Les enjeux particuliers pour les préadolescents et les adolescents
N’étant plus de petits enfants, mais pas encore des adolescents, les préadolescents commencent à développer leur identité et sont désireux de cultiver une image perfectionnée d’eux-mêmes. Parallèlement, les spécialistes du marketing ont découvert qu’il y a beaucoup d’argent à gagner en traitant les préadolescents comme des adolescents. Selon le directeur de la publicité Chris Vollmer, « lorsque les enfants atteignent l’âge de 12 ans, ils commencent à avoir plus de pouvoir d’achat, et même à se percevoir comme des personnes influentes pour les achats du ménage[1] ».
En traitant les préadolescents comme des consommateurs indépendants et matures, les spécialistes du marketing ont réussi à éloigner les gardiens (les parents) du tableau, rendant les préadolescents vulnérables à des messages potentiellement malsains sur l’image corporelle, la sexualité, les relations et la violence.
Le marketing « cool » destiné aux adolescents
« Les adolescents sont désormais les gardiens des tendances modernes. Grâce à Internet et aux médias sociaux, les adolescents ont plus que jamais accès à ces informations[2]. »
(Oliver Pangborn, consultant principal en matière de perspectives chez les jeunes au cabinet d’études de marché The Futures)
Les entreprises profitent des insécurités et des doutes qu’entretiennent les adolescents envers eux‑mêmes en leur faisant croire qu’ils doivent, pour être vraiment cool, utiliser leurs produits.
Selon Naomi Klein, auteure de No Logo, les entreprises ont découvert dans les années 1990 que les jeunes étaient prêts à payer très cher pour avoir l’air cool. Depuis, les entreprises s’évertuent à mieux cerner ce concept vague.
La colère, le militantisme et l’attitude des adolescents sont devenus des marchandises que les spécialistes du marketing assimilent, conditionnent et revendent ensuite aux adolescents. Il devient difficile de déterminer ce qui est venu en premier : la culture des jeunes ou la version mise en marché de la culture des jeunes. Les médias reflètent-ils les adolescents d’aujourd’hui ou les adolescents d’aujourd’hui sont-ils influencés par les images des jeunes que véhiculent les médias? Il est important que les adolescents aient la possibilité de discuter de ces questions et de remettre en question les valeurs matérialistes que véhiculent les médias.
Image corporelle et publicité
Il est difficile pour les adolescents de développer une attitude saine à l’égard de la sexualité et de l’image corporelle lorsqu’une grande partie de la publicité qui leur est destinée est remplie d’images de jeunes exceptionnellement minces, en forme, beaux et fortement sexualisés. Il y a un message sous-jacent selon lequel il existe un lien entre la beauté physique et l’attirance sexuelle, ainsi que la popularité, le succès et le bonheur.
Les spécialistes du marketing de la mode comme Calvin Klein, Abercrombie & Fitch et Guess utilisent des campagnes de marketing provocantes mettant en scène de jeunes mannequins. Ces publicités vendent plus que des vêtements aux adolescents : elles vendent aussi une sexualité adulte.
Les images que véhiculent les médias peuvent inciter les jeunes à entretenir de la haine, voire du dégoût, à l’égard de leur propre corps, des sentiments qui peuvent alimenter les troubles alimentaires. Alors que l’image corporelle a longtemps été considérée comme un problème typiquement féminin, un nombre croissant de garçons souffrent désormais aussi de troubles alimentaires. Une étude menée en 2012 révèle que la moitié des garçons et des filles de 10e année estiment être trop maigre ou trop gros[3]. Des études ont également révélé que les garçons, tout comme les filles, pouvaient commencer à fumer dans l’espoir de perdre du poids[4].
Conditionnement de l’enfance
Alors même qu’ils passent de l’enfance à l’adolescence, les préadolescents (8 à 12 ans) sont continuellement bombardés de stéréotypes médiatiques contraignants sur ce que c’est qu’être une fille ou un garçon dans le monde d’aujourd’hui. Cette « enfance conditionnée » leur est vendue non seulement par le biais de publicités et de produits, mais aussi la télévision, la musique, les films, les magazines, les jeux vidéo et Internet.
Selon les messages médiatiques destinés aux enfants, les préadolescentes sont des mini-fashionistas, mignonnes et sexy, obsédées par les garçons, les amis, le magasinage, les vedettes de la pop et les célébrités, alors que les préadolescents sont indépendants et forts, obsédés par les sports, les jeux vidéo, l’aventure, les voitures, la musique et les sorties entre amis.
