Image corporelle – Jeux vidéo et jeux en ligne

Les médias numériques, en particulier Internet et le jeu vidéo, tiennent une place toujours croissante dans la vie de nos enfants et de nos jeunes. Et même lorsqu’ils consomment d’autres médias comme la télévision, la musique et le cinéma, ils le font souvent via Internet. Par ailleurs, on retrouve une page Web, un univers virtuel, des jeux vidéo ou d’autres sous-produits numériques gravitant autour de la plupart des médias qu’ils consomment – partant du simple jouet à l’émission télévisuelle.

Les mondes virtuels comptent parmi les activités en ligne les plus prisées. Ceux qui s’adressent aux jeunes enfants, comme Pocoyo World, sont les plus populaires, mais parviennent aussi à charmer les enfants plus âgés : en 2003, moins de 8 % des Américains jouaient à des jeux vidéo et pourtant, en 2016, ce chiffre a augmenté de façon spectaculaire à 11 % [1], 21 % des joueurs étant âgés de moins de 18 ans. De plus, bon nombre d’adolescents plus âgés aiment jouer à des jeux en ligne principalement multijoueurs, comme Fortnite, lesquels chevauchent la ligne qui sépare les jeux vidéo des mondes virtuels en permettant aux joueurs de s’engager dans un jeu vidéo sans un environnement virtuel continu. Ce type de jeux est populaire chez les adolescents, alors que 66 % des joueurs masculins de la génération du millénaire et 45 % des filles préfèrent jouer avec leurs amis [2].

Jeu vidéo avec la poupée BarbieTous les mondes virtuels ont ceci en commun : on y trouve un avatar ou un personnage représentant le joueur qui évolue dans cet univers. En général, le joueur peut créer ses propres avatars (mais bien souvent, ce privilège revient uniquement aux joueurs payeurs; ceux qui jouent gratuitement doivent se contenter d’une version « par défaut » de l’avatar.) Malheureusement, les joueurs peuvent éprouver autant d’insécurité face à leur corps virtuel qu’à leur corps physique puisque les personnages féminins dépeints de façon réaliste dans les jeux vidéo sont très sexualisés et « plus minces que l’Américaine moyenne [3] » alors que les types de corps des avatars masculins sont généralement plus musclés et plus grands [4]. En réalité, les garçons rencontrent un si grand nombre de ces personnages très musclés que les garçons âgés de 6 à 10 ans qui lisent les magazines de jeux vidéo pendant un an ont signalé une plus grande insatisfaction corporelle que ceux qui lisent des magazines de mode, de sports ou de conditionnement physique [5].

Les univers virtuels conçus pour les très jeunes enfants, comme Pocoyo World et Minecraft, ont recours à des avatars non humains ou à des personnages aux allures très « bandes dessinées »; ceux qui s’adressent aux enfants un peu plus âgés, comme Stardoll et Barbie.com, ont tendance à offrir une palette très restreinte d’avatars ce qui a pour effet de renforcer les valeurs culturelles liées à la beauté. Comme nous dit la professeure Sara Grimes dans son essai « I’m a Barbie Girl, in a BarbieGirls World » (« Je suis une Barbie Girl vivant dans un monde de BarbieGirls »): « au final, nos avatars se ressemblent tous un peu – ce sont des femmes jeunes, minces…qui ont une forte tête et un visage aux traits délicats. » [6]

Image de jeu de soldat muscléLa recherche montre que même lorsqu’un joueur peut créer son avatar de toutes pièces, dans un monde virtuel comme Sims par exemple, il le dotera des attributs correspondant aux normes de beauté. Connie Morrison, dans son ouvrage Who do they think they are?, a été étonnée d’apprendre qu’il n’existe pas d’« avatars corpulents ». Elle a conclu que les mondes virtuels, comme Sims ou World of Warcraft, envoient des messages voulant que les joueurs doivent choisir des corps que la société juge idéaux [7].

