Qui sont les intimidateurs et pourquoi le font-ils ?

Il est important de noter qu’il n’existe pas de profil unique du jeune qui intimide. Si certains jeunes correspondent à l’image traditionnelle de l’enfant agressif qui maîtrise mal ses impulsions, d’autres sont très sensibles aux nuances sociales et savent utiliser cette connaissance au détriment de leurs cibles.[i]

Cibles et agresseurs

Dans le cyberespace, il existe un lien étroit entre le cyberintimidateur et la victime: l’étude de HabiloMédias a révélé que la moitié des jeunes qui avaient intimidé quelqu’un en ligne ont déclaré qu’ils l’avaient fait parce que cette personne avait d’abord dit quelque chose de méchant ou de cruel à leur sujet[ii]. Il n’est pas inhabituel que dans un contexte d’intimidation, les deux parties estiment être des victimes.

Une des difficultés qui se pose dans la lutte contre la cyberintimidation est que ce terme a peu de sens pour les jeunes. Comme le remarque Danah Boyd du Berkman Center for Internet and Society, pour les jeunes, ce que les adultes qualifient de cyberintimidation, c’est « se disputer », « commencer quelque chose » ou « faire un drame ». Il s’agit souvent d’activités considérées comme des formes de cyberintimidation, telles que faire circuler des rumeurs ou exclure des camarades de son cercle social. Les garçons qualifient souvent ce qu’ils font en ligne – se faire passer pour une autre personne ou afficher des vidéos embarrassantes – de blagues et non d’intimidation.[iii]

Dans les deux cas, il y a plusieurs raisons pour lesquelles les jeunes préfèrent ne pas qualifier ce qu’ils font (ou ce que d’autres leur font) d’intimidation. D’une part, ils considèrent l’intimidation comme un comportement puéril, associé à l’école élémentaire ou intermédiaire, tandis que « faire un drame », « jouer un tour » ou « faire une blague » est plus adulte. Mais surtout, il est utile d’éviter le terme « intimidation » tant pour l’intimidatrice que pour la cible, parce que cela masque l’abus de pouvoir entre les deux parties : l’instigatrice n’a pas à se considérer comme une intimidatrice et la cible n’a pas à se voir comme une victime.[iv]

Témoins

Les témoins d’intimidation ont un rôle extrêmement important à jouer dans l’issue de la cyberintimidation, qui se passe souvent hors du regard des adultes ; en effet, ils représentent le consensus social et, à ce titre, ils sont extrêmement importants pour stopper, ou au contraire entériner, la cyberintimidation. La réaction des témoins – qu’ils interviennent, qu’ils participent à l’intimidation ou qu’ils s’abstiennent – peut faire une très grande différence quant à l’impact de l’incident. En fait, la présence de témoins peut rendre l’intimidateur plus agressif.[v] C’est l’une des raisons pour lesquelles les incidents et les relations d’intimidation peuvent être plus graves lorsqu’ils ont une composante virtuelle : lorsque l’intimidation a lieu dans un environnement virtuel, tout le cercle social de la cible peut en être témoin. L’étude de HabiloMédias a révélé que 6 jeunes sur 10 avaient été témoins d’une forme de cyberintimidation au cours des quatre semaines précédentes. De ce nombre, 7 sur 10 ont fait quelque chose pour aider au moins une fois[vi].

Types d’intimidateurs

La recherche sur l’intimidation hors ligne a montré qu’il existe deux types de jeunes qui intimident : les intimidateurs « purs » et les intimidateurs victimes.

Les intimidateurs « purs » sont ceux qui se livrent à des actes d’intimidation malgré un statut social relativement élevé. Ils ne sont pas des marginaux, ne souffrent pas d’une mauvaise estime d’eux-mêmes, et ne sont pas susceptibles d’être eux‑mêmes la cible d’intimidation[vii]. Ils ont beaucoup d’empathie cognitive, c’est-à-dire la capacité de définir les sentiments d’autrui, mais peu d’empathie affective, ce qui signifie qu’elles ne sont pas susceptibles de partager émotionnellement les sentiments d’autrui[viii]. Ils ont un grand ego et une réaction défensive aux critiques[ix]. Ils sont plus susceptibles d’être les auteurs d’actes d’intimidation pour améliorer leur statut social[x] et d’utiliser des tactiques d’intimidation pour obtenir ce qu’ils veulent[xi].

