiving Places: The Unexpected Origins of American Gun Violence. In Unforgiving Places. University of Chicago Press.

[7] (2024) Better Gun Violence Reporting: A Toolkit for Minimizing Harm. FrameWorks.

[8] Thompson-Morton, C. (2024) Newsrooms working to transform their crime coverage are seeing the payoffs. Poynter.

[9] Lohmeyer, S. (2023) What the media often misses when they cover cases of police violence. Grid.

[10] (2024) Better Gun Violence Reporting: A Toolkit for Minimizing Harm. FrameWorks.

[11] (2024) Better Gun Violence Reporting: A Toolkit for Minimizing Harm. FrameWorks.

[12] Chappell, T., & Rispoli M. (2020) Defund the Crime Beat. NiemanLab.

[13] Thompson-Morton, C. (2024) Newsrooms working to transform their crime coverage are seeing the payoffs. Poynter.