Libre comme le Web

Si Internet a donné un nouveau terrain de chasse aux corporations et publicitaires, il a également ouvert un nouvel espace de convivialité et de coopération aux habitants du « village planétaire ». Wiki, GNU, Creative Commons, Copyleft, … autant de concepts qui sont nés du réseau dans le but d'en rendre l'aspect collaboratif plus libre.

Pour comprendre l'origine de la tendance du « libre », il faut remonter historiquement aux débuts des logiciels.

A l'origine, dans les années 70, les logiciels (software), peu nombreux, ne représentent qu'une valeur ajoutée à l'ordinateur (hardware), ce dernier constituant « ce qu'on vend ». Les acheteurs d'ordinateurs sont généralement des professionnels de l'informatique ou des universitaires, capables eux-mêmes de programmer. Dans cette communauté restreinte, les codes sources des logiciels s'échangent librement, et les utilisateurs eux-mêmes peuvent y accéder pour les modifier ou les développer.

Mais tout change lorsque l'industrie spécifique du logiciel prend son essor, et acquiert une valeur marchande propre avec la « licence d'utilisation de logiciel ». On commence alors à légiférer sur ce qui n'était jusque là qu'une « zone grise » : le code-source se voit attribuer un droit d'auteur, ce qui a pour conséquence qu'il est interdit de copier un logiciel ; il devient également illégal d'accéder au code-source ou de le transformer. Une mesure qui complique grandement la vie des utilisateurs-programmeurs : il leur est à présent impossible de régler eux-mêmes les bogues des logiciels dont ils se servent, et doivent attendre que les modifications viennent de l'éditeur.

C'est à la suite de ce changement de climat que Richard Stallman, programmeur au Massachusetts Institute of Technology, décide de créer la Free Software Foundation, afin de « ramener l'esprit de coopération qui prévalait dans la communauté informatique dans les jours anciens ». Le projet le plus connu de la Free Software Foundation est le projet GNU.

Qu'est-ce qu'un logiciel libre ?

Voilà comment le site GNU décrit ce qu'est un logiciel libre :

« Un « logiciel libre » (free software) se réfère à la liberté, pas au prix. Pour comprendre le concept, vous devez penser à « libre » comme dans « liberté d'expression », pas comme dans « bière gratuite ». (NdT : en anglais, le mot « free » veut dire libre, mais aussi gratuit, d'où la confusion possible).

Les logiciels libres donnent aux utilisateurs la liberté d'exécuter, de copier, de distribuer, d'étudier, de modifier et d'améliorer les logiciels. Plus précisément, cela se réfère à quatre types de liberté pour les utilisateurs de logiciels :

  • La liberté d'exécuter le programme, pour n'importe quel usage (liberté 0).
  • La liberté d'étudier le fonctionnement du programme et de l'adapter à vos besoins (liberté 1). Accéder au code source est une condition pour cela.
  • La liberté de redistribuer des copies pour aider votre prochain (liberté 2).
  • La liberté d'améliorer le programme et de rendre publiques vos améliorations pour que toute la communauté en bénéficie (liberté 3). Accéder au code source est une condition pour cela.»

Si de nombreux logiciels libres sont gratuits, il existe aussi des logiciels libres « qui sont distribués contre rémunération » (terminologie préconisée par Stallman pour la différencier des logiciels propriétaires). Cependant, vendre un logiciel libre ne revient pas à en faire un logiciel propriétaire : le code reste accessible et amendable, et de là, plusieurs personne peuvent se cotiser pour acheter un logiciel et l'installer chacun sur son ordinateur ; ou alors un utilisateur peut copier le programme à partir de la copie d'un ami. Toutes ces situations, qui seraient illégales dans le cas d'un logiciel propriétaire, contribuent à minimiser l'impact économique d'un logiciel libre, même payant.

En 1998, on assiste à une scission au sein de la Free Software Foundation : le mouvement Open source s'en détache. Sans considérer ce mouvement comme un « ennemi », Stallman résume l'opposition en ces termes : « L'Open Source est une méthodologie de développement, Free Software est un mouvement social » (c'est moi qui traduis). En d'autres termes, Free Software revendique une liberté qu'elle considère comme fondamentale (celle de diffuser et remanier des logiciels, comme vous le feriez pour, disons, la plomberie de votre propre salle de bains) ; l'Open Source, quant à lui, a pour motivation principale d'augmenter la qualité du produit. Deux philosophies différentes, mais qui n'empêchent cependant pas les deux mouvements de collaborer à de nombreux projets.

Si le cœur vous dit de creuser la question des différences entre diverses licences Open Source, voici un bon document pour cela.

Quand le libre devient contagieux : la licence Creative Commons

Il n'y a pas que dans le domaine des logiciels qu'on ait ressenti le besoin de « liberté » : certains auteurs, créateurs et artistes ont eux aussi voulu une structure qui leur permette de partager leurs œuvres (CD, livres, etc.) afin d'enrichir le patrimoine commun. C'est sur cette impulsion que s'est créée l'organisation à but non lucratif Creative Commons, symbolisée par le logo CC . Son but est d'encourager de façon simple et licite la circulation des œuvres, l'échange d'idées et la créativité.

