Meilleures pratiques en journalisme en santé et en sciences
Les meilleures pratiques suivantes servent de guide aux journalistes afin de les aider à éviter les pièges de l’exagération, du manque de vérification et du cadrage biaisé, inhérents à la production de l’information contemporaine.
Garantir l’exactitude et le contexte scientifique
Un journalisme scientifique de qualité doit refléter la réalité de la démarche scientifique : elle n’est pas « une succession de faits et de percées, mais une avancée chaotique qui tend progressivement à réduire l’incertitude[1] ».
Contextualiser les nouvelles découvertes : les journalistes doivent « situer de façon raisonnable toute nouvelle recherche en santé ou en médecine dans le contexte des travaux antérieurs menés dans le même domaine[2] ». Il est essentiel de communiquer que la découverte scientifique est un processus, et non un événement ponctuel. Si une nouvelle étude contredit le consensus scientifique établi, l’article doit le préciser clairement.
Préciser les limites et les risques des études : de nombreux articles sur les médicaments omettent de mentionner les effets secondaires ou les risques potentiels, la taille de l’échantillon étudié, ou encore le fait que l’étude a été réalisée uniquement sur des souris. Lorsqu’ils rendent compte des risques liés à un traitement particulier (p. ex. les soins de transition de genre), les journalistes doivent les mettre en perspective avec les risques associés à l’absence de ce traitement.
Cadrage et langage éthiques dans la couverture médiatique
Le langage utilisé dans les titres et les accroches influence fortement la perception du public. Les journalistes doivent veiller à ce que leur cadrage soit conforme aux preuves disponibles et évite toute exagération.
Éviter le langage hyperbolique : les journalistes devraient éviter d’exagérer la nouveauté ou l’importance de nouvelles études dans les titres et le corps des articles, ou encore d’utiliser des mots et expressions tels que « percée », « révolutionnaire », « qui change la vie », « qui change la donne », « historique », « miracle » ou « Saint Graal ».
Distinguer corrélation et causalité : si une étude ne montre qu’un lien entre deux variables (une corrélation), les journalistes doivent éviter de suggérer qu’il s’agit d’un lien de cause à effet, comme dans « Une nouvelle étude montre qu’un sommeil court peut causer une prise de poids », à moins que la recherche ait effectivement démontré une relation causale. Ils devraient plutôt privilégier une formulation indiquant un lien moins direct, comme : « Une nouvelle étude montre qu’un sommeil court est lié (ou associé, ou corrélé) à une prise de poids. »
Vérification des sources et des preuves
L’une des questions fondamentales en littératie médiatique est : « Qu’est-ce qui manque? » En journalisme scientifique, cette question s’applique de façon cruciale au processus de vérification.
Examiner la qualité des preuves : cela comprend l’évaluation de la validation par les pairs et du type de données présentées, par exemple, s’agit-il d’une étude expérimentale ou longitudinale? ainsi que l’explication de leurs limites. Les journalistes doivent poser des questions critiques sur la méthodologie, comme : « Quelle est la taille de l’échantillon? » ou « Que mesure-t-on exactement, et est-ce une façon valide de le mesurer? »[3].
Vérifier les experts et rechercher des avis indépendants : avant de citer un expert, les journalistes doivent toujours « se demander s’il n’a pas de biais susceptibles d’influencer ses propos[4] ». Si un expert peut tirer profit d’une couverture médiatique positive, ce conflit d’intérêts doit être signalé aux lecteurs. Si les conflits sont trop importants, les journalistes peuvent choisir de ne pas l’inclure. Selon Teddy Rosenbluth, journaliste au New York Times spécialisé dans la désinformation en santé et en médecine, une bonne pratique essentielle est de solliciter « des experts indépendants qui ne sont pas impliqués dans la recherche ou dans l’actualité couverte[5] ». Ces experts peuvent aider à contextualiser une nouvelle découverte et à identifier les failles dans la méthodologie de l’étude.
