Wikipédia est la ressource en ligne la plus utilisée. C'est la première destination des jeunes pour leurs recherches scolaires – et c'est souvent aussi la seule.
Entreprise communautaire d'ambition, elle est un des phares du Web 2.0 : la publication de ses contenus se fait sans intermédiaire, elle est très simple et instantanée –- la signification même du mot Wiki vient du mot hawaïen « wikiwiki », qui signifie vite.
Mais inévitablement, Wikipédia a les défauts de ses qualités : faites-vous partie des détracteurs de l'encyclopédie en ligne (« Comment peut-on faire confiance à un corpus que n'importe qui peut amender ? ») ou êtes-vous de ceux qui n'hésitent pas à s'y référer ? Vérifiez-vous, ou faites-vous vérifier à vos enfants, vos élèves, le contenu de cette encyclopédie toujours en chantier ?
Il est évident que le caractère ouvert de l'encyclopédie en fait une proie facile aux luttes d'influence, à la propagande et à la désinformation. Mais si les contributeurs agissent sous couvert d'un pseudonyme, ils laissent cependant des empreintes digitales (littéralement) de leur passage, et savoir qui révise quoi est une fenêtre directe sur les batailles idéologiques que notre époque affronte. C'est pour éclairer cette dimension jusque là opaque de l'encyclopédie que Wikiwatcher a vu le jour : fruit de l'étudiant en informatique Virgil Griffith, le site met à la disposition des utilisateurs une base de données qui apparie les millions de corrections et ajouts faits dans Wikipédia aux adresses IP de leurs auteurs, permettant par là de repérer les organisations qui s'emploient activement à corriger les articles les concernant, ou à amender ceux de leurs concurrents.
L'Eglise de Scientologie par exemple, a modifié l'article qui porte sur ses activités, ainsi que celui sur Tom Cruise. Elle a aussi ajouté des liens peu élogieux sur l'association américaine de psychiatrie, qui lui est opposée. Le Vatican a quant à lui cherché à réviser l'article sur le politicien irlandais Gerry Adams, leader du mouvement catholique Sinn Fein, à propos d'une affaire embarrassante. Des ordinateurs du ministère d'Industrie Canada « firent le ménage » sur la page de Jim Prentice au moment où l'ancien ministre de l'Industrie s'apprêtait à présenter l'amendement controversé à la loi sur le droit de copie. Côté corporations, Apple a édité la page de Microsoft pour y ajouter des commentaires négatifs, MySpace a supprimé un paragraphe concernant le piratage de leur site et Walmart a supprimé les critiques concernant sa sous-traitance à l'étranger et l'exploitation de ses employés.
Soit. Mais en tant que pékin nécessitant tout simplement de l'information sur un sujet précis, puis-je faire confiance à Wikipédia ?
Le principe de précaution et de vérification s'applique à Wikipédia – comme à tout site Web, du reste. Mais contrairement aux sites Web courants, Wikipédia est régie par des règles. Car si l'encyclopédie est communautaire, elle est loin d'être anarchique, et sa structure lui donne les moyens de repérer et de contrer les attaques à son intégrité.
Parmi les principes fondateurs de Wikipédia on trouve la neutralité de points de vue et les règles de savoir-vivre. En d'autres termes, les articles de l'encyclopédie se doivent de présenter tous les aspects d'un même problème lorsque cela est nécessaire, le tout se construisant dans un esprit de coopération et de cordialité –dans la partie « discussion » d'un article, les commentaires doivent se focaliser sur le contenu, ne jamais devenir personnels, et chacun doit présumer de la bonne foi des autres.
En cas de doute sur la qualité d'un contenu, les contributeurs ont à leur disposition des bandeaux de maintenance, affichés en tête de l'article, comme « Le ton de cet article est trop promotionnel ou publicitaire », désaveu de neutralité ; ou encore « Cet article est sujet à caution, car il ne cite pas suffisamment ses sources ». Ceci constitue une mise en garde efficace pour le lecteur, de même que l'évaluation affichée en tête de la page de discussion : si l'article y est évalué « ébauche », ou « bon début » (sujet couvert de manière parcellaire), ou même « B » (article complet mais comportant des biais ou nécessitant une clarification), la réserve s'impose.