Comme l'explique cette vidéo, « au lieu de soumettre toute exploitation des œuvres à l'autorisation préalable des titulaires de droits, les licences Creative Commons permettent à l'auteur d'autoriser à l'avance certaines utilisations selon des conditions exprimées par lui, et d'en informer le public.

Six possibilités combinées autour de quatre pôles définissent les différents usages :

  • Paternité : signature de l'auteur initial (ce choix est obligatoire en droit français) (sigle : BY)
  • Pas d'utilisation commerciale : interdiction de tirer un profit commercial de l'œuvre sans autorisation de l'auteur (sigle : NC)
  • Pas de modification : impossibilité d'intégrer tout ou partie dans une œuvre composite, l'échantillonnage (sampling) par exemple devenant impossible (sigle : ND)
  • Partage des Conditions Initiales à l'Identique : (logo copyleft) partage à l'identique, avec obligation de rediffuser selon la même licence ou une licence similaire (version ultérieure ou localisée) (sigle : SA)

L'encyclopédie en ligne Wikipédia est certainement la plus emblématique des œuvres communautaires, participatives et non commerciales du Web. Lorsque son fondateur, Jimmy Wales, l'a lancée, la licence CC n'existait pas encore ; elle était alors placée sous licence GFDL (Gnu Free Documentation License), conçue pour les documentations de logiciels libres –un pis-aller, dans un contexte où rien de plus approprié n'existait. Aussi, lorsque la licence Creative Commons, plus adaptée, est apparue, l'encyclopédie en ligne l'a adoptée pour tous ses nouveaux contenus. Dans les faits, et pour les utilisateurs, cela ne change pas grand-chose : la copie et la modification du contenu de Wikipédia est autorisée tant qu'on en cite la source.

Le « libre » au Canada

Le Secrétariat du conseil du trésor du Canada note sur son site : « Le Canada semble tirer de l'arrière dans l'adoption des logiciels libres, particulièrement dans le secteur public. »

Sa position en matière de logiciels libres consiste à ne favoriser aucun modèle de gestion logicielle plus qu'un autre (logiciels libres vs commerciaux vs code sur mesure).

Cependant, « Quelques initiatives bien conçues existent dans les secteurs de la santé et de l'éducation. En Colombie-Britannique et au Québec, de vigoureux projets de logiciels libres tentent d'intégrer une suite logicielle complète pour les écoles et à d'autres fins éducatives. »

Le projet MILLE, « Modèle d'Infrastructure de Logiciel Libre en Éducation, a pour but de réduire les coûts d'acquisition et de maintenance des infrastructures matérielles et logicielles, de réduire les coûts de développement et de maintenance des services et d'accroître l'accès à ces derniers tant à l'école qu'à la maison en proposant une architecture logicielle basée sur les logiciels libres. »

A l'école particulièrement, utiliser tel ou tel logiciel a potentiellement des conséquences qui ne sont pas qu'éducatives. On y induit des habitudes d'utilisation, et donc aussi de consommation : le fait de maîtriser tel traitement de texte parce qu'on l'utilise constamment à l'école facilitera son achat pour la maison.

Le logiciel libre (même s'il n'est pas toujours gratuit) minimise cet aspect publicitaire qu'on ne souhaite généralement pas associer au milieu scolaire.

Et au-delà, une politique du libre à l'école peut être l'occasion de sensibiliser les élèves à l'importance croissante de « l'économie du don » sur Internet, et partant, aux coopérations citoyennes.

Un peu de cohérence à tous les étages (infrastructures et contenus de cours) ne peut jamais faire de mal.

Discussion en classe

Ce billet est facilement accessible à la compréhension d'élèves du secondaire. Sa lecture en classe peut servir de point de départ à une discussion plus axée sur la prise de conscience des pratiques libres/propriétaire des membres de la classe :

  • Utilisez-vous des logiciels sous licence GNU ? Lesquels ? (dans le doute, on peut vérifier sur le Net)
  • Si vous les connaissez, quels seraient leurs équivalents en logiciels propriétaires ?
  • Comment ces logiciels libres se comparent-ils aux logiciels propriétaires du point de vue de la qualité ? Des fonctionnalités ?
  • Après avoir lu ce blogue, pensez-vous que la prochaine fois que vous chercherez un logiciel, le fait qu'il soit propriétaire ou non rentrera en compte dans votre choix ? Pourquoi ?
  • Avez-vous déjà contribué à des wiki comme Wikipédia ?
  • Pensez-vous que le fait que tout le monde puisse contribuer à un projet de ce type est un gage de qualité ? Pourquoi ?

Bonne discussion à tous, et n'hésitez pas à en témoigner en laissant un commentaire ici -lequel commentaire peut être rédigé par les élèves, afin de synthétiser leurs idées.