Récits de violence contre les femmes et les minorités
Troy, sois ma fierté. Sois le premier Noir à te rendre jusqu’au bout.
Abed Nadir, Community
…le taux de survie des uniformes rouges dépendait également de la nature de la relation entre les extraterrestres et le capitaine Kirk. Lorsque le capitaine Kirk rencontrait une femme extraterrestre avec laquelle il « avait des contacts », le taux de survie de l’équipage en uniforme rouge augmentait de 84 %.
Matt Bailey, Analytics According to Captain Kirk
À première vue, ces trois extraits, dont l’un porte sur une pièce de Shakespeare, l’un sur une série télévisée populaire et l’autre sur une émission de science-fiction des années 1960, ont peu de choses en commun. Mais ils reflètent tous des problèmes associés à des représentations de violence contre les femmes et les minorités.
La pièce Titus Andronicus de Shakespeare est une excellente illustration de la problématique de la représentation de la violence contre les femmes et les minorités par les médias. Lavinia, la fille du héros de la pièce, est victime d’une mutilation et d’un viol sauvages commis par les méchants. L’attaque à son égard n’a pas pour but de la punir d’une mauvaise action, mais plutôt de faire souffrir le héros d’établir les prémisses d’une tragédie à propos de son père. Une comparaison entre le nombre de fois où elle parle (60 lignes) et le nombre de répliques des hommes qui discutent et racontent avec précision les détails de son agression et qui relatent comment cela les blesse ou les enchante (environ 300 lignes) indique que Lavinia est le seul personnage de la pièce dont le sort est raconté avec autant de délectation. Lorsque la mort d’un personnage prend plus d’importance que sa vie, nous devrions en déduire que son existence servait à faire avancer l’intrigue plutôt qu’à faire en sorte que le public s’y identifie.
Le rôle de Lavinia est assez commun dans la plupart des histoires dramatiques. Elle a de l’importance pour le protagoniste (mais pas nécessairement pour l’auditoire ou même l’histoire en soi) dont les souffrances suscitent des actes d’héroïsme ou inspirent au moins la compassion de l’audience à son égard. Bien que ce ne soit pas un problème en soi (après tout, les souffrances et les conflits sont des éléments essentiels à la dramaturgie), ce type de personnage devient problématique dès que nous examinons qui a tendance à jouer ce rôle dans les histoires populaires et à qui est confié le rôle du héros pleurant et vengeant ses souffrances.
Dans les médias populaires, ces rôles jetables sont à coup sûr attribués à des femmes et à des minorités, à un point tel qu’ils permettent la création d’un certain nombre de tropes facilement reconnaissables. (Un trope est un modèle commun dans une histoire ou une caractéristique reconnaissable chez un personnage qui transmet des informations à l’audience. Malheureusement, les tropes perpétuent souvent des stéréotypes offensants.)
Considérons les trois tropes élaborés ci-dessous dans le cadre des citations au début de cette section.
Les victimes suivantes sont utilisées pour faire avancer l’histoire du protagoniste :
- Les uniformes rouges : Dans la série originale de Star Trek, la gravité d’une situation était souvent indiquée par la mort de membres de l’équipage de sécurité, dont certains portaient des uniformes rouges. Cette façon de faire était si lourde que le terme « Redshirt » est resté pour définir des personnages qui apparaissent dans une histoire dans le seul but de créer une tension dramatique au moment d’une blessure ou de leur décès.
- Le décès d’un Noir : On y décrit ici une tendance qui revient souvent dans les films d’action et d’horreur, de même qu’à la télévision et dans les jeux et les bandes dessinées. Ainsi, les personnages de race noire meurent plus fréquemment que leurs homologues blancs.
- La femme dans le réfrigérateur : Gail Simone, auteure de bandes dessinées, a noté la tendance à faire des personnages féminins dans les bandes dessinées des victimes de persécutions afin de faire progresser l’intrigue pour un homme d’importance ou un coéquipier. L’expression « la femme dans le réfrigérateur » découle de la mort d’Alex DeWitt, la petite amie du superhéros de Green Lantern, assassinée par un superméchant et déposée dans le réfrigérateur du héros.[1]
Ces trois tropes, qui traitent de différents types de victimes, ont en commun le fait de décrire des cas dans lesquels un personnage secondaire subit des actes de violence afin de faire progresser l’histoire du protagoniste. En réaction à cette tendance, nous sommes portés à penser ainsi : « Et alors ? Il s’agit d’histoires d’action et d’aventure. Le mal est partout. Le héros prend part à des combats et se fait battre tout le temps, lui aussi. » C’est vrai. Mais ces personnages sont confrontés à un contexte d’adversité différent. Gail Simone a examiné le sort de personnages masculins semblables et découvert une tendance totalement différente. Alors que les personnages féminins sont rendus généralement insignifiants par la mort, la folie ou la déresponsabilisation, leurs homologues masculins ont tendance à vivre ces revers (même la mort) comme des obstacles temporaires à un retour triomphant ultérieur. En revanche, la mort des femmes est le plus souvent utilisée pour créer un récit permettant au héros masculin de se venger ou de surmonter l’adversité.
