Musique et Internet.

L'industrie de la musique va mal. Et c'est la faute d'Internet.

Pourquoi ? A cause du partage de fichier ( « Peer to Peer », ou encore P2P) –la bête noire des maisons de disques.

Particulièrement populaire auprès des jeunes (ils sont 86 pour cent à télécharger de la musique), cette technique permet à un utilisateur de chercher, puis d'accéder gratuitement à des musiques, des films ou des logiciels par ailleurs payants. Apparu en 1999 le partage de fichiers a tout de suite connu un essor considérable. Le site Napster, inventeur du genre, proposait aux utilisateurs de télécharger et de téléverser des fichiers sur ses serveurs. Les fichiers étaient donc stockés sur les serveurs du site lui-même, et postés, consommés et reproduits par les utilisateurs. Mais il y a un problème : le fait de mettre à disposition du public des fichiers (chansons, logiciels, vidéos, …) qu'on n'a pas achetés est une atteinte au droit d'auteur. Qu'à cela ne tienne, la deuxième génération de P2P sera donc décentralisée : dans ces sites, les internautes sont directement reliés entre eux, et non plus par l'intermédiaire de serveurs centralisés. Le site ne stocke rien lui-même sur ses serveurs. Il facilite l'échange entre particuliers.

Mais les particuliers eux aussi tombent sous le coup de la loi : lorsqu'il pratique le partage de fichier, l'utilisateur canadien enfreint doublement la loi :

  • L'utilisateur contrevient à la loi lorsqu'il copie des fichiers d'autres utilisateurs, alors qu'ils sont protégés par le droit d'auteur. Cependant, la loi autorise la copie d'une œuvre musicale (acquise légalement ou non) si celle-ci est destinée à un usage strictement personnel. Et pour compenser les auteurs du manque à gagner lié à ces copies « sauvages », la loi a instauré pour eux des redevances sur les supports audio vierges (CD, DVD). Le problème, avec l'évolution technologique, et notamment les capacités de stockage des ordinateurs et les lecteurs MP3, c'est que les supports audio vierges sont de moins en moins utilisés pour copier les fichiers.
  • L'utilisateur contrevient à la loi lorsqu'il met à la disposition des autres utilisateurs ses fichiers dûment acquis ; le principe-même du partage de fichier est l'échange : on accède aux fichiers des autres, et on laisse les autres accéder à ses fichiers. Or, en permettant un accès public à des œuvres dont on ne possède pas les droits d'auteur, on contrevient à la loi, puisque l'usage fait du fichier cesse d'être « un usage strictement personnel ». Les dommages et intérêt pour cette infraction vont de 500$ à 20 000 $.

Partout dans le monde, le changement des pratiques liées aux nouvelles technologies, comme celle du P2P, poussent les gouvernements à revisiter leurs lois sur le droit d'auteur. C'est le cas au Canada, où le droit d'auteur est actuellement en train d'être révisé. Certains des enjeux sont bien résumés dans la vidéo ci-dessous, réalisée par la faculté de droit de l'Université d'Ottawa :

En France, la loi Création et Internet (ou loi Hadopi) vient d'être adoptée ; cette loi « sanctionne le partage de fichiers en pair à pair lorsque ce partage constitue une infraction au droit d'auteur. La récidive est punie de manière croissante et le législateur parle de « riposte graduée ». Cette loi crée une « Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet » (Hadopi), organisme indépendant français de régulation qui sera constituée au plus tard le 1er novembre 2009 (article 19 de la loi). » Cette loi continue de semer la controverse, comme l'atteste la page Wikipédia qui lui est consacrée : au moment où j'écris, l'article est frappé du sceau : « Cet article provoque une controverse de neutralité »

Protéger le droit d'auteur, c'est protéger la création. Mais les lois sur le droit d'auteur ne concernent pas que l'auteur…

L'industrie de la musique va mal. Vraiment ?

Le Times labs Blog a publié récemment « Les courbes que l'industrie du disque ne veut pas que vous voyiez ». Le graphe représente la courbe des revenus, de 2004 à 2008, selon les trois secteurs de l'industrie : celui de la musique enregistrée, celui des concerts, et enfin celui des royalties, lorsque la musique est jouée en public. Pour chaque secteur, les différents protagonistes ne se partagent pas les recettes de façon égale : dans le secteur de la musique enregistrée, la plus grosse part revient à l'industrie du disque ; pour les concerts, ce sont les artistes qui empochent le plus.

Ce qui ressort de façon frappante de ce graphe, c'est que, si les ventes de disques ont baissé, constituant un manque à gagner pour les compagnies de disques, les revenus des artistes, eux, ont augmenté de façon substantielle. L'article ne hasarde pas d'hypothèse pour expliquer cela, mais il serait intéressant d'étudier l'influence du P2P sur le succès d'un groupe : en effet, on peut penser que le P2P, en promouvant gratuitement les artistes, leur assurent une forte audience durant les concerts –et c'est justement le secteur où ils touchent le plus gros pourcentage.

En matière de relation au public, il est certain que l'esprit du Web 2.0 ouvre de nouveaux modèles pour les artistes : Serge Soudoplatoff, auteur et professeur à l'HETIC décrit comment Internet est en train de supprimer les intermédiaires entre l'artiste et son public : sur le site Sellaband (littéralement : « Vendez un groupe »), par exemple, vous avez la possibilité d'écouter les musiques de groupes inconnus, qui cherchent à percer. Si leur musique vous plaît, vous pouvez alors soutenir ces musiciens : vous achetez une « part » dans leur groupe, afin de les aider à rassembler les fonds nécessaires à un projet musical (qui peut être un album, une tournée, …).

Jusqu'à récemment, la musique était prisonnière d'un objet, le disque. Il y avait un coût associé à la création de cet objet, à sa promotion et à sa distribution. Avec Internet, la musique s'est émancipée des objets, elle s'est dématérialisée, et le Web 2.0 s'occupe tout seul de sa promotion et de sa distribution.

Jeff Jarvis (aidé par un de ses twitterers) apporte un cadre global qui permet de mieux saisir la façon dont Internet change radicalement la donne économique : « Dans une économie du lien, la valeur vient des créateurs de contenus et des créateurs de liens. Il n'y a pas de valeur associée à la reproduction du contenu. ».

Les créateurs de contenus, ici, ce sont les artistes. Les créateurs de liens d'audience, ce sont les sites de P2P, et avec eux les auditeurs eux-mêmes.

Les reproducteurs… hum… ce sont les maisons de disques.