Les enjeux pour les jeunes enfants

Les parents de jeunes enfants ont un rôle important à jouer pour assurer leur protection contre l'envahissement du marketing. Selon le magazine américain Consumer Reports, « les jeunes enfants font mal la distinction entre la publicité et la réalité contenues dans les annonces, lesquelles peuvent déformer leur compréhension du monde ».

enfant

Selon la chercheuse Blandína Šramová, « les jeunes enfants ont du mal à faire la distinction entre la publicité et la réalité des publicités[1] ». Pourtant, ils sont fortement ciblés par les annonceurs. Une note de service de l’entreprise de grignotines Nabisco envoyée en 1998 indiquait clairement qu’une fois les enfants devenus des adolescents, aux yeux de spécialistes du marketing, il est trop tard pour commencer à leur présenter de la publicité : « Puisque les préférences de goût sont déterminées tôt, les entreprises consacrent beaucoup d’efforts à attirer les jeunes enfants plutôt que les adolescents. Le placement de produit dans les films, la musique, les jeux et les sports ayant un attrait pour les adolescents est d’une grande importance pour tous ces spécialistes du marketing, Burger King et McDonald’s ciblant les films et les personnages télévisés pour enfants[2].

Les enfants de 11 ans et moins ont un pouvoir d’achat direct et indirect de 1,2 billion de dollars, ce qui a des conséquences sur les habitudes de consommation de leur famille[3].

  • Trois parents sur quatre affirment que leurs enfants influencent les décisions d’achat.
  • Dans l’ensemble 87 % des parents déterminent ce qu’ils ont besoin d’acheter, puis en discutent avec le reste de la famille, y compris les enfants.
  • Aussi, 60 % des enfants disent être au courant du budget du ménage.
  • Au total, 87 % des enfants se souviennent des publicités télévisées, ce qui amène 77 % des parents à affirmer que leurs enfants demandent des produits qu’ils ont vus dans ces publicités.
  • Les parents dépensent 60 % de plus lorsque leurs enfants participent aux décisions d’achat[4].

Par conséquent, les dépenses de l’industrie en matière de publicité destinée aux enfants ont explosé au cours des deux dernières décennies. Seulement aux États-Unis, on estime que les entreprises dépenseront 389,5 milliards de dollars, ce qui représente une hausse de 7 % par rapport à 2019, année où 363,4 milliards de dollars ont été dépensés[5].

Selon le Conseil canadien d’évaluation des jouets, le plus grand sujet de préoccupation concernant les publicités de jouets au Canada est l’exagération. Les jeunes enfants pensent souvent qu’un jouet peut en réalité faire beaucoup plus que ce qu’il peut faire en raison de la façon dont les jouets sont représentés dans les publicités.

Ces préoccupations ont amené certaines instances à interdire toute publicité destinée aux enfants. Le Québec a interdit la publicité imprimée et radiodiffusée destinée aux enfants âgés de moins de 13 ans. En 1991, la Suède a interdit les publicités destinées aux enfants âgés de moins de 12 ans[6].

Impacts du matérialisme

« La publicité, à son meilleur, consiste à faire croire aux gens que sans leur produit, ils sont des ratés. Les enfants y sont particulièrement sensibles. » [traduction]

« La publicité est la propagande du capitalisme. » [traduction]
Jean Kilbourne

Des préoccupations entourent également l’effet que le matérialisme excessif peut avoir sur le développement de l’image de soi et des valeurs des enfants. Dans son étude de 2013 sur la publicité et le matérialisme chez les enfants[7], Suzanna Opree a constaté que « les enfants qui étaient exposés à un plus grand nombre de publicités avaient un plus grand désir pour les choses dont ils voyaient la publicité et étaient donc déterminés à être plus matérialistes que les enfants qui y étaient moins exposés[8] », tandis qu’une autre étude a trouvé une relation entre la publicité, le matérialisme et les conflits entre parents et enfants[9].

