La cyberintimidation et la loi

Comment la loi traite-t-elle la cyberintimidation?

Remarque : Le présent article a pour objectif de fournir des renseignements généraux et ne constitue pas un avis juridique. Si vous avez besoin d’un avis juridique, consultez un avocat ou une clinique d’aide juridique.

La loi fédérale

Selon la situation, la cyberintimidation peut être assujettie au droit civil ou au droit pénal.

Le droit civil est la branche de la loi traitant des droits de propriété, de la dignité de la personne et de la protection contre les préjudices. Dans le droit civil, il existe trois approches en matière de cyberintimidation :

  1. Un cyber-intimidateur peut se livrer à des actes de diffamation. Ceci est vrai lorsque celui-ci porte préjudice à la réputation d’une personne par la propagation de fausses informations au sujet de cette dernière. En règle générale, la diffamation apparaissant de façon temporaire (un discours non enregistré, une retransmission en direct) est désignée sous le terme de diffamation verbale et la diffamation apparaissant de façon permanente (un livre, un site Web) est désignée sous le terme de libelle.

Afin d’être considéré comme un libelle, un énoncé doit : 1) porter préjudice à la réputation d’une personne, 2) avoir une cible claire et évidente et 3) avoir été vu par des personnes autres que la personne ayant fait l’énoncé et la personne cible. Dans le cas d’un libelle, la cible peut poursuivre la personne ayant fait l’énoncé qui (si la poursuite est reçue) aura à lui payer des dommages (en argent).

Une personne accusée de libelle peut se défendre en arguant que l’énoncé était vrai, qu’il s’agissait d’un commentaire juste (d’une critique authentique, non d’une attaque personnelle) ou de la reproduction de bonne foi d’un énoncé sans savoir ce qu’il était.

  1. Un cyber-intimidateur peut créer un milieu non sécuritaire en faisant en sorte que la cible ait l’impression qu’il ou elle ne peut aller à l’école sans être l’objet de violence, de moqueries ou d’exclusion. Les écoles ou les milieux de travail ont le devoir d’offrir la sécurité à leurs élèves et employés, et se doivent de prendre les mesures pertinentes pour qu’il en soit ainsi. Une école peut donc punir un élève pour un comportement en ligne qui porte atteinte à la sécurité ressentie à l’école par les autres élèves. En Ontario, la Loi sur la sécurité dans les écoles a été modifiée afin d’inclure expressément le comportement en ligne : les élèves peuvent maintenant être suspendus ou expulsés pour cause de cyberintimidation, et cela, même si les actes sont perpétrés à l’extérieur de l’école.

Une école ou un milieu de travail ne mettant pas tout en œuvre pour offrir un milieu sécuritaire peut faire l’objet de poursuites par la(les) cible(s). Même si un énoncé n’est pas un libelle, le fait de le propager peut quand même créer un milieu non sécuritaire.

  1. En dernier lieu, une personne est tenue légalement responsable de toute conséquence qu’elle aurait pu raisonnablement prévoir. De ce fait, un cyber-intimidateur suggérant qu’un élève dépressif devrait s’enlever la vie pourrait être tenu responsable si l’élève en question passait effectivement à l’acte, pour peu que le cyber-intimidateur ait eu des raisons de croire que la situation pouvait se produire.

Si l’identité de l’intimidateur n’est pas connue, un avocat peut demander ce que l’on appelle une ordonnance de Norwich pour obliger la plateforme à partager toutes les informations dont elle dispose si « un tribunal décide que l’intérêt public de la divulgation de ces informations l’emporte sur le besoin de protéger la vie privée[1] ».

Le droit pénal est la branche de la loi qui détermine quelles actions sont des crimes contre l’état. Dans le droit pénal, il existe plusieurs approches en matière de cyberintimidation :

