Pourquoi la violence est-elle si présente dans les médias ?

Les représentations de la violence ne sont pas nouvelles. En fait, la violence est un élément clé des médias depuis la naissance de la littérature : la poésie et le théâtre grec antique représentaient souvent des meurtres, des suicides et des actes d’automutilation ; de nombreuses pièces de Shakespeare exposent violence, torture, mutilation, viol, vengeance et terreur psychologique ; certains des livres les plus populaires du 19e siècle étaient des romans à sensation qui ne manquaient pas d’être sanglants et horrifiants.

Dans le monde actuel des médias de masse, la pensée populaire indique que la violence rapporte. Les coûts d’exportation et de traduction des médias violents sont minimes, et les médias violents sont perçus sans trop de problèmes par les marchés des autres cultures que la nôtre. La violence est une langue facile à comprendre et nécessite peu de contexte pour la présentation d’une intrigue : tous comprennent les explosions, les coups de feu et les arts martiaux. Examinons les données suivantes :

  • De 1995 à 2020, le film ayant généré le plus de revenus au box-office pour chaque année était incontestablement violent, à l’exception de cinq films. Les deux genres les plus populaires : les films d’action et d’aventure, les deux présentant des actes de violence[1].
  • Les films classés PG-13 ans représentent près de la moitié du marché américain. Les films classés PG (contrôle parental) ou PG-13 ans génèrent davantage de revenus que les autres types de films combinés et comportent actuellement plus de violence que les films classés R (restreint)[2].
  • Dans l’ensemble, 70 %, ou 51,5 millions, des enfants de moins de 18 ans jouent à des jeux vidéo aux États-Unis[3].
  • L’âge moyen des joueurs de jeux vidéo est de 35 à 44 ans[4].
  • Seulement 13 % de tous les jeux vendus reçoivent une cote « M » pour « mature », le classement le plus élevé qu’ils peuvent recevoir[5].
  • En 2019, les consommateurs aux États-Unis ont dépensé environ 43 milliards de dollars sur les jeux vidéo[6].

Comme nous pouvons le voir à partir des données ci-dessus, les deux principales formes de médias de divertissement qui commercialisent des représentations de violence font d’excellentes affaires. Toutefois, il est intéressant de noter que même si une bonne part de la panique morale tourne autour des jeux vidéo, la majorité des joueurs ne sont pas des enfants, mais bien des adultes. D’un autre côté, la principale source de revenus pour les réalisateurs d’Hollywood consiste à créer des films destinés à une jeune clientèle.

Ainsi, les films qui sont axés sur l’action plutôt que les dialogues tout en étant accessibles aux mineurs semblent offrir une combinaison idéale en matière de revenus. Cette combinaison permet aux réalisateurs de cibler les marchés locaux les plus rentables tout en conservant une pertinence sur les marchés étrangers grâce à la faible quantité de dialogues et de références spécifiques à la culture nationale. Ainsi, les films d’action ne nécessitent pas une grande complexité en ce qui a trait aux intrigues ou aux personnages. Ils comportent des combats, des meurtres, des effets spéciaux et des explosions qui retiennent leur public. Contrairement aux comédies ou aux drames – qui nécessitent un scénario bien ficelé, un humour tranchant et des personnages crédibles, tous des éléments qui diffèrent souvent selon la culture – les films d’action laissent beaucoup de latitude en ce qui a trait à la rédaction et au jeu des acteurs. Les films d’action sont simples et universellement compris. Pour couronner le tout, la nature principalement non verbale du genre de films que la journaliste Sharon Waxman désigne comme « faibles en dialogues, élevés en testostérone » permet un doublage ou une traduction relativement bon marché.[7]

Cela fait du moins partie des opinions toutes faites de l’industrie du film : en fait, les recherches indiquent que la violence comporte au mieux un effet mineur et indirect sur le succès financier d’un film,[8] et le plus grand marché étranger – la Chine[9] – est plus sévère en matière de censure que les États-Unis. Cette censure complique les choses pour les films étrangers alors que des restrictions sont imposées au chapitre de la nudité, du sexe et de la violence[10]. Aussi, les recherches démontrent que ce qui attire les jeunes, même les garçons, n’est pas les héros violents, mais les héros qui réussissent à trouver une solution aux problèmes[11].

Cependant, la conviction selon laquelle la violence est un passeport pour des recettes étrangères est toujours répandue, ce qui signifie que des pressions énormes sont exercées sur l’industrie cinématographique américaine pour abandonner la complexité en faveur des films d’action.[12] 

Les jeux vidéo et la violence

Bien que bon nombre de jeux vidéo non violents aient du succès, ils continuent d’être presque toujours associés à la violence. Leur réalisme digne d’une salle de projection et leurs énormes budgets de promotion en font l’industrie qui se classe au deuxième rang des plus rentables du monde.

Contrairement aux films, les critiques de jeux vidéo n’ont pas l’habitude de critiquer ou de remettre en question la nécessité de la violence : les jeux qui tentent d’empêcher le désengagement moral et de vous faire prendre conscience des impacts de vos actions sont rares et généralement mal accueillis par les joueurs[13]. Il est possible que la qualité des jeux empêche de prendre la distance nécessaire pour critiquer la violence dans les médias tout en la subissant. La critique du jeu Six Days of Fallujah, par exemple, qui reproduit une bataille au cours de laquelle les troupes américaines sont accusées d’avoir commis des crimes de guerre, résume bien le problème : si les joueurs devaient commettre ce type d’actions, ils donneraient l’impression de les approuver ou de banaliser le problème, mais les laisser de côté créerait une version aseptisée d’événements du monde réel[14].