Il existe des preuves solides voulant que le matérialisme nous rende tout simplement malheureux. Andrew Oswald, de l’Université de Warwick, qui a étudié l’effet de la publicité sur le bonheur, affirme que « si les dépenses en publicité étaient doublées, la satisfaction dans la vie diminuerait de 3 %. C’est environ la moitié de la baisse de satisfaction dans la vie observée chez une personne qui a divorcé ou environ un tiers de la baisse observée chez une personne qui s’est retrouvée au chômage. Nous avons une grande expérience de la manière dont les gens sont affectés par les événements négatifs de la vie, et la publicité a des conséquences non négligeables, même si on la compare à ces événements[10]. »

Publicité pour la malbouffe et préoccupations alimentaires

La publicité en ligne représente le créneau qui connaît la croissance la plus rapide pour les spécialistes du marketing alimentaire. En 2017, les entreprises alimentaires américaines ont dépensé 10,9 milliards de dollars chacune en publicité alimentaire[11], et les enfants canadiens voient plus de 25 millions de publicités de malbouffe en ligne chaque année[12]. La plupart des aliments commercialisés auprès des enfants sont riches en sucre ou en gras, pauvres en nutriments souhaitables ou les deux[13]. Sur les 4 à 7 publicités alimentaires que les enfants canadiens voient chaque heure à la télévision commerciale[14], environ 40 % présentent des collations malsaines[15]. Par conséquent, les jeunes en sont venus à penser que « la malbouffe est une nourriture pour enfants » et que les aliments sains sont réservés aux adultes[16].

Des influenceurs comme Charli D’Amelio font également la promotion d’aliments et de boissons malsains : la boisson qui porte son nom chez Dunkin’ Donuts contient 250 calories et 50 grammes de sucre dans un format moyen et 340 calories et 68 grammes de sucre dans un grand format, soit près de trois fois le maximum recommandé par l’académie américaine de nutrition et de diététique[17]. Les enfants qui voient des influenceurs manger des collations malsaines consomment un tiers de plus de calories provenant de la malbouffe et un quart de plus de calories en général que ceux qui n’en voient pas[18]. Des publicités pour la malbouffe sont aussi présentées sur de nombreux sites Web éducatifs, comme le site de jeux éducatifs ABCya![19].

Face à la pression croissante pour interdire ou limiter la publicité pour les aliments malsains destinée aux enfants dans les médias traditionnels, les spécialistes du marketing s’efforcent de faire participer les jeunes en ligne, loin de l’influence médiatrice de leurs parents. Par exemple, Candy Crush Saga, un jeu gratuit très populaire, propose différentes variétés de malbouffe et de sucreries dans ses jeux. Le jeu s’appuie sur les publicités pour générer ses revenus et propose donc des stratégies de marketing destinées aux jeunes consommateurs[20].

Les chaînes de restauration rapide dépensent plus de 3 milliards de dollars par année en publicité, dont une grande partie est destinée aux enfants. Pour cibler directement les enfants, l’industrie de la restauration rapide utilise bien plus que les publicités traditionnelles. Les restaurants offrent des incitatifs comme des terrains de jeux, des concours, des clubs, des jeux, des jouets gratuits et d’autres marchandises liées à des films, à des émissions de télévision et même à des ligues sportives.

Le Joyeux Festin de McDonald’s est réputé dans le monde entier pour le petit jouet inclus dans le repas qui incite les enfants et les adultes à l’acheter. Disney a mis fin à son partenariat avec McDonald’s en 2006[21] après des réactions négatives concernant la hausse de l’obésité infantile, mais l’a renouvelé en 2018 pour la sortie du film The Incredibles 2[22] (Les Incroyable). Comme l’explique l’auteur Eric Schlosser dans son ouvrage Fast Food Nation, « la culture de la restauration rapide en Amérique est devenue indissociable de la culture populaire des enfants ».

Selon la Childhood Obesity Foundation, en 2019, plus de 150 millions d’enfants dans le monde sont obèses, et elle croit que ce chiffre grimpera à 206 millions en 2025[23]. Le lien entre la publicité alimentaire et les habitudes alimentaires des enfants est bien documenté : une étude de 2018 révèle que 23 % de toutes les publicités diffusées à la télévision pour enfants aux États-Unis concernaient des aliments et des boissons[24], et une corrélation a été relevée entre les enfants qui voient ces publicités de restauration rapide et l’obésité infantile[25]. Dans l’ensemble, 99 % de ces publicités alimentaires ne respectaient pas les normes nutritionnelles définies par le groupe de travail interagences de l’administration Obama sur les aliments commercialisés auprès des enfants[26].