Les jeunes filles sont particulièrement ciblées par les spécialistes du marketing. Le contenu de ces publicités, à savoir la beauté, la sexualité, les relations et le consumérisme, inquiète les parents. Selon Sharon Lamb et Lyn Mikel Brown, auteures de Packing Girlhood, les images de filles « sexy, divas et folles des garçons » peuvent être très néfastes pour leur développement. À un âge où les filles « pourraient développer des compétences, des talents et des intérêts qui leur serviront toute leur vie, elles sont attirées dans un rêve d’unicité par la gloire pop et l’objectivité sexuelle[5] ».
Les stéréotypes des garçons que véhiculent les médias ne sont pas moins néfastes : ils sont presque toujours présentés comme des « durs à cuire » et, comme pour les filles, l’apparence physique est particulièrement mise en valeur. Les publicités et les films communiquent un idéal masculin athlétique et musclé. En fait, au cours des 20 dernières années, les figurines d’action comme Star Wars et G.I. Joe ont pris plus de muscles que les culturistes les plus acharnés. Les vidéos de rap et de hip-hop renforcent cette vision étroite de la masculinité : particulièrement populaire auprès des jeunes, cette culture musicale, dont les origines sont larges et diverses, s’est resserrée pour présenter une image unique et stéréotypée de la masculinité et des relations entre les genres.
La publicité pour adultes présentée aux enfants
La commercialisation du divertissement pour adultes auprès des enfants est un problème récurrent entre les organismes de réglementation gouvernementaux et les diverses industries des médias. Dans un rapport publié en 2000, la Commission fédérale du commerce (FTC) des États-Unis a reproché aux industries du cinéma, de la musique et des jeux vidéo de commercialiser régulièrement des divertissements violents auprès des jeunes enfants. Des rapports ultérieurs ont montré que, bien que des progrès aient été réalisés, notamment dans l’industrie des jeux vidéo, de nombreuses préoccupations subsistent quant à la fréquence à laquelle les divertissements pour adultes sont commercialisés auprès des enfants et à la facilité avec laquelle de nombreux jeunes peuvent accéder à des jeux, à des films et à de la musique pour adultes[6]. La FTC demande aux médias de divertissement de faire mieux dans des domaines spécifiques, notamment en restreignant la commercialisation de produits classés pour adultes auprès des enfants, en divulguant clairement et visiblement les informations relatives à la classification, et en limitant l’accès des enfants aux produits classés pour adultes dans les commerces[7].
C’est particulièrement pertinent dans le monde émergent de YouTube et des créateurs de contenu. Dans une déclaration de 2019, la FTC a demandé aux créateurs si leur contenu était destiné aux enfants. Elle a ensuite rappelé aux créateurs la Children’s Online Privacy Protection Act (loi sur la protection de la vie privée des enfants en ligne) promulguée en 1998, laquelle protège les enfants de moins de 13 ans lorsqu’ils naviguent en ligne[8]. Cependant, en 2021, Facebook a autorisé les annonceurs à présenter des publicités pour des produits alcoolisés, des jeux de hasard et des services de rencontres en ligne à des utilisateurs d’à peine 13 ans[9].
La promotion du divertissement destiné aux adultes ne s’inscrit pas nécessairement dans les paramètres définis par les organismes de réglementation comme la FTC, ce qui peut représenter un véritable défi. Par exemple, en 2019, les Kids Choice Awards de Nickelodeon ont été animés par le producteur de musique DJ Khaled, dont les chansons comportent régulièrement des avertissements pour les parents concernant du matériel potentiellement inapproprié pour les enfants. L’artiste a également été critiqué en 2018 pour avoir fait la promotion de boissons alcoolisées sur ses médias sociaux tout en omettant de les classer correctement comme des publicités, y compris une publication sur Snapchat présentant deux bouteilles d’alcool versées sur des céréales Cinnamon Toast Crunch (Croque Cannelle)[10].
Auto-marchandisation
Les utilisateurs fournissant la majeure partie du contenu, les médias réseautés, comme les réseaux sociaux et les sites de partage de vidéos, se distinguent des autres. Plusieurs ont ainsi l’impression que l’utilisation des médias sociaux fait partie intégrante de notre travail ou représente un travail en soi : « Tout comme Instagram a fait de chacun un photographe et Twitter un chroniqueur, le simple fait d’utiliser les médias sociaux nous a tous transformés en créateurs, pressant autant de microtransactions sur autant de plateformes que possible[11]. »
L’importance des influenceurs dans la culture des jeunes a amené bon nombre d’entre eux à vouloir se marchandiser de la même manière : 6 adolescents et jeunes adultes sur 10 publient du contenu non rémunéré lié à une marque et 86 % seraient prêts à publier du contenu commandité s’ils étaient payés pour le faire[12]. Une étude révèle que la principale aspiration professionnelle des enfants âgés de 5 à 7 ans était d’être « youtubeurs[13] ».
