Éléments essentiels du genre journalistique

« L’actualité est censée être un miroir tendu au monde, mais le monde est bien trop vaste pour tenir dans notre miroir. La tâche fondamentale des médias, jour après jour, est de décider quoi couvrir, c’est-à-dire de décider ce qui est digne d’intérêt. »

Ezra Klein, Why We’re Polarized

L’actualité se définit par ce qui est jugé digne d’intérêt, un critère qui a évolué au fil du temps. Traditionnellement, une nouvelle est considérée comme digne d’intérêt si elle est inhabituelle, comme le résume l’adage de Jesse Lynch Williams : « « Un chien mord un homme, ce n’est pas une nouvelle; un homme mord un chien, ça l’est[1]. » D’autres facteurs pris en compte par les journalistes et les rédacteurs incluent notamment : 

  • La concurrence : que publient les autres journaux ou médias d’information aujourd’hui? Les journalistes n’aiment pas se faire « devancer » sur une nouvelle, et certaines décisions de couverture de l’information sont prises pour éviter d’être devancés ou à la traîne. Si une nouvelle devient « tendance » ou « virale » sur les médias sociaux, la pression sera forte pour la couvrir également.
  • Le conflit et le drame : les sujets comportant un conflit ou présentés de façon dramatique permettent de capter et de maintenir l’attention du public[2]. Par exemple, la négociation d’une convention collective par un syndicat n’est sans doute pas jugée digne d’intérêt, mais si ce syndicat déclenche une grève, cela peut le devenir[3].
  • Le caractère d’actualité : l’actualité a une durée de vie courte. Plus un événement remonte dans le temps, moins il a de chances d’être couvert. Même un article d’opinion ou d’analyse a besoin d’un « angle d’actualité » pour se rattacher à un sujet récent jugé digne d’intérêt[4].
  • L’intérêt humain : des nouvelles qui suscitent l’émotion et font écho à des expériences universelles[5].
  • Les répercussions et les conséquences : plus une nouvelle touche de personnes ou entraîne de grandes répercussions[6], plus elle est jugée digne d’intérêt. La fermeture de l’unique usine d’une ville aura davantage de poids que deux licenciements isolés. Les catastrophes, qui laissent des victimes blessées et des familles sans abri, sont considérées comme des nouvelles majeures. À l’inverse, le lancement réussi d’un télescope spatial de plusieurs milliards de dollars ne sera médiatisé que lors d’une journée creuse, mais s’il explose sur la rampe de lancement, cela fera assurément la une[7].
  • La nouveauté et l’exception : l’actualité met souvent en avant ce qui est inhabituel ou sort de l’ordinaire[8]. Ainsi, les événements fréquents, comme les accidents de voiture, sont rarement rapportés, tandis que des événements plus rares, comme un accident d’avion, le sont[9]. (Les journalistes parlent de l’effet « Hé Martha! » pour désigner une nouvelle qui donne envie au lecteur d’en parler immédiatement à quelqu’un d’autre.)
  • La notoriété et la personnalisation : les nouvelles portant sur des personnes précises, en particulier des personnalités publiques, sont généralement jugées plus dignes d’intérêt que celles qui concernent des groupes ou des systèmes[10].
  • La proximité : à quel point une nouvelle est-elle proche de son public? Les événements situés plus près géographiquement du lectorat sont souvent priorisés[11]. Ce principe ne s’applique pas seulement à la distance, mais aussi à l’identité : si le public ne peut pas s’identifier aux personnes concernées, il sera moins enclin à s’y intéresser. C’est pourquoi une nouvelle doit généralement comporter un certain intérêt humain pour être jugée digne d’intérêt. Par exemple, une tempête qui abat quelques arbres dans une forêt ne serait sans doute pas considérée comme une nouvelle en soi, mais si certains de ces arbres s’abattent sur une maison, ou s’ils appartiennent à une plantation d’arbres de Noël, cela pourrait le devenir[12].
  • La spécificité : les nouvelles portant sur un événement précis ont plus de chances d’être jugées dignes d’intérêt que celles liées à un phénomène continu, et celles qui concernent des personnes identifiées sont considérées comme plus dignes d’intérêt que celles qui portent sur des groupes ou des systèmes[13].
  • Les détails et images marquants : les nouvelles accompagnées de photos ou de vidéos percutantes sont souvent jugées plus dignes d’intérêt[14].

