Santé !

Croyez-le ou non, aucune expérience de laboratoire n'avait à ce jour étudié comment l'exposition de l'alcool à la télévision en affecte la consommation immédiate. Les chercheurs néerlandais et canadien qui viennent de publier les résultats d'une telle recherche expliquent cette lacune par le fait que « l'on s'attend à ce que l'exposition aux images télévisées s'installent avec le temps, par le biais de changement dans les associations, les cognitions, et les attentes. » (Robinson et al., 1998, cités par Engels, Hermans, van Baaren, Hollenstein et Bot, et traduit de l'anglais par moi-même).

De toute évidence, Robinson n'est pas familier avec le jeu des années 80 Drink Along to Dallas ; pour ceux d'entre vous qui ne le connaissez pas non plus, les règles sont simples : vous regardez l'épisode, et à chaque fois que JR, ou Sue Ellen, ou n'importe qui se sert un verre d'alcool, vous faites de même –apparemment, certains nostalgiques ont remis le jeu au goût du jour avec la série Mad Men.

Selon les auteurs de l'étude Alcohol Portrayal on Television Affects Actual Drinking Behaviour, si l'idée d'une influence qui se développe dans le temps entre un produit médiatisé et son public peut être justifiée dans le cas d'une voiture, par exemple, elle est à reconsidérer lorsqu'on parle de consommation d'alcool, de cigarettes, et de malbouffe diverse – bref, de tout produit que l'on peut consommer pendant qu'on regarde la télévision. Voilà pourquoi ils ont développé leur expérience. Ils ont demandé à des jeunes hommes (18 à 29 ans) de venir regarder un film avec deux coupures publicitaires. Dans l'un des films, American Pie 2, l'alcool est représenté un grand nombre de fois, alors que dans l'autre, 40 Days and 40 Nights, ce n'est pas le cas. Les coupures publicitaires sont de durées égales, mais les unes présentent des produits alcoolisés, les autres pas. Ces variables sont ensuite croisées pour fournir quatre modalités expérimentales distinctes : un film « sans alcool » avec soit des publicités sans alcool, soit des publicités avec alcool ; un film « avec alcool » avec soit des publicités sans alcool, soit des publicités avec alcool. Les sujets sont invités à regarder ces films avec un ami, dans un laboratoire spécialement aménagé pour leur offrir confort et boisson à volonté (alcoolisées et non alcoolisées), et donner aux expérimentateurs la possibilité de filmer leur consommation réelle de boissons.

Les résultats sont probants : les sujets qui se trouvent dans la situation générale « avec alcool » boivent en moyenne 1.5 verres de plus que ceux de la situation « sans alcool », et ce en l'espace d'une heure.

Par le passé, différents mécanismes ont été invoqués pour expliquer l'influence des médias sur la consommation d'alcool :

  • les films et publicités dépeignent l'alcool de façon positive (buveurs charismatiques, contexte idéaux…)
  • le spectateur associe un événement à un patron de comportement qui devient automatique (comme le Drink Along to Dallas, dont on a parlé précédemment).
  • le simple fait de voir quelqu'un consommer à l'écran (de l'alcool, des chips, de la pizza, …) nous pousse à le faire par imitation.

C'est sur ce dernier point que les auteurs de l'étude insistent plus particulièrement.

Je ne peux m'empêcher de rapprocher ce comportement –le fait d'avoir envie de consommer ce que l'on voit consommer à l'écran- de la découverte relativement récente des neurones miroir ; « les neurones miroir s'activent lorsque (un individu) fait une certaine action, mais aussi lorsqu'il observe quelqu'un faire la même action. (…) les neurones miroir jouent un rôle majeur dans l'explication de diverses capacités humaines : de l'imitation à l'empathie, de la théorie de l'esprit à l'apprentissage linguistique. »

Les auteurs de l'étude suggèrent que ce phénomène d'imitation, identifié en psychologie, et qui trouve un écho dans les développements récents des neurosciences, pose alors un problème crucial au niveau des politiques liées à la représentation de l'alcool à l'écran. Si les publicités pour l'alcool en induisent une consommation directe, le fait de bannir de telles publicités ne conduirait-elle pas de facto à une baisse de la consommation d'alcool à la maison ? Et en matière de cotation de films, n'y aurait-il pas intérêt à indiquer explicitement, aux parents notamment, quels films contiennent des références à l'alcool, et d'avertir le public que ces références influent directement sur la consommation d'alcool ?

En plus de ces considérations de politique publique, il est nécessaire d'éduquer les téléspectateurs, et en particuliers les jeunes, aux enjeux que pose la représentation de l'alcool dans les médias. Pour vous y aider, le Réseau Education-Médias a développé toute une série de leçons sur ce sujet, dont voici quelques exemples :

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