La génération C à vol d'oiseau

Je n'ai pas eu la chance d'assister au Colloque international du CEFRIO intitulé Enquête sur la génération C : Les 12-24 ans, utilisateurs extrême d'Internet et des TI . L'événement n'était pas des moindres, puisque non seulement on y dévoilait les résultats attendus de cette enquête québécoise, mais on y attendait aussi des sommités internationales comme danah boyd (c'est elle qui n'aime pas les majuscules), et d'autres du crû comme Mario Asselin, Felix Genest ou Ron Canuel. Le programme, d'autant que j'ai pu en juger de l'extérieur, semblait allier orateurs et panels de discussion en proportions stœchiométriques. Et les conditions techniques étaient à la hauteur de l'intitulé du colloque : WiFi à volonté, et salle équipée d'un écran géant diffusant en temps réel les commentaires de twitterers zélés. Pour ceux qui ne connaissent pas bien Twitter, j'explique : le CEFRIO avait mis en place pour l'événement un « hashtag », en d'autres termes une étiquette (#GenC), qui permet de rassembler tous les tweets (messages) portant ce thème en une seule liste, laquelle liste était projetée en simultané dans la salle du colloque.

Quel intérêt d'avoir un Twitter live dans un colloque ? Il est double :

  • Les non-participants (par exemple, moi) pouvaient suivre en temps réel les discussions, retranscrites par les twitterers présents au colloque,
  • Les participants ET les non-participants (par exemple, moi) pouvaient envoyer des commentaires et participer virtuellement à la discussion ambiante.

J'avoue que l'expérience fut pour moi intéressante au point que j'ai décidé d'en faire un billet de blogue – Quoi ? Elle veut écrire un billet à propos d'un colloque auquel elle n'a pas assisté ?

En effet : dans cette expérience, le fond et la forme m'intéressent tout autant à analyser : le fond, par ce qui a été dit et les thèmes qui ont généré le plus de commentaires ; et la forme, le médium, dans ce qu'il a apporté d'unique à un colloque classique : car grâce à Twitter, les interactions ne se confinaient pas aux intervenants ; il y eut réellement tout un réseau d'échanges d'information, de prises de position, de pistes de réflexion, ainsi que des messages de structuration :

  • Les informations : des messages qui répercutent ce qui se dit sur scène, sans ajouter de commentaire – du factuel, donc.
  • Les prises de position : le message est écrit en réaction à ce qui vient de se dire, pour le confirmer, le nuancer ou l'infirmer.
  • Les pistes de réflexion : Là, il s'agit généralement de questions ouvertes qui sont nées des thèmes abordés par le(s) conférencier(s), et que les auteurs proposent à la réflexion collective.
  • Les messages de structuration : ce sont des messages où la personne « pense tout haut », essaye d'articuler une nouvelle information à son corpus personnel de connaissances.

Remarque préliminaire intéressante : les twitterers du colloque étaient tous concentrés dans les ateliers liés à l'éducation et au travail. Sur les quelques 90 pages de tweets #GenC que j'ai étudiés, il y avait moins d'une dizaine de messages concernant les volets « Consommation » et « Citoyen » (ce qui a généré des tweets laconiques : « Atelier consommation : personne ne commente la vidéo » ; « Même tendance qu'hier: ça tweet bcp plus dans atelier éducation que les 3 autres ensemble.. » ; « Est-ce que tous les gens qui twittent sont dans l'atelier de @marioasselin ?? » )

Etonnant, non ?