Enfin, la teneur des discussions relatives à l'article est souvent instructive : si l'article s'est construit dans l'harmonie, sans soulever de vagues insurmontables entre contributeurs, l'article est sans doute équilibré. Par contre, prudence si une polémique éclate dans la page de discussion : plusieurs points de vue se disputent sans doute l'hégémonie. Mauvais pour la neutralité, ça… Généralement, si les opposants n'ont pas réussi à aboutir à une version consensuelle de l'atricle et que les esprits s'enflamment, les Wikipompiers sont appelés à la rescousse : « Les Wikipompiers sont des médiateurs volontaires informels, qui tentent de mettre fin pacifiquement aux guerres d'édition et aux conflits entre utilisateurs en rétablissant un dialogue constructif et de confiance. ». Une visite à la Wikicaserne indique que les campagnes d'intervention actuelles des Wikipompiers se situent notamment sur les pages « Benoît XVI », « Arabes israéliens » et « Mémoire de l'eau ». Plus inattendus sans doute, des feux ont aussi pris sur les articles « Ecole Polytechnique » et « Portail : Alsace »…
Le comité d'arbitrage constitue le dernier ressort d'intervention en cas de conflit : « Le comité d'arbitrage est un groupe de Wikipédiens choisis par la communauté, qui est chargé de régler les conflits entre les participants. Il a le devoir de s'assurer que toutes les possibilités de médiations sont mises en œuvre, et le pouvoir de décider, si nécessaire, des mesures à prendre, qui vont du simple avertissement au blocage temporaire ou définitif des utilisateurs en conflit.(…) Par ailleurs, (…) les membres du comité d'arbitrage désignent les utilisateurs disposant du statut de vérificateur d'adresses IP. »
Aller faire un tour sur la page de discussion d'un article peut donc rapidement donner une idée de sa fiabilité. Cela permet aussi de découvrir une dimension qui n'est jamais présente dans les encyclopédies et ouvrages « papier » : les traits d'ébauche et les tâtonnements du savoir en train de s'organiser. Il est particulièrement intéressant d'attirer les jeunes dans ces coulisses, afin de leur faire ressentir qu'un savoir est une construction, et non une vérité indiscutable et figée. Non un produit fini, mais une matière en devenir, à laquelle tous, même eux, peuvent contribuer.
Et si, pour l'enseignant et ses élèves, la richesse de Wikipédia se trouvait plus dans ce processus d'élaboration que dans le produit fini ? Le théoricien des médias et critique culturel Neil Postman défend l'idée que l'environnement d'apprentissage est plus important que le contenu de cet apprentissage. A une époque où tous les contenus, peu ou prou, sont accessibles depuis Internet, la remarque paraît d'autant plus fondée. Utilisée en classe, Wikipédia pourrait donc devenir une réelle entreprise d'apprentissage pour les élèves : de par son caractère heuristique, l'encyclopédie en ligne est rarement bloquée par les commissions scolaires ou les écoles ; et son authenticité – elle appartient au « monde réel », et non à l'univers distinct de l'école –- peut pallier à la fameuse « crise de sens » dont parle Michael Wesch dans son article Anti-teaching : confronting the crisis of significance : « (…) pour beaucoup d'élèves et d'enseignants, l'éducation est devenue un jeu de notes relativement dénué de sens ». « Lorsque les élèves se rendent compte de leur propre importance à façonner le futur de cette société de plus en plus globale et interconnectée, le problème du sens disparaît. »
Justement, Wikipédia, entreprise communautaire, accueille les nouveaux arrivants à bras ouverts : elle leur a concocté un « bac à sable » pour s'entraîner, s'ils le souhaitent, avant de se lancer dans le terrassement direct d'articles en ligne. Elle exhorte l'utilisateur : « N'hésitez pas à modifier les articles ! Cette règle d'or fait que le projet progresse continuellement par l'initiative personnelle des participants. » ; et elle rappelle que rien n'est irréversible sur Wikipédia, grâce à l'historique. L'entreprise encyclopédique comprend même un système de parrainage des nouveaux, qui permet de tisser la communauté en même temps que le savoir.
Et si Wikipédia est trop ardue pour la collaboration des plus jeunes, Wikimini, destinée aux 8-13 ans, prend le relai. Lancée début octobre 2008, cette initiative d'un enseignant permet « de sensibiliser les enfants aux principes de rédaction de Wikipédia, encyclopédie libre de référence, dont ils seront probablement les rédacteurs de demain ».
Visitée en tant qu'utilisateur, Wikipédia donne, tout au plus, du contenu.
Abordée en tant que contributeur, elle devient à la fois un terrain pour articuler ses connaissances, et un lieu où pratiquer sa citoyenneté numérique.
Si, en reprenant Marshall McLuhan, le médium est le message, Wikipédia est un message d'apprentissage communautaire et de structuration du savoir.
N'est-ce pas là aussi le but de l'école ?