Les intimidateurs victimes, quant à eux, ont été eux-mêmes victimes d’intimidation[xii] et viennent souvent de foyers où règne la violence familiale ou de familles dans lesquelles ils sont brimés par des membres de leur famille[xiii]. Bien que les cyberintimidateurs soient le plus souvent des intimidateurs « purs », l’étude de HabiloMédias menée en 2014 a révélé que la dynamique intimidateur-victime entrait souvent en jeu : 48 % des élèves qui avaient été méchants ou cruels en ligne ont dit qu’ils l’avaient fait parce que « la personne avait d’abord dit quelque chose de méchant ou de cruel à mon sujet » et 22 % ont dit que c’était parce que « je voulais me venger de la personne pour une autre raison[xiv] ».

En examinant les tendances en matière de cyberintimidation, les enquiquineurs sont presque toujours des intimidateurs « purs ». Un conflit entre un intimidateur « pur » et une victime-intimidateur, ou deux victimes-intimidateurs, peut facilement passer du drame au harcèlement. Les recherches sur la violence dans les relations hors ligne indiquent également deux tendances similaires : une relation au sein de laquelle un partenaire (presque toujours un homme) tente de dominer l’autre, et une relation au sein de laquelle les deux partenaires s’abusent mutuellement.[xv]

 

 

[i] Pepler, Debra. Testimony before the Senate Committee on Human Rights, 12 décembre 2011.

[ii] Steeves, V. (2014) Jeunes Canadiens dans un monde branché, Phase III : La cyberintimidation : Agir sur la méchanceté, la cruauté et les menaces en ligne. HabiloMédias : Ottawa. https://habilomedias.ca/jcmb/cyberintimidation-agir-sur-mechancete-cruaute-menaces-en-ligne

[iii] Marwick, Dr. Alice, et Dr. danah boyd. The Drama! Teen Conflict, Gossip, and Bullying in Networked Publics

[iv] Marwick, Dr. Alice, et Dr. danah boyd. The Drama! Teen Conflict, Gossip, and Bullying in Networked Publics

[v] Craig, Wendy. Testimony before the Senate Committee on Human Rights, 12 décembre 2011.

[vi] Johnson, M., Li, J. H. S., & Craig, W. (2016). Les expériences de la cyberintimidation des jeunes Canadiens. HabiloMédias.

[vii] Bihm, E et al. (2019) Bullies – Offenders or defenders? Society for personality and social psychology. Consulté sur le site https://www.spsp.org/news-center/blog/nail-simon-bihm-bullies

[viii] Lereya, S et al (2015). Long-term effects of bullying. U.S. National Library of Medicine National Institutes of Health. 100(9), 879-885.

[ix] Ibid.

[x] Faris, R., Felmlee, D., & McMillan, C. (2020). With Friends Like These: Aggression from Amity and Equivalence. American Journal of Sociology, 126(3), 673-713.

[xi] Lereya, S et al (2015). Long-term effects of bullying. U.S. National Library of Medicine National Institutes of Health. 100(9), 879-885.

[xii] Gordon, S (2020). Understanding the challenges bully-victims face. Very Well Family. Consulté sur le site https://www.verywellfamily.com/consequences-bully-victims-experience-460511

[xiii] Ibid.

[xiv] Steeves, V. (2014) Jeunes Canadiens dans un monde branché, Phase III : La cyberintimidation : Agir sur la méchanceté, la cruauté et les menaces en ligne. HabiloMédias : Ottawa. https://habilomedias.ca/jcmb/cyberintimidation-agir-sur-mechancete-cruaute-menaces-en-ligne

[xv] Johnson, M. (1995). Patriarchal terrorism and common couple violence: two forms of violence against women. Journal of Marriage and the Family; 57:283–294. Consulté sur le site http://www.popline.org/node/309622