Internet, la surveillance et la vie privée

La protection de la vie privée est une importante considération au chapitre des politiques et de la société.

Le Canada est un pays très connecté : 96 % des Canadiens ont accès à Internet[1]. L’amélioration des technologies permettant maintenant aux entreprises, aux forces de l’ordre et à d’autres encore de recueillir des renseignements et de surveiller les activités en ligne, les médias rapportent de plus en plus souvent des atteintes à la vie privée.

Mais que signifient les mots « protection de la vie privée » à l’ère des réseaux? Un rapport publié en 2020, pour lequel 41 personnes issues de différentes sphères publiques ont été interrogées, a révélé 3 thèmes communs : la protection de la vie privée représente la « capacité de contrôler les renseignements personnels d’une personne », elle est conceptualisée sur le plan des risques et des avantages, et elle « mène à l’équité », justifiant la nécessité de trouver « un meilleur système pour distribuer le pouvoir et les avantages de la collecte et de l’utilisation des données à ceux qui sont à l’origine de ces données[2] ».

Plus qu’une simple valeur ou responsabilité, la protection de la vie privée est un droit de la personne. Elle est essentielle au développement et au maintien de la dignité, de l’autonomie, des droits civils, de la participation démocratique et des libertés[3]. Danielle Citron et Daniel Solove, experts en matière de protection de la vie privée, ont défini plus d’une douzaine de façons dont les violations de la vie privée peuvent causer des préjudices, notamment :

  • des préjudices physiques, comme en permettant à des harceleurs ou à des abuseurs de localiser une personne;
  • des préjudices économiques, comme l’usurpation d’identité ou le manque de perspectives dans le cas d’une personne qui ne verrait pas une publicité ciblée pour une occasion d’emploi;
  • des préjudices à la réputation, par la diffusion de contenus intimes ou embarrassants;
  • des préjudices émotionnels, notamment la peur, l’irritation et la frustration;
  • des préjudices relationnels, attribuables à une perte de confidentialité ou de confiance;
  • des préjudices liés à l’effet dissuasif, puisque les personnes peuvent s’autocensurer en sachant qu’elles sont surveillées;
  • des préjudices liés à la discrimination, puisque les renseignements personnels peuvent être utilisés pour limiter les possibilités accordées aux personnes;
  • des préjudices liés au choix éclairé, dans la mesure où les profils de données des personnes sont utilisés pour prendre des décisions les concernant sans qu’elles en soient informées, sans recours ou sans leur consentement;
  • des préjudices liés à l’autonomie, dans la mesure où la liberté de choix des personnes est limitée en raison de certains ou de l’ensemble des impacts énumérés ci-dessus, entre autres impacts[4].

La vie privée est également importante pour le développement des jeunes. Sans elle, l’idée que les enfants et les adolescents se font d’eux-mêmes, de la confiance et de l’autorité peut être faussée[5]. Les jeunes interrogés dans le cadre du projet Jeunes Canadiens dans un monde branché de HabiloMédias ont indiqué que le non-respect de la vie privée était le principal obstacle à leur résilience face aux risques numériques, notant également une pression qui les empêche de participer en ligne en tant que personnes authentiques[6]. Cependant, le respect du droit à la vie privée est une preuve de confiance et donne aux jeunes l’espace nécessaire pour développer leur sens de l’identité, y compris l’apprentissage de l’autonomie et des relations de confiance.

L’importance accordée à la sécurité et les nombreux développements en matière de surveillance et de technologies de l’information sont venus compliquer le droit à la vie privée[7]. La nature réseautée des technologies numériques a permis aux entreprises de développer un modèle d’affaires, parfois appelé « capitalisme de surveillance[8] », fondé sur la collecte de données des utilisateurs, à la fois des données que nous fournissons volontairement et celles dont la collecte se fait « en arrière‑plan » et se cache sous des politiques de protection de la vie privée fastidieuses et incompréhensibles. Naviguer sur Internet, publier du contenu sur Instagram, partager une vidéo sur TikTok, faire des achats et regarder YouTube en ligne, toutes ces activités fournissent des données qui peuvent être utilisées par des algorithmes d’apprentissage machine pour tout personnaliser, des publicités que nous voyons aux prix qui nous sont proposés. Par conséquent, plus de la moitié des Canadiens ne font pas confiance aux médias sociaux pour assurer la sécurité de leurs renseignements personnels, alors que 4 Canadiens sur 10 n’ont pas confiance dans les haut‑parleurs intelligents et 1 sur 3 n’a pas confiance dans les technologies d’intelligence artificielle[9].

Les sections qui suivent traitent des enjeux de protection de la vie privée, de la société de surveillance, de l’intelligence artificielle, des techniques de surveillance, des interactions des jeunes au chapitre de la protection de la vie privée, des stratégies visant à donner aux jeunes Canadiens les moyens d’agir sans porter atteinte à leur vie privée, ainsi que de la législation qui régit nos renseignements personnels et ce que les tiers peuvent en faire.


[1] Petrosyan, A. (2024). « Number of internet users in Canada from 2013 to 2024 ». Statista. Consulté à l’adresse https://www.statista.com/statistics/243808/number-of-internet-users-in-canada/.

[2] Chung, A., et autres (2020). Project Let’s Talk Privacy: Full Report. MIT Media Lab. Consulté à l’adresse https://letstalkprivacy.media.mit.edu/ltp-full-report.pdf. [traduction]

[3] Hiranandani, V. (2011). « Privacy and security in the digital age: contemporary challenges and future directions ». The International Journal of Human Rights, 15(7), 1091-1106.

[4] Citron, D.K., et Solove, D.J. (2022). Privacy harms. B.U. L. Rev., 102, 793.

[5] Steeves, V. (2010). Résumé des recherches sur la protection de la vie privée des jeunes en ligne. Commissariat à la protection de la vie privée au Canada.

[6] McAleese, S., Johnson, M., et Ladouceur, M. (2020). Les jeunes Canadiens s’expriment : Une recherche qualitative sur la protection de la vie privée et le consentement. Ottawa : HabiloMédias.

[7] Hiranandani (2011).

[8] Zuboff, S. (2015). « Big other: surveillance capitalism and the prospects of an information civilization ». Journal of information technology, 30(1), 75-89. [traduction]

[9] Statistique Canada (2022). Enquête canadienne sur l’utilisation de l’Internet.