Comment les Canadiens se tiennent-ils informés?
Peu d’industries ont été aussi profondément bouleversées par l’avènement d’Internet que le journalisme, et ces changements se reflètent dans notre expérience en tant que consommateurs de nouvelles. Alors que les consommateurs de nouvelles pouvaient autrefois compter sur un nombre limité d’organes de presse qui offraient chacun une sélection spéciale de nouvelles (p. ex. différents journaux ou téléjournaux pour les nouvelles locales et nationales, ou la radio pour la circulation et la météo), nous avons maintenant accès à une gamme étendue de sources qui sont à la fois impressionnantes et stimulantes. Particulièrement, la capacité de partager des liens vers des nouvelles par le biais des médias sociaux signifie que nous dépendons moins des organes de presse pour organiser le contenu et davantage sur les filtres que nous avons créés, consciemment (en aimant ou en suivant des organes de presse, des journalistes ou d’autres personnes qui trouvent et partagent les nouvelles) ou inconsciemment (par les algorithmes que les réseaux sociaux et les moteurs de recherche utilisent pour suivre chaque élément auquel nous avons réagi le plus fortement). Par conséquent, « nous nous dirigeons vers la réception passive d’informations dans le cadre de laquelle les nouvelles et l’information que nous consommons sont davantage définies par ce que les autres utilisateurs de nos réseaux partagent et les décisions que nous avons prises pour organiser nos propres fils d’actualités que par les choix éditoriaux des journaux ou des salles de presse[2] ».
La télévision demeure la source d’information la plus populaire pour l’ensemble de la population canadienne, un peu plus de la moitié (56 %) s’en servant pour s’informer. Les sites Web (42 %) et la radio (41 %) arrivent sensiblement à égalité en deuxième position. Plus d’un tiers (37 %) se tournent vers les moteurs de recherche pour obtenir des nouvelles et un peu moins d’un quart (23 %) se fient à YouTube. Toutes les autres sources, y compris Instagram, TikTok ainsi que les journaux et les magazines imprimés, se classent à 20 % ou moins. (Plus de personnes obtenaient des informations à la télévision ou à la radio en 2014 qu’en 2019[3].)
Toutefois, les jeunes Canadiens sont nettement moins susceptibles de s’informer à la télévision (23 %), dans les journaux en ligne (21 %), à la radio (15 %) ou dans la presse écrite (7 %). Ils privilégient surtout les médias sociaux (57 %)[4]. Ainsi, les consommateurs supposent dans une moindre mesure que les faits présentés dans les actualités ont été vérifiés ou qu’ils proviennent d’une source objective : la moitié des Canadiens se tournent vers les médias nationaux lorsqu’ils cherchent des informations, contre un tiers seulement qui se tournent vers les médias sociaux[5]. Les médias traditionnels, en particulier les sources de longue date comme CBC, CTV et Global News, demeurent des sources d’information très fiables[6]. La confiance dans les sources d’information traditionnelles a considérablement diminué au fil du temps, autant au Canada que dans le reste du monde. Certains chercheurs ont suggéré que cette baisse découle non seulement de la propagation des nouvelles dans les médias sociaux, mais également des changements touchant l’industrie de l’information remontant aux années 1990 :
« Alors que le cycle des actualités 24 heures sur 24 force les organes de presse à remplir davantage de temps d’antenne, ces derniers doivent maintenant faire plus que simplement relater les faits (dont la quantité est d’ailleurs limitée) : ils doivent formuler des observations, exprimer davantage d’opinions plutôt que d’avancer les faits, et atténuer la distinction entre les deux. De plus, l’analyse du marché médiatique suggère que, au nom des bénéfices, les organes de presse ont tout intérêt à adapter leur couverture aux partis pris du public, offrant essentiellement les types de nouvelles que les gens veulent et avec lesquels ils sont d’accord, plutôt que d’offrir une couverture médiatique objective et de qualité[7]. » [traduction]
Les réseaux sociaux les plus populaires auprès des jeunes diffusant des contenus essentiellement triés par des algorithmes, comme la barre « Vidéo suivante » de YouTube et la page « Pour toi » de TikTok, la situation se complique. Souvent, ces fils d’actualités ne proposent pas de contenu d’actualité : une étude a montré que seules 6 des plus de 6 000 vidéos recommandées par TikTok pouvaient être considérées comme des actualités. Même les efforts déployés pour influencer le célèbre algorithme réactif en suivant quatre organes de presse professionnels ont fait augmenter le nombre de vidéos recommandées[8].
