Normes et pratiques de l’actualité criminelle
La production de l’actualité criminelle est « invariablement le résultat d’un long processus de sélection où la matière brute est triée, façonnée, éditée et recréée[1] ». Les choix effectués au cours de ce processus privilégient souvent la facilité de production, le sensationnel et les discours policiers.
Facilité et rentabilité
La couverture des crimes est souvent retenue parce qu’elle est peu coûteuse et facile à réaliser, « permettant aux salles de rédaction de produire du contenu plus rapidement »[2]. Elle met généralement l’accent sur des « incidents de violence rares mais spectaculaires »[3].
Sensationnalisme
La décision de ce qui est « digne d’intérêt médiatique » dépend à la fois des processus de production des médias d’information et des habitudes de consommation du public. L’accent est ainsi souvent mis sur des événements rares et spectaculaires :
- Accent sur la violence : l’actualité criminelle locale se concentre largement sur les crimes violents : « 75 % des nouvelles locales sur la criminalité concernent un crime violent, tandis que seulement 17 % portent sur un crime contre les biens », alors même que ces derniers sont beaucoup plus fréquents[4]. Cette focalisation est alimentée par la mentalité bien ancrée du « sang fait vendre », et par la nécessité d’attirer l’attention dans les médias commerciaux[5].
- Omission de la criminalité en col blanc : aux États-Unis, la couverture médiatique se concentre de façon disproportionnée sur les « crimes indexés » (le sous-ensemble restreint de crimes recensés par la police)[6]. D’autres infractions qui touchent pourtant des millions de personnes et causent des préjudices considérables, comme le vol de salaires, la discrimination en matière de logement, la fraude fiscale ou les rejets illégaux de produits chimiques, bénéficient de beaucoup moins de visibilité[7]. Par exemple, une vidéo virale de 21 secondes montrant un vol à l’étalage a donné lieu à 309 articles publiés en un mois, tandis qu’un accord de 4,5 millions de dollars pour vol de salaires impliquant Walgreens n’a pratiquement pas été couvert dans les médias généralistes[8]. Bien que Statistique Canada publie des données sur l’ensemble des crimes déclarés par la police, on observe des tendances similaires dans la couverture : les crimes violents reçoivent davantage d’attention, même lorsqu’ils sont en baisse, alors que des infractions comme la fraude sont moins couvertes, même lorsqu’elles sont en hausse[9].
Dépendance excessive aux sources officielles
Une pratique centrale dans la couverture de l’actualité criminelle est la dépendance excessive aux sources « officielles » et accréditées. Les salles de rédaction s’appuient fréquemment presque exclusivement sur la police, les procureurs et d’autres représentants du système judiciaire, considérés comme des experts. Cette habitude remonte à l’époque où les journaux envoyaient leurs reporters dans les postes de police pour alimenter la rubrique des faits divers[10]. Aujourd’hui, cette dépendance est renforcée par le fait que « l’industrie des relations publiques policières, qui pèse plusieurs milliards de dollars, excelle à fournir du contenu » aux journalistes : photos, vidéos et déclarations, ce qui fait de leur point de vue « la solution de facilité » pour les médias[11]. Cette pratique permet ainsi aux autorités judiciaires « d’influencer de manière disproportionnée la perception de la sécurité dans les communautés[12] ».
Propos non remis en question et non vérifiés
Les déclarations des policiers et des procureurs dominent souvent la couverture médiatique, et leurs propos « ne sont pas toujours vérifiés ni replacés dans leur contexte ». La couverture initiale d’événements très médiatisés, comme la fusillade à l’école d’Uvalde, a ainsi relayé « une multitude de fausses affirmations de la police qui ont ensuite été démenties ». En s’en référant à la police, les journalistes risquent de devenir « le relais de communication des forces de l’ordre[13] ».
[1] Cere, R., Jewkes, Y., & Ugelvik, T. (2013). Media and crime: a comparative analysis of crime news in the UK, Norway and Italy. In The Routledge handbook of European criminology (pp. 266-279). Routledge.
[2] Thompson-Morton, C. (2024) Newsrooms working to transform their crime coverage are seeing the payoffs. Poynter.
[3] Legum, J., & Crosby R. (2025) Why you might not know that 2024 was Americas safest year since the 1960s. Substack.
[4] Mastrorocco, N., & Ornaghi, A. (2025). Who watches the watchmen? Local news and police behavior in the United States. American Economic Journal: Economic Policy, 17(2), 285-318.
[5] Deggans, E. (2020) Eric Deggans on How to Cover Race Without Perpetuating Prejudice. Nieman Reports.
[6] Bennett, L., & Karakatsanis, A. (2025) Building a Better Beat: A New Approach to Public Safety Reporting. The Center for Just Journalism.
[7] Brennan, C. (2023) The Twisted History of the American Crime Anxiety Industry. The Nation.
[8] Keehner, S. (2021) Shoplifting Is Big News; Stealing Millions From Workers Is Not. FAIR.
[9] (2023) Misrepresenting the data on crime. The John Howard Society.
[10] Tameez, H. (2022) What types of local news stories should be automated? The Toronto Star is figuring it out. Nieman Lab.
[11] Golding, Y.T.R. (2025) The Media’s Role in Spreading Copaganda. Columbia Journalism Review.
[12] Bennett, L., & Karakatsanis, A. (2025) Building a Better Beat: A New Approach to Public Safety Reporting. The Center for Just Journalism.
[13] Bennett, L., & Karakatsanis, A. (2025) Building a Better Beat: A New Approach to Public Safety Reporting. The Center for Just Journalism.