Cela pousse à penser que le plus branché des publics était bien celui des éducateurs… (N.B. : je n'ai étudié que les tweets générés par la deuxième journée du colloque. 90 pages, c'était déjà bien suffisant…)

Durant les différentes présentations twittées, de nombreux messages reprennent les thèmes et conversations engagés sur scène, permettant de repérer quelles sont les informations les plus importantes pour les personnes présentes : ainsi, les tweets relatent que « J. Okimoto met l'accent sur la dimension relationnelle du travail au sein d'une entreprise » : les entreprises leaders, peut-on lire, seront celles qui encourageront les connections de leur employés via les réseaux sociaux. Car, lorsqu'on engage un jeune, on engage aussi tout son réseau social (dit un C). Il serait donc peu inspiré de ne pas s'en servir… Okimoto, suivi de la table ronde des jeunes travailleurs, dressent ainsi les caractéristiques propres à tirer le meilleur parti des « C » : ces caractéristiques sont la flexibilité au travail, la capacité d'un employeur à intéresser et inspirer, et la possibilité pour l'entreprise de fournir « une liberté encadrée » : « La genC au travail a besoin d'autonomie (défis) et d'encadrement (mentor ou tuteur) ».

Hmm, réfléchissons : combien de ces caractéristiques sont effectivement présentes à l'école, peuplée de C ?

A certains moments, aux pauses notamment, les tweets changent d'allure : le flot d'informations nouvelles « infuse » le public, qui se met à réfléchir à voix haute(s) via leurs messages – pour cela, certains utilisent des métaphores : « Un syndicat c'est comme un vaccin, une sorte de mesure préventive... » « L'identité numérique est comme la physique quantique. Ce n'est pas tant ce que tu dis que les gestes que tu poses qui te définissent! ». Ces messages sont un flagrant délit de structuralisme : leurs auteurs travaillent à rattacher à leurs connaissances antérieures les nouvelles informations que les intervenants viennent d'y ajouter – et à ce structuralisme, Twitter donne une envergure constructiviste : du fait que les tweets sont publics, chacun peut élaborer sur les réflexions de l'autre. Exemple : « Je pense introduire une distinction entre immigrants (en train de) et immigrés (qui ont fini de...) » (ndla : allusion à la dichotomie de Prensky sur les natifs et les immigrants du numérique). Tweet en réponse : « Génération X, Y, C, ... on est tous des pionniers du numérique ! ».

Tiens, intéressante, cette capacité qu'a Twitter à rendre visible et lisible la « digestion » des informations en temps réel ! Twitter, de la super-prise de notes, qui permettrait la rétention cohérente et communautaire d'informations nouvelles ? Hmmm, je me demande si ça n'aurait pas une application en classe, ca…

Sans surprise, le volet éducation, a donné lieu à de nombreux gazouillis : Mario Asselin est sans doute le plus cité et re-tweeté de tous les intervenants de cette deuxième journée : il est le porte-parole des enseignants qui cherchent à innover avec les TIC – et c'est justement la majorité de son public, durant cet atelier. Il parle du conformisme en éducation, et il constate que de nombreux enseignants demandent la fin d'une telle approche éducative : « Appel de Mario : pourquoi il y a des filtres, des barrières, qui empêchent de collaborer, communiquer, rechercher ? » , et encore « On a laissé beaucoup trop de pouvoir aux se(r)vices informatiques » - on ne peut qu'aimer Twitter pour sa capacité à encourager l'aphorisme…

Le problème des filtres à l'école est certainement perçu comme un sujet brûlant par le public, générant sur Twitter toute une discussion parallèle :
« Bloquer est inacceptable »
« Pas d'accord. Je bloque les porn-robots pis je vis bien avec ça. »
« Ya un (interminable) débat à faire sur quoi bloquer, quoi contourner, etc. »
« Si bloquer est inacceptable, éduquer est COMPLETEMENT PRIMORDIAL AUSSI !!! J'ai pas dit fallat ne RIEN faire !!! »
« L'évolution d'une génération passe par la sécurité »
« Le débat est à faire sur le blocage, car actuellement, ya un blocage sur le … blocage ! »

Echo et prolongement de cette conversation, la table ronde sur la sécurité suscite également beaucoup de messages de prise de position :
« Il ne faut pas s'arrêter d'innover au nom de la sécurité. Il y a même de l'innovation à faire par rapport aux enjeux de sécurité. »
« Il faut prendre des risques calculés et il n'y a pas eu de mauvaise expérience dans mon cégep. »
« Pas d'innovation sans création d'un précédent: il faut arrêter d'avoir ou de se faire peur toujours... Mesurer impacts puis foncer »
« Côté sécurité, l'éducation est préférable au contrôle, pour préserver les capacités d'innovation »