Si la participation aux médias sociaux peut être une forme importante d’auto-expression pour les jeunes, débouchant dans certains cas sur une carrière, il est important que les enfants comprennent les réalités de la création de médias en ligne pour faire de l’argent. Les youtubeurs, les vedettes de TikTok, les influenceurs et les instavidéastes (streamers) font tous état de harcèlement, de problèmes de santé et de pression pour fournir constamment de nouveaux contenus, ce qui peut, bien sûr, les priver du plaisir qu’ils prenaient à l’origine à créer des médias[14].
Pour les filles en particulier, il y a aussi une pression à l’égard de la sexualisation. Pour les influenceurs en herbe, l’auto-sexualisation est souvent considérée comme un moyen, voire une nécessité, d’attirer l’attention non seulement des personnes qui les suivent, mais aussi des marques[15]. Si certains utilisateurs sont poussés à se livrer à un véritable travail sexuel en ligne[16], les médias sociaux ont développé une « esthétique pornographique assez cohérente[17] » à laquelle les filles, et, de plus en plus, les garçons[18], se sentent obligés de se conformer.
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Ressources pour les parents
Ressources pour les enseignants
[1] Getzler, W.G. (2015). « The Power of 12: Digital Tweens Make for Marketing Sweet Spot ». Kidscreen. Consulté à l’adresse : https://kidscreen.com/2015/08/13/the-power-of-12-digital-tweens-make-for-marketing-sweet-spot/. [traduction]
[2] Lapowsky, I. (2014). « Why Teens Are the Most Elusive and Valuable Customers in Tech ». INC. Marketing. Consulté à l’adresse : https://www.inc.com/issie-lapowsky/inside-massive-tech-land-grab-teenagers.html.
[3] Freeman. J.G., et autres (2012). The health of Canada’s young people: a mental health focus. Agence de la santé publique du Canada.
[4] American Journal of Health Promotion (2007). « Adolescent Girls on Diets More Apt to Become Smokers ».
[5] Lamb, S., et Brown, L.M. (2007). Packaging girlhood: Rescuing our daughters from marketers’ schemes. St. Martin’s Press. [traduction]
[6] Federal Trade Commission (2009). « FTC Renews Call to Entertainment Industry to Curb Marketing of Violent Entertainment to Children ». Consulté à l’adresse : https://www.ftc.gov/news-events/news/press-releases/2009/12/ftc-renews-call-entertainment-industry-curb-marketing-violent-entertainment-children.
[7] Ibidem.
[8] Cohen, K. (2019). « Youtube channel owners: Is your content directed to children? ». Federal Trade Commission. Consulté à l’adresse : https://www.ftc.gov/business-guidance/blog/2019/11/youtube-channel-owners-your-content-directed-children.
[9] Taylor, J. (2021). « Facebook allows advertisers to target children interested in smoking, alcohol and weight loss ». The Guardian. Consulté à l’adresse : https://www.theguardian.com/technology/2021/apr/28/facebook-allows-advertisers-to-target-children-interested-in-smoking-alcohol-and-weight-loss.
[10] Truth in Advertising (2018). « DJ Khaled’s Snapchat Sobers Up ». Truth in Advertising. Consulté à l’adresse : https://truthinadvertising.org/articles/dj-khaleds-snapchat-sobers/.
[11] Jennings, R. (2021). « The sexfluencers ». Vox. Consulté à l’adresse : https://www.vox.com/the-goods/22749123/onlyfans-influencers-sex-work-instagram-pornography.
[12] (2019). The Influencer Report: Engaging Gen Z and Millennials. Morning Consult.
[13] Peak, J. (2021). « YouTube influencer tops job wishlist for children aged 5-7 ». Wigan Today. Consulté à l’adresse : https://www.wigantoday.net/news/people/youtube-influencer-tops-job-wishlist-for-children-aged-5-7-3442272.
[14] Needleman, S. (2021). « Twitch Live-Streamers Say Playing Games is Hard Work ». The Wall Street Journal.
[15] Drenten, J., Gurrieri, L., et Tyler, M. (2020). « Sexualized labour in digital culture: Instagram influencers, porn chic and the monetization of attention ». Gender, Work & Organization, 27(1), 41-66.
[16] Jennings, R. (2021). « The sexfluencers ». Vox. Consulté à l’adresse : https://www.vox.com/the-goods/22749123/onlyfans-influencers-sex-work-instagram-pornography.
[17] Drenten, J., Gurrieri, L., et Tyler, M. (2020). « Sexualized labour in digital culture: Instagram influencers, porn chic and the monetization of attention ». Gender, Work & Organization, 27(1), 41-66.
[18] Hawgood, A. (2022). « What Is ‘Bigorexia’? ». The New York Times. Consulté à l’adresse : https://www.nytimes.com/2022/03/05/style/teen-bodybuilding-bigorexia-tiktok.html.