Le métaphore matérialiste et le numérique

Une affaire de fraude récente au Colorado touchant sur l'accès aux informations chiffrées est devenue une boîte de Pandore virtuel. Comme de fait, cette analogie n'est certainement pas la plus propice étant donné la situation actuelle. À l'heure présente, les procureurs américains cherchent de contraindre une femme à déchiffrer le disque dur de son ordinateur afin d'aider à la court dans leur poursuite contre elle. Ce cas illustre bien la tension qui existe entre la manière que nous percevons les nouvelles technologies et la réalité de comment elles fonctionnent. En plus, les polémiques touchant à ce sujet démontrent jusqu'à quel point la loi dépend de nos interprétations en ce qui concerne le monde du numérique. La décision du tribunal américain établira une jurisprudence qui pourra sans-doute avoir des implications au Canada. Ce qui rend cette situation tellement importante pour le domaine de la loi numérique c'est que ce sont nos propres perceptions culturelles erronées qui forment le soubassement de la crise légale.

Depuis longtemps nous percevons l'archivage et le chiffrage de fichiers en informatique sous l'optique de métaphores faisant allusion à la vie quotidienne. Afin de figer chez l'usager potentiel un rapport plus familier avec le monde hermétique de l'informatique, nous nous sommes fiés sur une métonymie adoptant l'axe paradigmatique des objets réels. Les vendeurs d'ordinateurs ont un intérêt particulier en la dissémination de ce point de vue et ils en on profiter depuis plusieurs décennies pour rendre leurs produits d'un abord plus facile pour un public non-initié. Les systèmes d'exploitation les plus populaires mettent à contribution ce lien métaphorique entre l'informatique et les caractéristiques de la vie quotidienne. C'est bien en service de rendre la technologie plus accessible et familier que les logiciels comme Windows, Mac OS, et Linux utilisent tous libéralement ces métaphores. Ce n'est pas non plus surprenant que les logiciels qui sont les plus investis en ce type de représentation ont réussi de s'emparer de la plus grande partie du marché et ont fortement contribué à l'épanouissement général de l'informatique au foyer. Notez bien que dans le jargon des systèmes d'exploitation, l'arrière fond de l'écran est dénommé le bureau. De plus, les usagers travaillent avec des fichiers et des documents qu'ils gardent dans des dossiers. Le stockage d'information en ligne est appelé l'informatique en nuage. Encore plus révélateur est le terme informatique dématérialisée, une expression qui présume toujours déjà un caractéristique de matérialité aux données électroniques. Lorsque nous supprimons nos fichiers, on les envoie à la corbeille ou bien à la boîte de recyclage. Bien que ces métaphores matérialistes semblent être sans grande importance, ils révèlent la façon dont nous concevons tout ces 1s et ces 0s codés sur nos disques durs. Bien que cette façon de pensée ait rendu la technologie et l'informatique plus familier et a contribuer à l'adoption générale de l'informatique dans la vie quotidienne, le cas récent au Colorado démontre les effets secondaires inattendus de cette perception. Nous avons intellectualisées ces représentations symboliques à un tel point que nous les avons littéralisées, mettant en exergue la crise épistémologique présente.