Aussi, certaines plateformes de médias sociaux populaires, comme Facebook, ne permettent plus de partager des liens provenant d’organes de presse légitimes. Cet enjeu a entraîné une baisse significative du trafic pour les organes de presse, en particulier les informations locales[9]. Le déclin des informations locales[10] et de la valeur qui leur est accordée (près des trois quarts des Canadiens s’inquiètent de la disparition des organes de presse locaux[11]) explique la montée en puissance des organes d’information dits « roses » (journalisme rose), qui imitent les vrais journaux locaux et sont donc considérés comme plus crédibles que des sources similaires[12]. Certaines de ces sources sont gérées par des entreprises comme la société pétrolière américaine Chevron, dont le Richmond Standard n’incluait à l’origine aucun avis de non-responsabilité concernant sa propriété[13], alors que d’autres font la promotion de points de vue politiques particuliers[14], rassemblent des articles d’actualité de type « pièges à clics » pour gagner des revenus publicitaires[15], ou sont simplement gérées par des personnes qui ont un but intéressé[16].
Seul un Canadien sur six a payé pour des informations en ligne en 2023, une hausse de plus de cinq points de pourcentage par rapport à 2019[17]. On pourrait soutenir que nous avons ce que nous méritons. Comme l’a dit Madelaine Drohan : « Les contraintes financières des organes de presse ont eu un impact négatif sur les conditions de travail des journalistes, entraînant une conséquence inévitable : du journalisme de moindre qualité, moins de voix qui contribuent au débat public, et la perte de fidèles lecteurs, téléspectateurs et auditeurs[18]. »
Néanmoins, des recherches récentes ont montré que les personnes qui suivent l’actualité sur les médias sociaux en savent davantage sur les événements en cours, sont plus à même de faire la différence entre les nouvelles vraies et fausses, et ont davantage confiance dans les nouvelles[19]. Nous devons donc devenir plus aptes à identifier les sources d’information fiables et à les lire d’un œil critique.
[1] Thom, Jessica. « Believing the News: Exploring How Young Canadians Make Decisions About Their News Consumption. » (2016). Electronic Thesis and Dissertation Repository. 4269.
[2] Blevis, Mark and David Coletto. Matters of Opinion 2017: 8 Things We Learned About Politics, the News, and the Internet. February 7 2017.
[3] Lockhart, A., Laghaei, M & Andrey S. (2024) Survey of Online Harms in Canada 2024. The Dais.
[4] (2024) Trust in Media: How Canadians feel about news outlets. Pollara Strategic Insights.
[5] (2024) 2024 Edelman Trust Barometer: Canada Report. <https://www.edelman.com/trust/2024/trust-barometer>
[6] (2024) Trust in Media: How Canadians feel about news outlets. Pollara Strategic Insights.
[7] Kavanagh, Janet et Michael D. Rich. « Truth Decay: An Initial Exploration of the Diminishing Role of Facts and Analysis in American Public Life. » RAND Corporation, 2018.
[8] Hagar, N., & Diakopoulos, N. (2023). Algorithmic indifference: The dearth of news recommendations on TikTok. New Media & Society, 14614448231192964.
[9] Parker, S., Park, S., Pehlivan, Z., Abrahams, A., Desblancs, M., Owen, T., ... & Bridgman, A. (2024). When journalism is turned off: Preliminary findings on the effects of Meta’s news ban in Canada.
[10] MacDonald, M. (2024) Sale of Atlantic Canada's biggest newspaper chain could reduce local content: expert. The Canadian Press.
[11] (2024) Trust in Media: How Canadians feel about news outlets. Pollara Strategic Insights.
[12] Darr, J. P. (2023). How Sticky Is Pink Slime? Assessing the Credibility of Deceptive Local Media. The ANNALS of the American Academy of Political and Social Science, 707(1), 109-124.
[13] Taft, M. (2022) Chevron Jumps Into Texas News Desert With Stories About Puppies Football and Oil. Gizmodo.
[14] Fischer, S. (2024) Dark money news outlets outpacing local daily newspapers. Axios. https://www.axios.com/2024/06/11/partisan-news-websites-dark-money
[15] Knibbs, K. (2024) How a Small Iowa Newspaper’s Website Became an AI-Generated Clickbait Factory. Wired.
[16] Moore, R., Dahlke, R., Bengani, P., & Hancock, J. (2023). The Consumption of Pink Slime Journalism: Who, What, When, Where, and Why?.
[17] Reuters Institute Digital News Report 2024: Canada. https://www.cem.ulaval.ca/publications/dnr-2024-canada-eng/
[18] Drohan, Madelaine. « Does Serious Journalism Have a Future in Canada? » Public Policy Forum, 2016.
[19] Altay., S., Hose E. & Wojcieszak M. (2024) News on Social Media Boosts Knowledge, Belief Accuracy, and Trust. Preprint.