Les chaînes de restauration rapide utilisent en moyenne 59 % de leur budget marketing pour « acquérir des jouets et des jeux à distribuer avec un repas pour enfants[27] ». Ce marketing destiné aux enfants est particulièrement néfaste lorsque le jouet est lié à une célébrité populaire ou à un personnage de dessin animé, ce qui a une grande influence sur ce qu’un enfant choisit de manger parce que le jouet a l’air amusant. Près de 70 % des publicités de restauration rapide, analysées sur une période d’un an, utilisaient des jouets et des jeux pour promouvoir leur produit, ce qui influence la perception qu’a l’enfant du goût d’un produit malsain[28].

La promotion de jouets inspirés de divertissements pour adultes et adolescents

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 Bannière promotionnelle pour le film "Venom".

La commercialisation de jouets destinés aux jeunes enfants et inspirés de films à diffusion restreinte et de jeux vidéo classés « adultes » est une pratique courante de l’industrie. Dans son rapport de 2009 au Congrès, la Commission fédérale du commerce des États-Unis recommandait de restreindre la commercialisation de films classés PG-13 auprès des jeunes enfants, directement et par le biais de liens avec des aliments, des jouets et d’autres produits autorisés[29]. De même, en 2019, l’Australian Council on Children and the Media s’est plaint de la diffusion de bandes-annonces inappropriées aux heures de grande écoute pour les familles. Un extrait du film Venom, classé PG-13, a été diffusé pendant la grande finale de la ligue de football australien, regardé par 3,3 millions de personnes dans tout le pays[30].

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[1] Šramová, B. (2014). « Media literacy and marketing consumerism focused on children ». Procedia-Social and Behavioral Sciences, 141, 1025-1030. [traduction]

[2] Cité dans Moss, M. (2021). Hooked: food, free will, and how the food giants exploit our addictions. Random House.

[3] Viacom Staff (2018). « Kidfluence: How kids influence buying behaviour ». Viacom. Consulté à l’adresse : https://www.paramount.com/news/audience-insights/kidfluence-kids-influence-buying-behavior.

[4] Ibidem.

[5] Communiqué (2020). « Winterberry group research identifies the significant ahead for identity in marketing and advertising ». Winterberry Group. Consulté à l’adresse : https://www.winterberrygroup.com/news-posts/m1vo6imdpmytqznkbzt3zpah9l7do4.

[6] Lembke, J. (2018). « Why Sweden Bans Advertising Targeted at Children ». The Culture Trip. Consulté à l’adresse : https://theculturetrip.com/europe/sweden/articles/sweden-bans-advertising-targeted-children/.

[7] Opree, S., et autres (2013). « Children’s advertising exposure, advertised product desire, and materialism: A longitudinal study ». Université d’Amsterdam. 41(5) 717-735.

[8] Université d’État de Pennsylvanie (2016). « Advertising’s Effect on Materialism ». Consulté à l’adresse : https://sites.psu.edu/jcatenarcl/2016/03/03/advertisings-effect-on-materialism/.

[9] Buijzen, M., et Valkenburg, P.M. (2003). « The effects of television advertising on materialism, parent-child conflict, and unhappiness: A review of research ». Journal of Applied Developmental Psychology, 24(4), 437-456.

[10] Torres, N. (2020). « Advertising Makes Us Unhappy ». Harvard Business Review. Consulté à l’adresse : https://hbr.org/2020/01/advertising-makes-us-unhappy. [traduction]

[11] Harris, J., et autres (2019). Rudd Report. Consulté à l’adresse : http://uconnruddcenter.org/files/Pdfs/TargetedMarketingReport2019.pdf.

[12] Chai, C. (2017). « Canadian kids bombarded with more than 25M junk food and drink ads online every year ». Global News. Consulté à l’adresse : https://globalnews.ca/news/3217654/canadian-kids-are-bombarded-with-more-than-25-million-online-ads-for-junk-food-and-sugary-drinks-each-year/.

[13] Rachel, P. (2017). « Food marketing to children in Canada: a settings-based scoping review on exposure, power and impact ». Health promotion and chronic disease prevention in Canada: research, policy and practice, 37(9), 274.

[14] Potvin-Kent, M., Smith, J.R., Pauzé, E., et L’Abbé, M. (2018). « The effectiveness of the food and beverage industry’s self-established uniform nutrition criteria at improving the healthfulness of food advertising viewed by Canadian children on television ». The International Journal of Behavioral Nutrition and Physical Activity, 15(1), 57. Consulté à l’adresse : https://ijbnpa.biomedcentral.com/articles/10.1186/s12966-018-0694-0.