  1. Selon le Code criminel, le harcèlement est considéré comme un crime. On parle de harcèlement lorsque ce qu’on dit ou fait porte une personne à croire qu’elle est en danger ou que d’autres le sont. Même si l’intention n’était pas d’effrayer une personne, si cette personne se sent menacée, on peut être accusé de harcèlement. Le harcèlement criminel est punissable de 10 ans de prison maximum. L’expression de menaces est également une infraction qui peut s’appliquer si l’auteur menace la santé de la victime, ses biens ou ses animaux de compagnie.
  2. Selon le Code criminel, le libelle diffamatoire est considéré comme un crime. Il est plus souvent traité comme un crime si l’énoncé diffamatoire est dirigé contre une personne occupant un poste d’autorité et si cet énoncé peut porter de graves préjudices à sa réputation. Le libelle diffamatoire est punissable de cinq ans de prison maximum.
  3. La publication non consensuelle d’une image intime a été ajoutée comme infraction en 2015. Ceci comprend la transmission intentionnelle d’une image dans laquelle une personne « y figure nue, exposant ses seins, ses organes génitaux ou sa région anale ou se livrant à une activité sexuelle explicite » et également l’avoir fait « sans se soucier de savoir si elle y a consenti ou non ».
  4. Mischief in relation to data and unauthorized use of computer are also offenses that may apply if an account or device are hacked.
  5. L’auteur peut commettre de l’extorsion s’il tente d’obliger la victime à lui donner de l’argent ou à commettre un acte en la menaçant de lui faire du mal, quelle qu’en soit la nature. C’est le cas par exemple de la « sextorsion », une forme d’exploitation sexuelle qui consiste à persuader un jeune de partager des photos explicites et à le faire chanter en le menaçant de les partager.
  6. C’est aussi un délit que de conseiller à une personne de se suicider. Cette accusation peut s’appliquer même si la victime ne fait aucune tentative de suicide.

Les recherches de HabiloMédias ont montré que les jeunes Canadiens sont prêts à faire appel à la police pour les aider à régler des incidents de méchanceté et de cruauté en ligne s’ils estiment que la situation est suffisamment grave : alors qu’à peine 1 % d’entre eux ont cité l’appel à la police comme première ou deuxième réaction à un incident de cyberintimidation, 1 jeune sur 6 (14 %) a déclaré qu’il appellerait la police s’il avait essayé 2 autres méthodes pour résoudre la situation sans succès[2].

L’article 2 de la Charte des droits et libertés garantit la liberté d’expression. Toutefois, ce droit ne peut être « restreint que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique » et, dans le cas de la cyberintimidation, doit être évalué selon l’article 7 qui garantit le « droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne ». En règle générale, l’article 2 de la Charte n’a pas été reçu à titre de défense dans les cas d’intimidation civile ou criminelle.

Les lois provinciales et territoriales

Plusieurs provinces et territoires disposent de lois traitant spécifiquement d'intimidation en ligne et hors ligne :

Alberta : La « Education Act » (loi sur l'éducation) a été révisée en 2012 et définit maintenant l'intimidation comme « repeated and hostile or demeaning behaviour by an individual in the school community where the behaviour is intended to cause harm, fear or distress to one or more other individuals in the school community, including psychological harm or harm to an individual’s reputation » (un comportement répété et hostile ou dégradant d'un individu dans le milieu scolaire dont l'intention est de causer un préjudice, de la peur ou de la détresse à une ou à plusieurs autres personnes du milieu scolaire, y compris un préjudice psychologique ou une atteinte à la réputation de la personne. » En vertu de la Loi, les élèves doivent « refrain from, report and not tolerate bullying or bullying behaviour directed toward others in the school, whether or not it occurs within the school building, during the school day or by electronic means » (éviter, déclarer et ne pas tolérer l'intimidation ou les comportements intimidants à l'égard des autres dans l'école, que cela se produise ou non dans l'établissement, durant la journée scolaire ou par un moyen électronique) et les conseils scolaires doivent « establish, implement and maintain a policy respecting the board’s obligation under subsection (1)(d) to provide a welcoming, caring, respectful and safe learning environment that includes the establishment of a code of conduct for students that addresses bullying behaviour » (établir, mettre en œuvre et garder opérationnelle une politique qui respecte leur obligation en vertu du paragraphe (1)(d) de fournir un milieu d'apprentissage accueillant, bienveillant, respectueux et sécuritaire qui comprend la mise en place d'un code de conduite pour les élèves qui traite les actes intimidants). La loi de l'Alberta se distingue car elle exige que les élèves déclarent l'intimidation s'ils en sont témoins et elle prévoit des sanctions telles que la possibilité d'une suspension et d'une expulsion pour ceux qui ne le font pas.

Colombie-Britannique : En 2023, la province a adopté la loi sur la protection des images intimes (Intimate Images Protection Act), laquelle donne à un juge ou à un tribunal le pouvoir d’ordonner à toute plateforme en ligne de cesser la distribution d’une image intime et de la retirer de la plateforme.