Cependant en matière de prise de position du public, la palme revient au terme « Génération C », continuellement remis en cause par les twitterers tout au long de ce colloque : rien que pour la deuxième journée, on a vu passer plusieurs dizaines de tweets sur le sujet ; en voici un florilège : « GenC est-elle si différent des X ou Y ? », « Commence à se trouver bien GenC pour sa trentaine ! »
Et aussi : « Où est quand est apparu le terme GenC et quelle est la différence ou à quel moment se trouve la coupure avec la génération Y ? »

Bonne question : c'est au CEFRIO que revient la paternité du terme Génération C – qui a déjà fait son apparition (sommaire) dans Wikipédia. Terme emblématique, puisqu'il sert de hashtag (étiquette) et d'intitulé à l'événement, il a été créé pour désigner la tranche d'âge visée par l'étude du CEFRIO, en même temps que ses habitudes médiatiques (le C vaut pour Communiquer, Collaborer et Créer grâce à l'Internet.). Et c'est là que le bât blesse : la terminologie « Génération C » mélange deux caractéristiques distinctes : l'âge, et une manière d'être face aux technologies ; or certains « non C » utilisent Internet de cette façon-là aussi… et beaucoup d'entre eux étaient justement présents au colloque. Le terme crée également un certain flou, lorsqu'il s'agit d'interpréter les résultats de l'enquête : « Les C et la connaissance de leurs droits : est-ce parce qu'ils sont des C ou qu'ils sont jeunes et encore peu expérimentés ? ».

Est-ce réellement important que cette terminologie décrive une réalité conjoncturelle ? Je pense que oui : le terme risque de devenir la marque de reconnaissance de tous ceux qui ont assisté au colloque, et de tous ceux qui, en l'utilisant, veulent montrer qu'ils sont « à la pointe de la recherche » dans l'utilisation des TIC. Or, comme l'a très justement dit un twitterer : « Je suggère : attention aux clivages générationnels : Ya des C qui sont plus vieux, je le jure ! ». Son inquiétude quant à l'image que le terme renvoie d'un point de vue générationnel est fondée : il n'est que de regarder les titres des articles de journaux rendant compte du colloque : La génération C contre les dinosaures, Les 12-24 ans, des utilisateurs extrêmes d'Internet, La société est-elle prête à accueillir la génération C ... Ressentez-vous cette insistance sur le fossé qui sépare les C du reste de la population ? –même si l'enquête du CEFRIO n'a aucunement comparé l'utilisation des médias selon les tranches d'âge.

Les médias traditionnels sont la fenêtre par laquelle le public non spécialisé forme son opinion ; que retiendront-ils de ces titres ? « Alors c'est bien vrai que les jeunes sont des super- utilisateurs des nouvelles technologies, et que nous, à côté, on est des billes ! »
J'ai bien peur aussi que pour l'enseignant non technologue, cet écho médiatique ne fasse que renforcer le blocage liés à l'intégration des nouvelles technologies à l'école…

Dans leur ouvrage « Teaching as a subversive activity », Neil Postman et Charles Weingartner développent l'idée que le langage est la carte de notre réalité. Véritable médiateur, il facilite la compréhension de notre environnement physique et social, mais ce faisant, il l'obscurcit aussi. Nommer une idée, c'est la prendre pour argent comptant, ne plus la questionner.

Le colloque du CEFRIO a donné à beaucoup la possibilité de Communiquer, Collaborer et Créer grâce à Twitter, attestant à cette occasion de façon claire que les C transcendent les générations.
Lorsque le « sage » montre la lune, il est bon, parfois, de regarder le doigt.

Beaucoup de liens ont été échangés durant cette deuxième journée du colloque ; les voici rassemblés ici :

Lien comptes rendus colloque

Liens généraux