Réponses du gouvernement et de l'industrie à la violence dans les médias
Aux États-Unis, où la télévision était au départ une entreprise commerciale, le Premier amendement, qui assure la liberté d’expression et la liberté de la presse, est utilisé avec force pour plaider contre toute intervention gouvernementale quant au fonctionnement des entreprises médiatiques.
La Charte canadienne des droits et libertés garantit aussi la liberté d’expression, mais elle renferme une plus grande acceptation quant aux limites raisonnables qui peuvent être imposées aux droits individuels pour le plus grand bien de la société. Au Canada, au Royaume-Uni, en Australie et dans de nombreux pays européens, la télévision a suivi de près la radio publique et est partie du principe que toute entreprise qui utilisait les ondes publiques avait une responsabilité sociale. Ce principe des années 1950 peut sembler quelque peu archaïque dans le contexte médiatique concurrentiel d’aujourd’hui, mais, au Canada, il a servi de base au cadre de politique publique visant à aborder la question de la violence dans les médias.
Les initiatives de l’industrie et du gouvernement du Canada en matière de violence à la télévision
Le Canada est depuis longtemps le plus grand importateur de programmation télévisuelle américaine. Cela s’explique par la proximité géographique des États-Unis et la difficulté à produire une programmation rentable pour un marché intérieur beaucoup plus petit.
La violence présente dans cette programmation est devenue un enjeu de politique publique dans les années 1970, mais c’est la déréglementation des émissions pour enfants aux États-Unis et l’apparition du magnétoscope au cours des années 1980 qui ont conduit à une augmentation substantielle des préoccupations du public à cet égard. Les émissions pour enfants, en particulier les dessins animés, sont subitement devenues moins inoffensives et les enfants et les jeunes adolescents se sont mis à avoir accès à du contenu pour adultes qui leur était précédemment refusé au cinéma.
Au début des années 1990, l’organisme fédéral de réglementation de la radiodiffusion, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC), a entamé des consultations sur les questions relatives à la violence à la télévision auprès des industries de la radiodiffusion, du câble et de la production d’émissions, ainsi que des professionnels de la santé publique, des éducateurs, des décideurs et des groupes de consommateurs. Parallèlement, à la suite de plusieurs « points chauds » tragiques attribués à tort à la violence dans les médias, une pétition contre cette violence signée par 1,3 million de Canadiens a été présentée au premier ministre.
En 1993, un colloque organisé par le C.M. Hincks Institute for Children’s Mental Health a réuni l’ensemble de ses parties prenantes. Ce colloque a permis la formation du Groupe d’action sur la violence à la télévision (GAVT) et, peu après, l’Association canadienne des radiodiffuseurs (ACR) a déposé auprès du CRTC une version révisée du code concernant la violence dans le secteur de la radiodiffusion, que tous les réseaux et toutes les stations de télévision conventionnelles du secteur privé seraient finalement obligés de respecter.[1] (Ce code est révisé tous les cinq ans.)
Le code comprend les dispositions suivantes :
- l’interdiction de diffuser des émissions qui renferment des scènes de violence gratuite et qui encouragent ou glorifient la violence;
- une « plage des heures tardives » qui débute à 21 h et avant laquelle seules les émissions qui conviennent à des enfants peuvent être diffusées;
- la promesse d’élaborer un système de classification des émissions;
- un engagement à faire preuve de sensibilité à propos de la violence à l’égard des groupes vulnérables, comme les femmes et les minorités;
- une déclaration selon laquelle la violence ne sera pas présentée comme étant le moyen par excellence de régler les conflits ou le thème central des émissions pour enfants et que ces émissions n’inciteront pas les enfants à imiter des actes dangereux.
L’ACR a également établi le Conseil canadien des normes de la radiotélévision (CCNR), un organisme d’autoréglementation de l’industrie chargé de répondre aux plaintes et aux questions de la part du public concernant la violence. Si une plainte est traitée de façon satisfaisante par le processus d’autoréglementation, elle n’est pas inscrite au dossier public du CRTC, examiné au moment du renouvellement de la licence de la station ou du réseau en question. Si la plainte n’est pas résolue, elle est adressée à l’organisme de réglementation fédéral.
À la fin de 1993, après une réunion de deux jours organisée par le CRTC, les représentants des organisations canadiennes de parents et d’enseignants ont recommandé la création d’un centre d’échange d’information en ligne comportant des ressources sur l’éducation aux médias et de l’information sur les questions relatives aux médias. Cela a donné lieu à la création du Réseau Éducation-Médias sous l’égide de l’Office national du film du Canada. Cet organisme est devenu HabiloMédias en 2012.
En juin 1994, la puce anti-violence est entrée en scène en tant qu’outil technologique permettant aux parents de contrôler l’exposition des enfants à la violence télévisée. La puce anti-violence donnait aux utilisateurs la capacité de bloquer efficacement tout le contenu télévisuel qui ne respectait pas une certaine classification d’âge. Le CRTC s’est finalement assuré que les signaux étrangers offerts par les distributeurs canadiens étaient codés par un système de classification. Le système de classification en soi n’a pas été développé ni codifié dans la programmation avant mars 2000. En même temps, les radiodiffuseurs privés et les entreprises de câblodistribution ont lancé un site Web afin de fournir des renseignements sur le système de classification, la puce anti-violence et d’autres questions qui y sont liées.