Manitoba : En 2013, la province a adopté la Loi sur la prévention de la cyberintimidation, qui définit l’intimidation d’une manière qui inclut spécifiquement la cyberintimidation et rend les parents responsables de la cyberintimidation de leurs enfants s’ils en sont conscients, s’ils pouvaient raisonnablement en prévoir les effets et s’ils n’ont rien fait pour y mettre fin. Elle donne également aux juges et aux juges de paix le pouvoir de délivrer des ordonnances de protection qui peuvent empêcher un intimidateur de communiquer avec la victime ou même d’utiliser des moyens de communication numériques. La Loi définit aussi un délit civil de cyberintimidation et permet aux victimes de poursuivre les intimidateurs ou, dans certains cas, leurs parents. En 2016, le Manitoba a adopté la Loi sur la protection des images intimes, qui crée un « délit de distribution non consensuelle d’images intimes » permettant aux autorités provinciales d’ordonner le retrait et la destruction d’images intimes en ligne et d’aider les victimes à déposer des plaintes.

Nouveau-Brunswick : L'article 1 de la Loi sur l'éducation inclut l'intimidation et la cyberintimidation dans sa définition d'« inconduite grave ». On garantit également aux élèves un « milieu propice à l'apprentissage et au travail » libre « d’intimidation, de cyberintimidation, de harcèlement et de toutes autres formes de comportement perturbateur ou non toléré ou de toute autre forme d’inconduite, y compris le comportement ou l’inconduite qui se produit en dehors des heures de classe ou à l’extérieur de la cour d’école et qui nuit au milieu scolaire. » Dans la Politique 703, Milieu propice à l’apprentissage et au travail, la cyberintimidation est définie comme « incluant, sans s’y limiter, l’affichage de matériel inapproprié en ligne, l’envoi de courriels harcelants ou intentionnels, ou l’envoi répété de courriels ainsi que l’affichage d’articles en ligne sans la permission des personnes concernées ».

Les directeurs doivent mettre en œuvre un plan pour un milieu propice à l'apprentissage et au travail et pour rapporter au directeur général du district scolaire tout incident d'inconduite grave. Chaque école doit avoir un comité parental d'appui à l'école qui conseille le directeur de l'école quant aux façons de promouvoir un comportement respectueux d'autrui et prévenir l'inconduite, d'élaborer des directives pour aborder la question du comportement irrespectueux d'autrui ou de l'inconduite et de soutenir les élèves qui affichent un comportement irrespectueux d'autrui et les élèves qui ont été victimes de pareil comportement.

Nouvelle-Écosse : La Loi sur l’éducation de la province a été modifiée en 2012 afin d’inclure explicitement la cyberintimidation dans la responsabilité des écoles de promouvoir la sécurité à l’école et des élèves. En 2017, la province a adopté la loi sur les images intimes et la cyberprotection (Intimate Images and Cyber-protection Act), qui permet aux victimes de demander une « ordonnance de cyberprotection » pour elles-mêmes ou une personne mineure dont elles sont le parent ou le tuteur. Ces ordonnances peuvent être rendues à l’encontre d’un intimidateur, de son parent ou tuteur s’il est mineur, ou de toute personne participant au partage d’une image intime (y compris l’entreprise qui gère une application ou une plateforme). L’ordonnance peut :

  • interdire à une personne de partager une image intime;
  • lui ordonner de retirer l’image;
  • lui ordonner de verser des dommages à la personne figurant sur l’image;
  • lui ordonner de cesser de communiquer avec la victime de la cyberintimidation;
  • lui ordonner de payer des dommages à la victime de la cyberintimidation.

Consultez le site Web de CyberScan pour de plus amples renseignements.

Terre-Neuve-et-Labrador : La politique sur des écoles sûres et bienveillantes (Safe & Caring Schools Policy) inclut l’intimidation « électronique » dans sa liste de comportements inappropriés et exige des écoles qu’elles garantissent un environnement exempt d’intimidation, de harcèlement et de discrimination.

Ontario : La Loi sur l'éducation comprend maintenant une définition spécifique pour « intimidation » :

« intimidation » Comportement agressif et généralement répété d'un élève envers une autre personne qui, à la fois :

(a) a pour but, ou dont l'élève devrait savoir qu'il aura vraisemblablement cet effet :

(i) soit de causer à la personne un préjudice, de la peur ou de la détresse, y compris un préjudice corporel, psychologique, social ou scolaire, un préjudice à la réputation ou un préjudice matériel,

(ii) soit de créer un climat négatif pour la personne à l’école;

(b) se produit dans un contexte de déséquilibre de pouvoirs, réel ou perçu, entre l’élève et l’autre personne, selon des facteurs tels que la taille, la force, l’âge, l’intelligence, le pouvoir des pairs, la situation économique, le statut social, la religion, l’origine ethnique, l’orientation sexuelle, la situation familiale, le sexe, l’identité sexuelle, l’expression de l’identité sexuelle, la race, le handicap ou des besoins particuliers.

