Êtes-vous téléphage ?

Avec avril, voici revenue « la semaine sans télé », une semaine particulièrement suivie dans les écoles québécoises, où certaines ont même courageusement élargi le défi à dix jours, et à tous les écrans (ordinateur, Game Boy, etc…). Car force est de constater que, même si le visionnement de la télévision décline, depuis quelques années, c'est aux dépens d'autres écrans.

Le temps que les gens –tous âges confondus- passent devant la télévision est astronomique : trois heures par jours, en moyenne, dans les pays industrialisés. Mis à part le travail et le sommeil, c'est l'activité à laquelle on consacre le plus de temps : si vous vivez jusqu'à 75 ans, vous aurez passé neuf ans devant le petit écran. Étonnant, non ? Non : en fait, tout le monde le sait. Les français, qui sont gens à se moquer (y compris d'eux-mêmes) ont même inventé une récompense pour ces émissions qu'on regarde sans vraiment savoir pourquoi : les Gérards de la Télé, pastiche des Césars… ou des Oscars, et destiné à récompenser le pire de la télé française, distingue la catégorie Gérard de l'émission que tu regardes et à un moment vers la fin tu te dis « ***, ça fait combien de temps que je regarde cette daube ? »

Alors pourquoi ? Pourquoi regardons-nous ainsi la télévision, non par envie, mais par défaut ?

Il y a quelques années, le Scientific American sortait un numéro intitulé TV : are you addicted ? . Dans leur article Television addiction is no mere metaphor, Robert Kubey et Mkhaly Csikszentmihalyi replaçaient la dépendance à la télévision dans la perspective de l'évolution humaine : à l'époque préhistorique où l'Homme tombait plus souvent dans la catégorie « proie » que « prédateur », sa survie dépendait de son aptitude à repérer les mouvements et les bruits dans sont environnement –à anticiper l'animal prêt à bondir et à le dévorer. C'est la réponse d'orientation, décrite par Pavlov en 1927 comme la réaction visuelle et auditive instinctive à tout stimulus soudain ou nouveau. L'œil et l'oreille humains ont évolué pour être attirés par le mouvement et le bruit de façon réflexe. D'où, quelques milliers d'années plus tard, notre difficulté à nous soustraire de ce flot incessant de sons et d'images animées que nous propose la télévision.

Mais revenons à la Semaine sans télé : si vous décidez de tenter l'expérience, rendez-vous compte que cela va vous dégager trois heures par jour ! Vingt et une heures pour la semaine ! Imaginez : qu'allez-vous faire de ce fabuleux temps libre ?
Pour le téléspectateur moyen, il y a deux réponses réellement honnêtes à cette question : « Paniquer ! », et… « Regarder la télé ».

Paniquer
Du propre aveu des personnes qui ont tenté l'expérience, ce sont les premiers jours sans télé qui sont les pires. En effet, il faut trouver à remplir ce temps que la télévision occupait pour nous. Cela demande de l'énergie. Mais, là encore du propre aveu des intéressés, cela donne aussi beaucoup plus de satisfaction : alors qu'après avoir regardé la télévision, l'humeur du téléspectateur reste la même, ou se dégrade, après avoir pratiqué un sport ou un passe-temps, les gens notent une amélioration de leur humeur. Alors, tenté ?

Regarder la télévision
Entendons-nous : le but de la Semaine sans télé n'est pas de diaboliser le petit écran, ni ne vise à défaire une bonne fois le public de cette mauvaise habitude. Le but est de secouer sa passivité télévisuelle, de faire le tri. Ces émissions, celles auxquelles vous tenez réellement –celles que vous ne vous voyez pas abandonner pendant la Semaine-, il y a gros à parier que ce sont celles dont vous parlez avec vos amis, avec vos collègues, et en famille. Celles-là rejoignent le but ultime de la semaine, qui est de favoriser la communication entre les membres d'une même famille et d'une même communauté.

La Semaine sans télé nous invite à secouer nos habitudes télévisuelles, à les questionner, et à décaper notre regard pour que la télévision ne soit pas un passe-temps sans substance, un tampon de chloroforme virtuel, une machine à se procrastiner l'existence.

Mais parlons d'autre chose : qu'est-ce que vous faites ce soir ?