Les gens réagissent aux traits physiques d’un avatar comme devant personne en chair et en os – un avatar grand et charmant leur semble plus aimable et convaincant – de fait, l’allure de son avatar peut même inciter un joueur à changer d’attitude et à se montrer plus confiant et plus sociable parce qu’il se sait plus attrayant (dans la « peau » de son avatar). C’est ce que l’on appelle l’effet Protée, c’est-à-dire que « le comportement d’une personne se conforme à son autoreprésentation numérique [8] ». Cet effet souligne le potentiel de création d’avatars comme modèle de comportement puisque les personnes en surpoids peuvent être motivées à faire de l’exercice et à modifier leur alimentation [9], ce qui arrive rarement en pratique par contre puisque souvent les images des avatars d’un poids insuffisant vont simplement amener les femmes de taille moyenne et en surpoids à se sentir mal dans leur corps [10]. La gamme restreinte d’options de personnalisation des avatars disponibles dans les mondes virtuels les plus populaires, en plus de la pression des autres et de la nôtre pour créer un avatar « amélioré », signifie que la liberté de personnaliser notre apparence dans les mondes virtuels entraîne encore plus d’insécurité quant à notre apparence et à la taille de notre corps.

Réseaux sociaux et communautés virtuelles

Les réseaux sociaux comme Facebook, de même que les blogues et forums de discussion en ligne dispensent peu et aucun contenu: ils offrent plutôt aux usagers un lieu commun pour y afficher leur propre contenu en ligne. Chez les jeunes, ce contenu porte habituellement sur eux-mêmes. Les réseaux sociaux nous permettent de diffuser une grande variété de contenus, en partant de la vidéo à une simple réflexion personnelle, mais ce sont les photos que les jeunes préfèrent échanger entre eux. (C’est surtout vrai depuis que la majorité des téléphones cellulaires sont munis de caméras). Comme dans les mondes virtuels, la pression sociale incite les jeunes à retoucher leurs propres photos (en particulier les photos ajoutées à leur profile et qui seront vues par tous les visiteurs et accessibles au grand public via Internet) – ils veulent avoir fière allure sur ces photos, ils utiliseront donc des angles de caméra plutôt flatteurs et retoucheront l’image à l’aide du logiciel Photoshop. En combinant Instagram et Photoshop, le commun des mortels a maintenant accès à des techniques de retouche photo traditionnellement réservées aux mannequins et aux célébrités – par exemple la composition, la retouche photo et le montage – de nos jours, tout le monde peut utiliser ces techniques pour modifier des photos personnelles et avoir meilleure apparence…sur photos. [11] On ne saurait s’en étonner, ceux qui puisent leur valeur personnelle dans le regard de l’autre – y compris ce qu’on pense de leur apparence physique – seront plus enclins à partager leurs photos que les autres, dont l’estime de soi repose avant tout sur leur intelligence et leurs réalisations personnelles. [12]

Les jeunes utilisent les réseaux sociaux presque essentiellement pour garder le contact avec leurs amis présents dans leur vie de tous les jours. Les communautés virtuelles, pour leur part, jouent un autre rôle - celui de faciliter les contacts entre les gens du monde entier et qui partagent des intérêts communs; les retombées sont souvent positives, en particulier auprès des gens isolés issus de régions éloignées. Mais les communautés virtuelles peuvent également alimenter un rapport malsain au corps. Les plus connues sont sans doute les communautés virtuelles dites « pro-anorexie » composées de sites Internet, de blogues individuels et réseautés; on les retrouve même dans des groupes de discussion sur les sites de médias sociaux comme Snapchat et Instagram qui font la promotion de la minceur et de la façon d’obtenir un type de corps idéalisé d’une manière malsaine [13].