[15] Appel, J., et autres (2015). « Snack F.A.C.T.S 2015 ». Université du Connecticut. Consulté à l’adresse : http://i2.cdn.turner.com/cnn/2016/images/11/21/snackfacts_2015_fulldraft03.pdf.

[16] Rachel, P. (2017). « Food marketing to children in Canada: a settings-based scoping review on exposure, power and impact ». Health promotion and chronic disease prevention in Canada: research, policy and practice, 37(9), 274.

[17] Kim, D. (2021). « Are Junk Food Companies Using TikTok Influencers to Target Kids? ». Civil Eats. Consulté à l’adresse : https://civileats.com/2021/03/22/are-junk-food-companies-using-tiktok-influencers-to-target-kids/.

[18] Coates, A.E., Hardman, C.A., Halford, J.C., Christiansen, P., et Boyland, E.J. (2019). « Social media influencer marketing and children’s food intake: a randomized trial ». Pediatrics, 143(4).

[19] Emond, J.A., et autres (2020). « Unhealthy Food Marketing on Commercial Educational Websites: Remote Learning and Gaps in Regulation ». American Journal of Preventive Medicine. Consulté à l’adresse : https://www.ajpmonline.org/article/S0749-3797(20)30467-0/fulltext.

[20] Harris, J., et autres (2019). Rudd Report. Consulté à l’adresse : http://uconnruddcenter.org/files/Pdfs/TargetedMarketingReport2019.pdf.

[21] Klein, K. (2018). « Op-ed: The problem with Happy Meals isn’t the food ». LA Times. Consulté à l’adresse : https://www.latimes.com/opinion/op-ed/la-oe-klein-mcdonald-happy-meal-20180223-story.html.

[22] Whitten, S. (2018). « McDonald’s reunites with Disney on Happy Meals after more than a decade apart ». CNBC. Consulté à l’adresse : https://www.cnbc.com/2018/02/27/mcdonalds-serves-disney-branded-happy-meals-after-more-than-a-decade.html.

[23] Atlas of Childhood Obesity (octobre 2019). World Obesity Federation. Consulté à l’adresse : http://s3-eu-west-1.amazonaws.com/wof-files/11996_Childhood_Obesity_Atlas_Report_ART_V2.pdf.

[24] Cronin, J., et autres (2019). « No decline in junk food advertising on children’s television, according to new CSPI analysis ». Center for Science in the Public Interest. Consulté à l’adresse : https://www.cspinet.org/news/no-decline-junk-food-advertising-children%E2%80%99s-television-according-new-cspi-analysis-20191104.

[25] Gottesdiener, L. (2012). « 7 disturbing trends in junk food advertising for children ». Salon. Consulté à l’adresse : https://www.salon.com/2012/11/30/7_disturbing_trends_in_junk_food_advertising_for_children/.

[26] Cronin, J., et autres (2019). « No decline in junk food advertising on children’s television, according to new CSPI analysis ». Center for Science in the Public Interest. Consulté à l’adresse : https://www.cspinet.org/news/no-decline-junk-food-advertising-children%E2%80%99s-television-according-new-cspi-analysis-20191104.

[27] Healthy Eating Research (2014). Food Marketing: Using Toys to Market Childrens’ Meals. Consulté à l’adresse : https://healthyeatingresearch.org/wp-content/uploads/2014/07/her_marketing_toys_AUGUST_14.pdf. [traduction]

[28] Ibidem.

[29] Federal Trade Commission (2009). « FTC Renews Call to Entertainment Industry to Curb Marketing of Violent Entertainment to Children ». Consulté à l’adresse : https://www.ftc.gov/news-events/news/press-releases/2009/12/ftc-renews-call-entertainment-industry-curb-marketing-violent-entertainment-children.

[30] Baker, R. (2019). « Media Watchdog Anger: ‘Teeth bared, saliva drooling’ film character too much for our kids during footy ». The Advertiser. Consulté à l’adresse : https://www.adelaidenow.com.au/news/south-australia/media-watchdog-anger-teeth-bared-saliva-drooling-film-character-too-much-for-our-kids-during-footy/news-story/09eff95cfecc01d80f53c3b13ebd2138.