Lecture attentive des médias

Pour l’actualité, peut-être plus que pour tout autre type de source, il est essentiel de suivre les deux étapes du tri de l’information : d’abord la lecture d’accompagnement, pour déterminer si une source mérite qu’on s’y attarde, puis la lecture attentive, pour s’assurer de bien tout saisir.

Pour tester votre compréhension de l’actualité, jouez à notre quiz sur les nouvelles.

Après avoir suivi les étapes de lecture d’accompagnement de HabiloMédias pour vérifier qu’une source est globalement fiable, appliquez ensuite les étapes de lecture attentive afin de lire entre les lignes de l’information :

Demandez-vous : s’agit-il d’une nouvelle ou d’un article d’opinion? La distinction n’est pas toujours évidente : un article d’actualité fiable peut parfois contenir de l’analyse (l’interprétation des faits par le journaliste), mais il doit toujours reposer principalement sur des faits vérifiables, idéalement accompagnés de leurs sources, afin que vous puissiez les vérifier vous-même.

Apprenez comment les nouvelles sont produites. Les recherches ont démontré que plus les gens comprennent comment l’industrie de l’information fonctionne, plus ils sont en mesure de déceler les fausses nouvelles et de reconnaître les biais[1].

Soyez attentifs au cadrage. Même si la plupart des médias d’information légitimes ne sont pas biaisés politiquement, chaque article est influencé par les attitudes, les présupposés et l’expérience de ses journalistes, auteurs, photographes et rédacteurs en chef. Tous ces éléments influencent la manière dont un article est cadré : le même article, contenant les mêmes faits de base, peut être cadré de manière totalement différente, en fonction des informations incluses ou omises, soulignées ou minimisées, et de la manière dont les choses sont décrites. Un titre indiquant que les décès de policiers ont augmenté de 55 % en 2021, par exemple, sera probablement interprété très différemment s’il omet de dire que la majeure partie de cette hausse est attribuable à des maladies liées à la COVID-19[2].

La façon dont une nouvelle est cadrée influence notre manière de penser un sujet. Une étude a montré que les lecteurs ont réagi très différemment à un article sur une marche d’un groupe haineux selon qu’elle était présentée comme une question de liberté d’expression ou comme un enjeu d’ordre public[3]. Les changements dans le cadrage d’un enjeu peuvent aussi transformer la manière dont la société le traite : par exemple, le passage de la perception du tabagisme comme problème individuel de santé à celle d’un enjeu de santé publique a complètement modifié notre approche collective pour y faire face. Le cadrage peut également être utilisé pour susciter des émotions ou faire appel à nos valeurs, comme lorsqu’une mesure de santé publique est présentée comme une atteinte à la liberté[4].

La même nouvelle, rapportée avec les mêmes faits, peut être cadrée de façon totalement opposée. Par exemple, à la suite d’un ouragan, un titre indiquait que l’électricité avait été rétablie dans 90 % de la Louisiane, tandis qu’un autre indiquait que 10 % de l’État était encore privé d’électricité. Les deux titres et les deux articles sont exacts : qu’ils soient considérés comme une bonne ou une mauvaise nouvelle dépend de la manière dont chaque média la présente.

Le simple fait de voir un cadrage répété nous incite à adopter ce cadre de lecture. Plus nous voyons de reportages sur la criminalité, par exemple, ou plus nous voyons d’articles d’opinion qui présentent les problèmes comme des conflits qui opposent « nous » à « eux », plus nous sommes susceptibles de voir des articles qui n’utilisent pas explicitement ces cadres de cette manière. Le cadrage peut influencer notre capacité d’assimiler de nouvelles informations ou de modifier nos convictions en réponse à celles-ci : nous sommes beaucoup plus susceptibles d’écarter les informations qui ne correspondent pas à notre cadrage actuel. Nous sommes également moins susceptibles de voir des choses qui ne correspondent pas du tout à nos cadres culturels plus larges puisqu’elles sont moins susceptibles d’être considérées comme dignes d’intérêt « non pas parce que des éléments sont précisément supprimés, mais parce que beaucoup d’éléments ne vont pas dans le sens de la culture »[5].

La chercheuse Jennifer Mercieca, spécialiste en rhétorique politique, recommande d’observer la page d’accueil d’un média et d’observer :

  • Quelles nouvelles apparaissent en haut de la page.
  • Comment les titres orientent la façon dont vous lisez l’article.
  • Comment les images influencent votre lecture de l’article.
  • Qui est présenté comme un héros et qui est présenté comme une menace.
  • Comment ces éléments suscitent de l’indignation ou d’autres émotions fortes[6].

L’endroit et le moment de la parution d’un article jouent un rôle important dans le cadrage. Les lecteurs de journaux considèrent que les articles de la première page sont plus importants que ceux qui sont enterrés à la toute fin. Les journaux télévisés et radiophoniques présentent les sujets les plus importants en premier et les autres plus loin dans le bulletin. Les actualités en ligne placent les articles les plus importants sur la page d’accueil, et les gens ont tendance à croire que les nouvelles qui nous parviennent par le biais de nos médias sociaux sont forcément importantes. Le parti pris par placement peut également être présent lorsqu’un article est placé près d’un autre article. En plaçant une nouvelle près d’un article d’opinion sur le même sujet ou d’une caricature politique sur le sujet de l’article, notre façon de la lire s’en trouve influencée.           

Soyez attentif aux sujets (et aux personnes) qui font la une des journaux, et à ce qui n’en fait pas partie. Dans un article donné, certains détails peuvent être ignorés, et d’autres inclus, pour donner aux lecteurs ou aux téléspectateurs une opinion différente sur les événements rapportés. Par exemple, dans ce titre, l’éléphant et le lieu où l’événement s’est produit sont nommés, mais l’homme que l’éléphant a chatouillé n’est qu’un « journaliste kenyan » (il s’appelle Alvin Kaunda).

Par exemple, une étude comparant la couverture des personnes transgenres par le Washington Post et le New York Times a révélé que le Post publiait plus d’articles sur le sujet et était plus susceptible de les mettre en première page, mais qu’il s’agissait plus souvent d’articles d’actualité au sujet des personnes transgenres et qu’ils citaient des personnes transgenres, tandis que le Times était plus susceptible de publier des articles présentant les enjeux transgenres comme étant controversés et dans lesquels aucune personne transgenre n’était citée[7].


[1] Guess, A. M., Lerner, M., Lyons, B., Montgomery, J. M., Nyhan, B., Reifler, J., & Sircar, N. (2020). A digital media literacy intervention increases discernment between mainstream and false news in the United States and India. Proceedings of the National Academy of Sciences, 117(27), 15536-15545.

[2] Mastrine, J. (2022) Media Bias Alert: Fox News, NPR Frame Same Story Differently. AllSides.

[3] Nelson, T. E., Clawson, R. A., & Oxley, Z. M. (1997). Media framing of a civil liberties conflict and its effect on tolerance. American Political Science Review, 91(3), 567-583.

[4] Scheibenzuber, C., Neagu, L. M., Ruseti, S., Artmann, B., Bartsch, C., Kubik, M., ... & Nistor, N. (2023). Dialog in the echo chamber: Fake news framing predicts emotion, argumentation and dialogic social knowledge building in subsequent online discussions. Computers in Human Behavior, 140, 107587.

[5] Klein, E. (2020). Why we're polarized. Simon and Schuster.

[6] Mercieca, J. (2025) Frame warfare: The invisible propaganda war. Rhetorical Tricks.

[7] Hollar, J. (2023) NYT’s Anti-Trans Bias—by the Numbers. Fairness & Accuracy in Reporting.