Le marketing de la violence auprès des jeunes

Nul ne sait mieux que l’industrie du marketing que les enfants et les jeunes représentent un énorme marché, autant par leur propre pouvoir d’achat que par l’influence qu’ils exercent sur les dépenses familiales.

Les producteurs de médias font de la publicité dans les publications pour adolescents, diffusent des bandes-annonces pour des films destinés aux adultes à des heures où les enfants peuvent être devant l’écran et recrutent des préados et des enfants (parfois dès l’âge de sept ans) pour évaluer des scénarios, des publicités, des bandes-annonces et des premiers montages de films cotés R (réservés aux adultes). L’industrie du film et des jeux vidéo conçoit souvent des jouets dérivés de films et de jeux pour adultes à l’intention d’enfants aussi jeunes que quatre ans. Par conséquent, même si un film spécifique ne convient pas aux enfants, l’achat de jouets, t-shirts et autres articles dérivés n’est pas considéré comme inapproprié.

La commercialisation du divertissement pour adultes auprès des enfants est un problème récurrent pour les organismes de réglementation gouvernementaux et les diverses industries des médias. Dans un rapport publié en 2000, la Federal Trade Commission (FTC) des États-Unis réprimandait les industries du film, de la musique et des jeux vidéo pour avoir fait la promotion active de divertissements violents auprès des jeunes enfants. Des rapports subséquents ont montré que même si des progrès ont été réalisés – notamment dans l’industrie des jeux vidéo –, de nombreuses préoccupations restent en suspens en ce qui a trait à la fréquence de la promotion du divertissement pour adultes auprès des enfants et à la facilité avec laquelle de nombreux jeunes peuvent accéder à des jeux, des films et de la musique pour adultes.[1] La FTC demande aux médias de divertissement d’améliorer entre autres ces volets spécifiques : la restriction de la commercialisation des produits pour adultes auprès des enfants, la communication claire et bien en vue des renseignements sur la classification et la restriction de l’accès des enfants aux produits pour adultes lors de la vente au détail.[2]

Le contenu violent est également fortement commercialisé auprès des enfants en ligne. En réponse aux inquiétudes suscitées par le contenu inapproprié sur YouTube, Google a lancé YouTube Kids en 2015. Bien que le contenu de l’application soit certainement mieux sélectionné que le site principal de YouTube, du contenu violent et préoccupant s’y glisse tout de même, des vidéos étranges de Spider-Man et d’Elsa de Frozen armés d’armes automatiques[3] aux séquences de jeu violentes[4].

Quant à l’industrie de la musique, les cinq grandes maisons de disques continuent de faire la promotion d’albums ayant un contenu explicite ou violent à la télévision et dans des magazines populaires auprès des enfants et des jeunes de moins de 17 ans. Bien que le contenu violent figure sur l’une des étiquettes d’avertissement parental de la Recording Industry Association of America, la musique comportant des paroles violentes peut tout de même être annoncée dans les espaces où des jeunes sont susceptibles de la voir. De même, dans le cadre des services de diffusion en continu de musique, les jeunes sont libres de choisir entre la version éditée et la version explicite d’une chanson[5].

En plus de profiter de la violence et d’en faire la publicité, les médias sont de plus en plus utilisés pour promouvoir les armes à feu. Les industries de la télévision et du cinéma entretiennent une relation de longue date avec l’industrie des armes à feu, les fabricants d’armes fournissant gratuitement des armes « factices », donnant des conseils sur leur utilisation, et payant parfois pour que leur marque soit mise en vedette : l’apparition d’une marque dans un film ou une émission de télévision à succès peut stimuler les ventes et les maintenir pendant des décennies[6]. Dans les médias sociaux, les influenceurs arborent des armes de poing et des bikinis de camouflage pour « embellir le monde intrinsèquement laid et en apparence indésirable des armes[7] ». Et même s’il est encore difficile de déterminer si les jeux vidéo violents entraînent de l’agressivité, les fabricants d’armes payent pour que leurs produits y soient présentés[8], et l’armée américaine a conclu qu’ils constituaient un outil de recrutement efficace, que ce soit sous la forme de « jeux d’entraînement » comme America’s Army ou de séances de diffusion en continu commanditées sur YouTube ou Twitch[9].

 

 

[1] Federal Trade Commission (2009). FTC Renews Call to Entertainment Industry to Curb Marketing of Violent Entertainment to Children. http://www.narm.com/PDF/FTCReport_1209.pdf

[2] Ibid.

[3] Koerber, B (2017) Gaming the System. Mashable. Consulté sur le site https://mashable.com/2017/10/22/youtube-kids-app-violent-videos-seo-keywords/

[4] Hess, F.N. (2019) YouTube Kids: There is still a HUGE problem. Pedimom. Consulté sur le site https://pedimom.com/youtube-kids-inappropriate-videos/

[5] (2020). PAL Standards. Recording Industry Association of America. Consulté sur le site https://www.riaa.com/resources-learning/parental-advisory-label/

[6] Baum, G., & Johnson S. (2018) “Locked and Loaded: The Gun Industry’s Lucrative Relationship with Hollywood.” The Hollywood Reporter. Consulté sur le site https://features.hollywoodreporter.com/the-gun-industrys-lucrative-relationship-with-hollywood/

[7] Tiffany, K. (2019) The Hired Guns of Instagram. Vox. Consulté sur le site https://www.vox.com/features/2019/6/19/18644129/instagram-gun-influencers-second-amendment-tactical-community [traduction]

[8] Parkin, S. (2019) Shooters: How Video Games Fund Arms Manufacturers. Eurogamer. Consulté sur le site https://www.eurogamer.net/articles/2013-02-01-shooters-how-video-games-fund-arms-manufacturers

[9] Uhl, J. (2020) The US Military is Using Online Gaming to Recruit Teens. The Nation. Consulté sur le site https://www.thenation.com/article/culture/military-recruitment-twitch/