Certains chercheurs ont attribué l’augmentation du nombre de « films de super-héros et d’action hypermasculins » au cours de la dernière décennie à la perte disproportionnée d’emplois dans les domaines dominés par les hommes par rapport aux femmes à la suite à la suite de la crise financière de 2008, soutenant qu’une perte perçue de la masculinité a poussé les industries du cinéma et de la télévision à investir massivement dans des genres hypermasculins comme les super-héros et l’action[2]. Les films qui ont suivi, comme Spider-Man, Wolverine et Iron Man, sont remplis de « protagonistes masculins blancs en colère ou en difficulté qui sont là pour atténuer la crise de la masculinité[3] ». Même lorsque les femmes obtiennent des rôles dans ces films d’action, « ce sont toujours les hommes qui font preuve d’une véritable force débridée[4] ».
Au cours des dernières années, les héroïnes sont devenues plus présentes dans les films d’action, en particulier les films de super-héros comme Wonder Woman et Mad Max: Fury Road (2015). Alors que le succès commercial de ces films « montre que les gens apprécient les films présentant des protagonistes féminins forts et physiquement puissants[5] », les chercheurs ont constaté que la plupart des protagonistes féminins « attribuent des sentiments de gêne et de honte à leur situation[6] ».
Les actualités présentent aussi la violence différemment selon les personnes concernées. Des recherches ont montré que les reportages sur les Noirs sont presque quatre fois plus susceptibles d’inclure un contenu violent que ceux sur les Blancs[7]. Les meurtres de Noirs, en particulier ceux commis par la police, sont régulièrement justifiés en disant que la victime n’était « pas un ange[8] », alors que les Blancs qui commettent des crimes violents sont beaucoup plus susceptibles que les Noirs de voir leurs actions attribuées à une maladie mentale[9]. De même, la couverture médiatique de la violence contre les femmes, surtout la violence conjugale, met souvent au premier plan la voix des services de police plutôt que celle des femmes, de leur famille ou des experts de la violence contre les femmes, et la présente généralement comme un incident isolé[10]. Selon une récente étude canadienne sur la couverture médiatique des féminicides (c’est-à-dire des femmes tuées parce qu’elles sont des femmes), bien que presque aucun sujet n’ait été présenté de manière à blâmer la victime, 9 sur 10 le présentaient comme un crime individuel plutôt que comme un élément d’un problème social plus large, moins de 1 sur 10 faisait référence aux antécédents de violence à l’égard des femmes de l’auteur du crime, et seulement 1 sur 50 contenait des informations sur les ressources disponibles pour les victimes de violence contre les femmes[11].
Ces tendances ne décrivent pas nécessairement une décision consciente de la part des producteurs de médias pour promouvoir une violence insensée à l’égard des femmes et des minorités ou un manque de capacité d’agir attribué aux femmes dans les films. Elles illustrent plutôt la problématique de la représentation et de la diversité dans les médias. On s’attend à ce que le héros d’un récit triomphe de l’adversité et soit forcé de faire face au décès de ses proches. Ces tendances démontrent néanmoins que les femmes et les minorités sont plus souvent appelées à jouer des rôles secondaires au lieu d’être vues elles-mêmes dans le rôle des héros.
Nous devrions apprendre à repérer cette tendance et à remarquer le manque de qualité des personnages de femmes ou de minorités et le manque d’attention culturellement accordée aux histoires de ces groupes. Les expériences et les luttes des personnages appartenant aux groupes minoritaires ou aux femmes sont banalisées et dépendent des expériences d’un héros d’ordinaire masculin, hétérosexuel, parfaitement valide et de race blanche.
Pour une analyse approfondie de la représentation des femmes et des personnes appartenant à différentes minorités dans les médias, consultez notre section sur la diversité. Notre section sur le privilège explore en détail ce que signifie de voir une expérience vécue par une personne reléguée au second plan en raison de son statut de minorité.
[1] Simone, G. (1999) “Women in Refrigerators. » Retrieved from https://www.lby3.com/wir/index.html
[2] Murphy, J (2015) The role of women in film. Journalism Undergraduate Honours Theses. 2.
[3] Christian, A. J. (2009) “Angry Men Helm This Year’s Breakout Hits. » Televisual. Consulté sur le site http://tvisual.org/2009/05/06/film-recession-film-formula-mad-men/ [traduction]
[4] Kunsey, I (2018) Representations of women in popular film: A study of gender inequality in 2018. Cinema and Television Arts, Elon University. 10(2) 27-37. [traduction]
[5] Dapolito, M (2016) A contemporary analysis of films with female leads. Inquiries journal. 8(9), 1-2. [traduction]
[6] Ibid. [traduction]
[7] Frankham, E. (2020). Victim or Villain? Racial/ethnic Differences in News Portrayals of Individuals with Mental Illness Killed by Police. The Sociological Quarterly, 61(2), 231-253.
[8] Dukes, K. N., & Gaither, S. E. (2017). Black racial stereotypes and victim blaming: Implications for media coverage and criminal proceedings in cases of police violence against racial and ethnic minorities. Journal of Social Issues, 73(4), 789-807.
[9] Frankham, E. (2020). Victim or Villain? Racial/ethnic Differences in News Portrayals of Individuals with Mental Illness Killed by Police. The Sociological Quarterly, 61(2), 231-253.
[10] Easteal, P., Holland, K., & Judd, K. (2015). Enduring themes and silences in media portrayals of violence against women. Women's Studies International Forum,48, 103-113. doi:10.1016/j.wsif.2014.10.01510
[11] Hancock L. (2021) Femicide Report. Ontario Association of Interval & Transition Houses. Consulté sur le site http://www.oaith.ca/assets/library/OAITH-Femicide-Report-2020-2021.pdf