En 2019, les jeux vidéo les plus populaires comprenaient Call of Duty: Modern Warfare 2019 et Grand Theft Auto V, des jeux ultras violents, successeurs du genre des jeux de tir à la première personne rendu célèbre par Doom[15]. Ce genre continue de générer d’importantes ventes et, tout comme les films et les émissions de télévision violents, ces jeux ne nécessitent qu’un minimum de traduction ou d’adaptation pour passer d’une culture à l’autre. Alors que bon nombre de ces jeux se jouent principalement à plusieurs joueurs, ce qui, selon les recherches, s’apparente davantage à la pratique d’un sport qu’à la consommation de médias violents[16], la plupart d’entre eux offrent aussi une trame à un seul joueur.

Le cycle des actualités 24 heures sur 24

En 1980, Ted Turner a fondé la première chaîne de télévision d’information en continu, CNN, révolutionnant ainsi la relation des gens avec l’actualité. Neuf ans plus tard, le journaliste Eric Pooley a inventé l’expression « Le sang fait la une » (« If it bleeds, it leads » en anglais), en référence à la pression que subissent les organes de presse pour présenter des histoires violentes et sensationnalistes au nom des cotes d’écoute[17]. Bien qu’il soit possible d’affirmer que ce n’est que partiellement vrai pour les médias canadiens en général, la pression du cycle de 24 heures, dans lequel les nouvelles sont constamment « de dernière heure » et les producteurs ont moins de temps pour juger si certaines images sont appropriées ou non, signifie qu’il existe une pression importante pour diffuser tout ce qui pourrait être une « exclusivité ».

La diffusion en direct et les médias sociaux

Bien que la quasi-totalité des réseaux sociaux et des sites de partage de vidéos interdise la violence explicite, la quantité même de contenus publiés signifie que certains réussiront à passer à travers les mailles du filet. (La nécessité d’examiner ce contenu exerce également une pression psychologique énorme sur les modérateurs de contenu de ces sites, qui peuvent avoir à visionner des centaines d’actes violents par jour[18].) En particulier, la diffusion en direct a été utilisée pour diffuser des actes violents au moment où ils se produisent, y compris des tueries de masse motivées par la haine. Alors que les plateformes interviennent habituellement rapidement en supprimant ces contenus une fois qu’ils sont publiés, il est souvent difficile de les empêcher sur le coup, et des copies sont souvent faites et partagées avant même que l’original soit supprimé[19].

 

 

 

[1] (2020). « US Movie Market Summary from 1995 to 2020. » The Numbers.

[2] Hervieux, L (2017) According to researchers, the most violent movies aren’t rated R, but rather…Fox News. Consulté sur le site https://www.foxnews.com/lifestyle/according-to-researchers-the-most-violent-movies-arent-rated-r-but-rather

[3] (2019). « Essential Facts about the Computer and Video Game Industry. » Entertainment Software Association.

[4] Ibid.

[5] Ibid.

[6] Richter, F (2019) Americans spent $43 billion on video games in 2018. Statista. Consulté sur le site https://www.statista.com/chart/9838/consumer-spending-on-video-games/

[7] S. Waxman (1990). « Hollywood Attuned to World Markets. » Washington Post; Page A1.

[8] Taylor, Laramie. (2003) « The Effects of Nudity, Sexual Content, and Violence on a Film’s Financial Success. » Paper presented at the annual meeting of the International Communication Association, Marriott Hotel, San Diego, CA.

[9] Ma, A (2019) China is ramping up censorship of its movie industry ahead of the communist party’s 70th-anniversary celebrations, and Hollywood is stepping in to fill the void. Business Insider. Consulté sur le site https://www.businessinsider.com/china-movie-censorship-gives-hollywood-advantage-2019-9

[10] Savistsky, S (2019) Hollywood’s cave to China on censorship. Axios. Consulté sur le site https://www.axios.com/hollywood-movies-china-censorship-bba26aa9-b122-4b2c-80e1-054394414698.html

[11] Götz, M., & Herche, M. (2012). What really annoys me about the way girls and boys are portrayed in children’s television: Children from 21 countries write illustrated letters to TV producers. Sexy girls, heroes and funny losers: Gender representations in children’s TV around the world, 181-202.

[12] Lacey, Liam. (2011). « International box office: The tail that wags the Hollywood dog. » The Globe and Mail

[13] Hartmann, T. (2017). The ‘Moral Disengagement in Violent Videogames’ Model. Game Studies, 17(2).

[14] Francis, B. (2021) Six Days in Fallujah tramples over the human cost of the Iraq War. Gamasutra. https://www.gamasutra.com/view/news/379277/Opinion_Six_Days_in_Fallujah_tramples_over_the_human_cost_of_the_Iraq_War.php

[15] Kain E, (2020) The 20 Best-selling video games of 2019. Forbes. Consulté sur le site https://www.forbes.com/sites/erikkain/2020/01/17/the-20-best-selling-video-games-of-2019/?sh=b8cecb573da5

[16] Shoshani, A., & Krauskopf, M. (2021). The Fortnite social paradox: The effects of violent-cooperative multi-player video games on children's basic psychological needs and prosocial behavior. Computers in Human Behavior, 116, 106641.

[17] Pooley E. (1989) « Grins, Gore, and Videotape: The Trouble with Local TV News. » New York.

[19] Grygiel J. (2019) « Livestreamed massacre means it’s time to shut down Facebook Live. » The Conversation. Consulté sur le site https://theconversation.com/livestreamed-massacre-means-its-time-to-shut-down-facebook-live-113830