Les liaisons numériques - survol des réseaux sociaux

Il y a de nombreuses manières de définir Internet, mais je dois vous avouer que je n'avais jamais songé à « empyrée immatériel fait d'octets ». Cette formule vient d'Antonio A. Casilli, un chercheur français (il est aussi socio-anthropologue, usager, sociologue de l'informatique) qui vient de publier Les liaisons numériques aux éditions du Seuil.

Les liens qui se tissent sur le Web semblent fasciner Casilli, comme une tribu découverte au fin fond du monde ravirait un ethnologue. Ainsi, dans un article récent, il parle d'individualisme en réseau. Et lors d'une récente entrevue, il aborde avec plaisir le débat technophile-technophobe. C'est donc dire qu'il est passionné par son sujet. Son regard à la fois critique et positif se promène d'un réseau social à l'autre, dans un ouvrage parsemé d'expressions colorées, où les hackers sont des agités du clavier, et où les Trolls font de la déviance numérique.

Internet est une terre d'exploration fertile pour les sociologues – les habitudes en ligne de la masse des utilisateurs sont une manne pour tous ceux qui aiment analyser. Casilli a effectué un énorme travail de synthèse pour tenter de comprendre ceux qui se branchent au quotidien. Les liens qui se tissent sur le Web sont-ils différents des liens qui se tissent dans la vraie vie ? Sommes-nous tous en train de devenir des « anges électroniques »? Allons-nous vers une désocialisation provoquée par Internet?

Pour répondre à ces trois questions, Casilli fait un survol des habitudes des internautes.Comme il faut expliquer avant d'offrir une analyse, Casilli donne d'abord un aperçu de ce qu'il veut étudier, ce qui va très bien quand il explique l'usage de la messagerie instantanée en Chine QQ pendant un séisme, ou quand il raconte comment Julia, une internaute brésilienne, se sert de son réseau social préféré, Orkut. Par contre, certains passages sont aussi passionnants à lire que les paramètres de confidentialité de Facebook : les internautes moyennement aguerris n'auront pas la patience de suivre le guide pour un tour de Twitter et autres sites bien connus. Casilli nous raconte notre quotidien, ce qui est terriblement banal pour ceux qui vivent ce même quotidien. Doit-il vraiment tout nous dire au sujet d'Internet, en partant de la base pour aller vers des horizons plus protégés, comme les sites pro-ana (dont je parlerai plus tard)?

Casilli semble hésiter entre le chercheur éclairé et le copain qui revient de Corée, enthousiasmé par les réseaux sociaux asiatiques. C'est le dilemme du sociologue internaute qui veut expliquer la sociologie aux internautes et l'Internet aux sociologues. Les parties « savantes » du livre– ceux qui ne sont pas sociologues vont attendre la pause publicitaire pendant qu'il cite Howard Rheingold et Peter Kollock – alternent avec le ton plus familier du vulgarisateur. Je lui sais gré d'avoir parfois choisi de simplifier son discours pour faire passer tous ces concepts sociologiques qui n'intéressent, à vrai dire, que ceux qui sont dans le domaine.

Par contre, lorsque Casilli parle à la première personne et qu'il raconte ses contacts avec des militants (comme l'anarchiste qui explique la révolution sans héros que représente le Web), des étudiants, ou une « internaute consentante », on sent la trépidation du chercheur qui tient une bonne piste.

Il y a tout un chapitre sur le corps, dans lequel Casilli prend position contre ceux qui cherchent noise à Internet : les médecins qui seraient technophobes, les psychologues qui mettent en garde contre les dangers de l'addiction à Internet, etc. Sans sombrer dans une apologie d'Internet, Casilli parle presque avec affection de l'émergence des sous-cultures qui n'avaient aucune visibilité avant l'arrivée d'Internet.

Je vous invite toutefois à lire la section sur les sites pro-ana (pro-anorexie) avec beaucoup de circonspection. Les sites pro-ana peuvent effectivement appuyer ceux qui sont aux prises avec l'anorexie – c'est un des aspects positifs du Web – mais en général, les sites pro-ana ont tendances à glorifier l'extrême minceur plutôt qu'à aider ceux qui en ont besoin.

Certains croient encore que les réseaux sociaux sont des outils antisociaux qui isolent l'internaute, à l'instar des jeunes cloîtrés japonais Hikikomori qui décident de se retrancher du monde. Avec Les liaisons numériques, Casilli démontre l'inverse : les réseaux sociaux sont en train de procéder à une « reconfiguration de notre manière d'être en société », plutôt qu'à une séquestration progressive des membres des sociétés branchées.

Ressources

La section Ce que les parents doivent savoir, de notre site WebAverti, intéressera les parents qui veulent connaître la façon dont leurs jeunes utilisent les réseaux sociaux.

Un tutoriel pour suivre vos enfants en ligne.

La section Représentation des femmes et des filles dans les médias permet de décoder les enjeux des médias lorsqu'il est question de minceur extrême.