Selon Shirley Cramer, directrice générale de la Royal Society for Public Health au Royaume‑Uni, « les médias sociaux font maintenant partie du quotidien de tout le monde et nous devons donc essayer de comprendre leur impact sur la santé mentale et surtout celle des jeunes femmes ». Elle croit que les impacts des médias sociaux sont plus importants sur les jeunes âgés de 16 à 24 ans. Comme l’a mentionné une participante dans l’étude de Shirley Cramer, « Instagram amène facilement les filles et les femmes à estimer que leur corps n’est simplement pas assez bien [14] ». Cette façon de penser découle vraisemblablement de la manipulation numérique constante des photos publiées sur la plateforme de média social, poussant les jeunes filles à croire qu’elles ne pourront jamais obtenir le type de corps idéal, même si le type de corps idéal auquel elles se comparent n’est pas réel.

Cependant, il ne fait aucun doute que l’utilisation des médias sociaux n’est pas le seul élément qui entraîne ces impacts : la façon dont nous les utilisons joue aussi un rôle. Alors que la visualisation d’images idéalisées, ou de contenu d’« inspiration minceur » visant à encourager la perte de poids, était associée à une insatisfaction corporelle moindre, la visualisation de contenu positif sur l’image corporelle sur Instagram a démontré que les femmes sont plus satisfaites de leur corps [15].

 

[1] Ingraham, C (2017) It’s not just young men – everybody’s playing a lot more video games. Washington Post. Retrieved from https://www.washingtonpost.com/news/wonk/wp/2017/07/11/its-not-just-young-men-everyones-playing-a-lot-more-video-games/

[2] The Entertainment Software Association (2019). 2019 Essential facts about the computer and video game industry. Retrieved from https://www.theesa.com/wp-content/uploads/2019/05/2019-Essential-Facts-About-the-Computer-and-Video-Game-Industry.pdf

[3] Martins, N., Williams, D. C., Harrison, K., & Ratan, R. A. (2009). A content analysis of female body imagery in video games. Sex Roles, 61(11-12), 824-836.

[4] Martins, N., Williams, D. C., Ratan, R. A., & Harrison, K. (2011). Virtual muscularity: A content analysis of male video game characters. Body Image, 8(1), 43-51.

[5] Dingelfelter, S. Video game magazines may harm boys’ body image. Monitor on Psychology October 2006, 37:9.

[6] Grimes S. “I’m a Barbie Girl, in a BarbieGirls World.” The Escapist, 165, September 2, 2008.

[7] Morrison, C (2010) Who do they think they are? Teenage girls and their avatars in spaces of social online communication. Peter Lang

[8] Yee, Nick and Bailenson, Jeremy. (2007) The Proteus Effect: The Effect of Transformed Self-Representation on Behavior. Human Communication Research 33(3):271 – 290. DOI: 10.1111/j.1468-2958.2007.00299.x [traduction]

[9] Riva, G et al. (2016) Virtual worlds versus real body: Virtual reality meets eating and weight disorders. Cyberpsychology, Behaviour and Social Networking Journal. 19(2). 63-66

[10] Dirk Smeesters, Thomas Mussweiler, and Naomi Mandel. “The Effects of Thin and Heavy Media Images on Overweight and Underweight Consumers: Social Comparison Processes and Behavioral Implications.” Journal of Consumer Research: April 2010.

[11] Stefanone, Michael et al. Contingencies of Self-Worth and Social-Networking-Site Behavior. Cyberpsychology, Behavior, And Social Networking.14:1-2, 2011.

[12] Ibid.

[13] Cohen, Alex. Countering the Online World of ‘Pro-Anorexia’. Day to Day, February 27, 2009. http://www.npr.org/templates/story/story.php?storyId=101210192

[14] Royal Society for Public Health. (2017, May) Status of mind: Social media and young people’s mental health and wellbeing. Retrieved from https://www.rsph.org.uk/our-work/campaigns/status-of-mind.html [traduction]

[15] Cohen, Rachel et al. (2019) #BoPo on Instagram: An experimental investigation of the effects of viewing body positive content on young women’s mood and body image. New Media and Society, 21:7. https://doi.org/10.1177/1461444819826530