Rester sceptique face aux communiqués de presse : l’exigence de produire de l’« information en temps réel » entraîne une forte dépendance aux communiqués de presse[6]. Les journalistes doivent garder à l’esprit que ces communiqués sont rédigés par des entreprises ou des universités pour promouvoir leurs travaux et qu’ils peuvent, par conséquent, en exagérer l’importance. Les journalistes devraient rechercher des points de vue supplémentaires et diversifiés afin de présenter un portrait plus équilibré et veiller à ce que leur article repose sur les résultats réels et non seulement sur le communiqué.
Couverture des sujets de santé et de sciences politisés
Lorsqu’ils traitent de sujets où les débats politiques s’opposent au consensus scientifique (comme le réchauffement climatique, la vaccination ou les soins de transition de genre), les normes journalistiques traditionnelles comme l’« équilibre » peuvent devenir une source de biais.
Éviter le faux équilibre : la norme journalistique de l’équilibre est fondamentalement problématique lorsqu’elle est appliquée à la science. Comme indiqué plus haut, cette pratique peut donner à tort l’impression qu’il existe un débat entre scientifiques sur des sujets où un fort consensus est établi. Comme le dit Rick Weiss, directeur de SciLine (une organisation visant à mettre en relation journalistes et scientifiques) : « Quand les preuves sont accablantes et montrent qu’une chose est vraie et qu’une autre ne l’est pas, ce n’est pas le moment d’accorder une couverture égale aux deux[7]. » Les journalistes devraient plutôt rendre compte du consensus scientifique solide; des recherches démontrent que même parmi les personnes ayant des convictions opposées, le fait de connaître l’existence de ce consensus peut corriger des idées fausses[8].
Trouver sa « mangue » : lorsqu’ils couvrent des enjeux larges comme le réchauffement climatique, les journalistes devraient chercher à relier le sujet à la vie quotidienne en utilisant des techniques comme celle de « trouver la mangue », c’est-à-dire la façon dont le sujet affecte les gens localement et émotionnellement, comme son impact sur la récolte de mangues en Égypte[9].
Donner la priorité aux voix concernées et au contexte : lorsqu’ils couvrent des sujets sensibles et politisés en santé, les journalistes devraient s’efforcer d’interroger les personnes directement concernées par les traitements, comme les enfants transgenres eux-mêmes, puisqu’ils sont « experts de leur propre expérience[10] ».
Penser au-delà de la « rubrique science » : les enjeux de santé et de sciences qui ont un impact généralisé, comme le réchauffement climatique ou les pandémies, devraient être clairement intégrés à tout reportage où ils sont pertinents. Les journalistes, quelle que soit leur spécialité, peuvent recourir à l’outil du “paragraphe climat” en insérant, dans leurs articles d’actualité, un contexte reliant les phénomènes météorologiques extrêmes aux changements climatiques[11].
[1] Yong, E. (2021) What even counts as science writing anymore? The Atlantic.
[2] Treharne, T., & Papanikitas, A. (2020). Defining and detecting fake news in health and medicine reporting. Journal of the Royal Society of Medicine, 113(8), 302-305.
[3] Satyanarayana, M. (2022) How to critically evaluate scientific claims before pursuing a story. The Open Notebook.
[4] Rosenbluth, T. (2025) How Do Times Health Reporters Choose Experts? The New York Times.
[5] Rosenbluth, T. (2025) How Do Times Health Reporters Choose Experts? The New York Times.
[6] Dempster, G., Sutherland, G., & Keogh, L. (2022). Scientific research in news media: a case study of misrepresentation, sensationalism and harmful recommendations. Journal of Science Communication, 21(1), A06.
[7] Robins-Early, N. (2021) How anti-vaxxers and ivermectin advocates have co-opted US local news. The Guardian.
[8] Van Stekelenburg, A., Schaap, G., Veling, H., van’t Riet, J., & Buijzen, M. (2022). Scientific-consensus communication about contested science: A preregistered meta-analysis. Psychological Science, 33(12), 1989-2008.
[9] Arguedas Ortiz, D., & Dunn K. (2024) Find your mango and 13 other things we’ve learned about how to report on climate change. NiemanLab.
[10] Imbler, S., quoted in Santora, T. (2023) How to Report on Healthcare for Trans Youth Accurately and Sensitively. Open Notebook
[11] Arguedas Ortiz, D., & Dunn K. (2024) Find your mango and 13 other things we’ve learned about how to report on climate change. NiemanLab.