La cyberintimidation est également définie :

(1.2) Sans préjudice de la portée générale de la définition « intimidation » au paragraphe (1), cette dernière s’entend notamment de la forme d’intimidation appelée cyberintimidation qui est perpétrée par n’importe moyen électronique, au moyen de n'importe quelle technique, notamment :

(a) par la création d’une page Web ou d’un blogue où le créateur usurpe l’identité d’une autre personne;

(b) par la présentation d'une autre personne comme étant l’auteur de renseignements ou de messages affichés;

(c) par la communication d’éléments d’information à plus d’une personne, ou leur affichage sur un support électronique auquel une ou plusieurs personnes ont accès.

La Loi modifiée exige également aux écoles de fournir « aux élèves [...] un enseignement sur la prévention de l'intimidation pendant l'année scolaire », « des programmes correctifs visant à aider les victimes d'intimidation » et « des programmes de perfectionnement professionnel visant à former les enseignants dans les écoles placées sous sa compétence au sujet de l'intimidation et des stratégies pour lutter contre elle ». Chaque conseil scolaire est également tenu « d'élaborer un plan type de prévention de l'intimidation dans les écoles placées sous sa compétence ».

En 2016, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a reconnu un nouveau délit civil appelé « divulgation publique de faits privés embarrassants » à la suite d’une affaire dans laquelle une femme poursuivait un ancien conjoint pour avoir partagé sans sa permission une vidéo sexuellement explicite qu’elle lui avait envoyée. Le délit est défini comme suit : « quiconque fait de la publicité pour une affaire concernant la vie privée d’une autre personne est passible de poursuites pour atteinte à la vie privée de l’autre personne, si l’affaire rendue publique ou l’acte de publication (a) serait très offensant pour une personne raisonnable, et (b) ne constitue pas une préoccupation légitime pour le public[3] ».

Québec : La Loi visant à prévenir et à combattre l'intimidation et la violence à l'école apporte des modifications à la Loi sur l'instruction publique et à la Loi sur l'enseignement privé. Elle définit l'intimidation comme « tout comportement, parole, acte ou geste, y compris la cyberintimidation, exprimés directement ou indirectement, notamment par l’intermédiaire de médias sociaux, ayant pour but de léser, blesser, opprimer ou ostraciser ». Les commissions scolaires sont tenues de créer un plan de lutte contre l'intimidation et la violence et tout membre du personnel de l'établissement doit collaborer à la mise en œuvre de ce plan.

Le Québec est la seule province qui dispose d’un régime général de responsabilité des intermédiaires en ce qui concerne les plateformes en ligne, ce qui signifie que la plateforme elle-même peut être tenue responsable si elle savait que ses utilisateurs se livraient à des activités illégales, mais qu’elle n’a pas pris les mesures nécessaires pour y mettre fin[4].

Saskatchewan : La province a modifié sa loi sur la protection de la vie privée (Privacy Act) en 2018 pour permettre aux victimes qui ont vu des images intimes d’elles-mêmes être partagées d’intenter une action en justice contre la personne qui les a partagées. Deux points de la loi ont été modifiés : d’abord, la personne qui a partagé la photo doit désormais prouver qu’elle avait la permission de la partager, et ensuite, l’action peut être intentée devant la cour des petites créances, ce qui est à la fois plus rapide et moins coûteux qu’une procédure devant la Cour du Banc de la Reine.

Territoires du Nord-Ouest : La Loi sur l’éducation comprend maintenant une définition de « l’intimidation » qui comprend les gestes commis à l’école ou hors de l’école, ayant comme intention, ou cause probable, de causer de la peur ou de la souffrance ou de créer un environnement nuisible à l’apprentissage et les situations présentant une différence de pouvoir réelle ou apparente entre l’auteur et la personne ciblée. Elle présente aussi des exemples de cyberintimidation, comprenant entre autres l’imposture en ligne et le partage de contenu nuisible en ligne. La Loi exige aussi que les divisions scolaires créent un « Safe Schools Plan » (plan de sécurité à l’école) qui traite de l’intimidation et de la cyberintimidation.


[1] O’Kane, J. (2023) How a woman is using an obscure legal tool to unmask online trolls in court. The Globe and Mail. [traduction]

[2] MediaSmarts. (2023). “Young Canadians in a Wireless World, Phase IV: Relationships and Technology - Online Meanness and Cruelty.” MediaSmarts. Ottawa.

[3] Doe 464533 v N.D., 2016 ONSC 541 (CanLII). https://www.canlii.org/en/on/onsc/doc/2016/2016onsc541/2016onsc541.html

[4] Khoo, C. (2021) Deplatforming Misogyny: Report on Platform Liability for Technology-Facilitated Gender-Based Violence. Women’s Legal Education and Action Fund (LEAF) https://www.leaf.ca/publication/deplatforming-misogyny/