Ce sont bien les métaphores dont nous nous avons servis depuis l'inception de l'informatique populaire qui maintenant nous mettent en proie à l'abîme intellectuelle qui est au fond des polémiques au Colorado. Notre savoir collectif soutient que le disque dur d'un ordinateur est un contenant physique dans lequel sont entreposés des documents véritables et que le chiffrement est un genre de cadenas électronique. C'est due à cette interprétation que les procureurs au Colorado demandent maintenant que la court impose à la suspecte de déchiffrer son disque dur afin de permettre aux enquêteurs de « fouiller à l'intérieure» de son ordinateur. Si la métaphore de la matérialité en informatique était apte, il ne serait pas question de demander qu'un ordinateur soit « déverrouiller » de cette manière. Ce n'est rien de polémique pour que les tribunaux imposent aux suspects d'ouvrir leurs coffres-forts, chambres-forts, ou autres barrières physiques capables de cacher des preuves essentielles. La situation au Colorado est, cependant, différente. Malgré la réception commune de la métaphore matérialiste en informatique, les ordinateurs ne sont pas des contenants. En fait, lorsque nous chiffrons nos données numériques, nous n'effectuons pas un stockage mais une transformation. Quand l'usager saisit ses données, elles sont traduites par l'ordinateur en code binaire. Le chiffrement des informations traduit encore une foi le code binaire pour le rendre en texte crypté. Plutôt que d'agir en tant que coffre-fort, l'ordinateur rend la langue de l'usager inintelligible sans que certaines conditions ne soient pas remplis. Le saisissement du mot de passe exact amorce la traduction du texte crypté en la langue de saisissement originale, permettant l'usager de lire le document chiffré. C'est la contradiction décrit ci-dessus entre la perception et la réalité de la numérisation de l'information qui est au cœur de la demande controversée des procureurs au Colorado.

Si nous reconnaissons que les appareils numériques tels que les ordinateurs ne sont pas des boîtes de rangement physiques mais qu'ils sont plutôt des moyens d'informations, nous devons admettre que l'ordinateur n'est pas comme un classeur, mais qu'il est plutôt l'homologue numérique de la fiche de papier sur laquelle les documents sont écrits. L'ordinateur est, après tout, un medium. Les documents numériques sont une langue en-soi et les mots de passe sont comme une Pierre de Rosette numérique qui nous permet de les traduire. Dans ce contexte, la demande qu'une suspecte soit imposée de déchiffrer ses données est l'équivalent de lui forcer de traduire une langue que les enquêteurs ne comprennent pas et c'est ici que la déontologie juridique devient plus embrouillée. Supposons qu'au lieu des documents numériques, la suspecte aurait gardé ses documents écrits sur papier dans une langue que personne sauf elle ne peut comprendre. Dans un tel cas, selon la loi, les enquêteurs n'auraient peut-être pas de recours à demander qu'une suspecte soit imposée de traduire ses documents. Ils auraient certainement le droit de s'engager de l'aide d'experts en langue et en cryptographie, mais il n'est pas certain que la suspecte devrait interpréter pour les procureurs des informations qui ne sont pas intelligibles hors le contexte de leur traduction. Les avocats de défense dans le procès au Colorado s'opposent à l'imposition, disant que l'accusation ne peut pas demander qu'une suspecte traduise ses documents puisque cela serais en contravention de ses droits constitutionnels qui protègent une personne contre témoigner contre elle-même. La Charte canadienne des droits et libertés protège les canadiens de façon semblable. L'Alinéa 11(c) de la Charte maintient que « Tout inculpé a le droit : c) de ne pas être contraint de témoigner contre lui-même dans toute poursuite intentée contre lui pour l'infraction qu'on lui reproche. » Étant donné l'Alinéa 11 vue en contexte de la métaphore matérialiste discuter ci-dessus, un tel procès s'il aurait lieu au Canada pourrait être un instant charnière dans le domaine de la loi numérique. Ce qui est en jeu est notre conception collective des medias numériques ainsi que la protection des individus inculpés sous l'Alinéa 11 de la Charte. Quoi qu'il en soit du jugement dans le cas au Colorado, cet évènement illustre la nécessité de réévaluer nos perspectives épistémologiques face à l'omniprésence du numérique dans la vie quotidienne.

Questions pour la réflexion :

Prenez un moment et réfléchissez sur nos interactions avec la technologie numérique et comment ces interactions sont transformés par les métaphores que nous utilisons pour mieux cerner la technologie. Est-ce que cette stratégie discursive nous vient à un prix ?

Comment est-ce que vous percevez les enjeux légaux qui sont décrits ci-dessus ?