À l’ère numérique, d’autres facteurs influencent le caractère digne d’intérêt d’une nouvelle, comme sa viralité sur les médias sociaux ou le fait qu’elle soit déjà reprise par d’autres médias, créant ainsi un cycle de couverture auto-alimenté[15].

Sous-genres

L’actualité peut être divisée en deux grandes catégories : les informations choc et les informations courantes.

Les informations choc désignent les nouvelles où le facteur temps est essentiel. Dans ce type de couverture, la tâche des journalistes et des rédacteurs consiste à transmettre le plus rapidement possible les détails de l’événement (quoi? à qui? quand? où? pourquoi? et comment?), idéalement le jour même ou, au plus tard, le lendemain. Le crime, la politique et les affaires sont généralement considérés comme des informations choc.

Les informations courantes ne sont généralement pas sensibles au facteur temps ni nécessairement liées à un événement majeur. Un journal quotidien cherche à proposer un mélange de nouvelles locales et nationales, d’informations choc et courantes, afin d’assurer de la variété et de répondre à tous les centres d’intérêt. Le divertissement, la mode et les tendances sont des exemples typiques d’informations courantes.

Certains sujets peuvent relever des informations choc ou des informations courantes selon le contexte. Un article de santé sur un nouveau virus qui se propage largement serait ainsi classé dans les informations choc, tandis qu’un article expliquant comment mieux dormir relèverait plutôt des informations courantes.

Certains médias publient aussi des articles d’analyse. Contrairement à un éditorial ou à un texte d’opinion, ceux-ci ne prennent généralement pas position, mais proposent plutôt l’interprétation d’un journaliste spécialisé sur ce qui se passe dans l’actualité. (On les appelle parfois des « articles explicatifs ».)

Il existe également des sous-genres de l’information liés à des rubriques spécifiques : consultez les sections sur l’actualité criminelle et sur l’actualité en santé et en sciences pour une analyse plus approfondie de ces sous-genres.


[1] Willams, J.L. (1899) The Stolen Story and Other Newspaper Stories. Charles Scribner’s Sons, New York

[2] Tully, M., Maksl, A., Ashley, S., Vraga, E. K., & Craft, S. (2022). Defining and conceptualizing news literacy. Journalism, 23(8), 1589-1606.

[3] Tully, M., Maksl, A., Ashley, S., Vraga, E. K., & Craft, S. (2022). Defining and conceptualizing news literacy. Journalism, 23(8), 1589-1606.

[4] Robert, R. (2007). Media-made criminality: the representation of crime in the mass media. Maguire, M. et al, 302-340.

[5] Compton, J. R. (2004). The integrated news spectacle: A political economy of cultural performance (Vol. 6). Peter Lang.

[6] Tully, M., Maksl, A., Ashley, S., Vraga, E. K., & Craft, S. (2022). Defining and conceptualizing news literacy. Journalism, 23(8), 1589-1606.

[7] Tully, M., Maksl, A., Ashley, S., Vraga, E. K., & Craft, S. (2022). Defining and conceptualizing news literacy. Journalism, 23(8), 1589-1606.

[8] Fallows, J. (2022) ‘Framing the News’: An Update.

[9] Fallows, J. (2022) ‘Framing the News’: An Update.

[10] Hackett, R. A., Gruneau, R. S., Gutstein, D., & Gibson, T. A. (2000). The missing news: Filters and blind spots in Canada's press. University of Toronto Press.

[11] Evensen, B. J. (2008). The responsible reporter: Journalism in the information age. Peter Lang.

[12] Evensen, B. J. (2008). The responsible reporter: Journalism in the information age. Peter Lang.

[13] Hackett, R. A., Gruneau, R. S., Gutstein, D., & Gibson, T. A. (2000). The missing news: Filters and blind spots in Canada's press. University of Toronto Press.

[14] Robert, R. (2007). Media-made criminality: the representation of crime in the mass media. Maguire, M. et al, 302-340.

[15] Klein, E. (2020). Why we're polarized. Simon and Schuster.