Ces initiatives – la puce anti-violence, le système de classification, les codes de l’industrie et l’éducation du public – demeurent en place à la télévision par câble et dans les programmes télédiffusés aujourd’hui. Toutes les émissions (à l’exception des sports, des nouvelles, des émissions-débats et des vidéos de musique) affichent une classification en fonction de l’âge. La plupart des téléviseurs achetés au Canada sont munis d’une puce anti-violence[2] (bien que moins de 10 % des ménages l’utilisent). Le CCNR examine les plaintes du public et statue sur celles-ci ; la conformité aux codes de conduite volontaires reste une condition de licence du CRTC.
Classification des films et des vidéos au Canada
Au Canada, la classification des films et des vidéos est une question de compétence provinciale. Les organismes de classification ont été établis au début des années 1900 en tant qu’outils pour la censure de films mais, au fil des ans, la responsabilité a évolué de la censure à la classification des films.
La plupart des organismes conservent la possibilité de censurer et d’interdire les films par leur législation des cinémas, mais peu d’entre eux exercent ce pouvoir sauf dans le cas des vidéos de sexualité pour adultes et même ces cas sont rares. En général, les films en provenance des États-Unis sont autocensurés par les producteurs pour éviter une classification « pour adultes seulement » par la Motion Picture Association of America (MPAA). Il convient de noter que ces classifications sont des recommandations seulement et que si les salles de cinéma ou les clubs vidéo peuvent choisir de les appliquer, ces classifications ne sont pas imposées par la loi. Cela dit, l’adoption de ces systèmes de classification est si répandue que la classification des films a une forte influence pour déterminer le contenu d’un film.
Lorsqu’un film sort en DVD, il est classé par le Système canadien de classification des cassettes vidéo. Les classements sont établis en calculant la moyenne des classements attribués aux films par les sept conseils canadiens. Toutes les provinces, à l’exception du Québec et de l’Ontario, exigent désormais que les autocollants du Système canadien de classification soient apposés sur les boîtiers extérieurs des DVD. Comme aux États-Unis, le système est volontaire, mais les clubs vidéo sont encouragés à afficher des affiches expliquant les classifications aux clients. En vertu de la Loi de 2020 sur les renseignements relatifs au contenu des films de l’Ontario, « nul ne doit vendre ou louer une copie physique d’un film à caractère sexuel pour adultes à une personne de moins de 18 ans ni la mettre autrement à la disposition de celle-ci [3] ».
En 2020, l’Ontario a abrogé la Loi de 2005 sur le classement des films[4]. La nouvelle loi qui la remplace « élimine les exigences de classification des films et de licence pour les exploitants de salles de cinéma[5] » : les exploitants de salles de cinéma fourniront désormais des informations aux spectateurs sur des sujets comme l’âge approprié, la violence, les substances illicites ou le contenu sexuel plutôt que la traditionnelle classification par âge fournie dans le passé. Tous les films ayant été classés selon l’ancien système pourront conserver leur classement et n’auront pas à fournir ces nouvelles informations.
Classification des jeux vidéo
Le système de classification des jeux vidéo est similaire à celui qu’utilise l’industrie du film. À la différence de la MPAA, l’ESRB (Entertainment Software Rating Board) gère la classification des jeux vidéo aux États-Unis, au Canada et au Mexique. Le système de classification de l’ESRB est décrit en détail sur son site Web (www.esrb.org), et permet les recherches de jeux indiquant leur classification et les raisons spécifiques de celle-ci. Pour plus de détails, consultez notre section sur les jeux vidéo.
Internet
Avec le rôle croissant que jouent Internet et les technologies en réseau dans nos vies, nous pouvons accéder à du contenu violent à partir de pratiquement n’importe où. Puisque du contenu de toutes sortes généré par les utilisateurs continue d’alimenter les sites Web et les communautés de partage de fichiers de toutes sortes, les enfants sont plus que jamais à risque d’être confrontés à la violence en ligne.
Si la télévision et le cinéma peuvent diffuser des représentations graphiques de violence ou de bains de sang, nous ne voyons que dans des circonstances exceptionnelles des images d’actes de violence personnelle effectivement exécutés à la télévision ou au cinéma. D’autre part, Internet offre un accès beaucoup plus grand à de réelles images sanglantes ou violentes. Selon la nature du contenu, celles-ci peuvent être illégales ou simplement choquantes et de mauvais goût. De nombreux services d’hébergement Web et sites Web ont des ententes avec les utilisateurs pour interdire certains types de contenu violent offensant ; il est donc utile de lire les règlements pour un site donné.
En tant que parent ou enseignant, il est important d’être en mesure d’aborder les préoccupations au sujet de ce type de violence dans les médias auprès des jeunes et des enfants et de leur enseigner la manière de réagir face à ces types de confrontations avec la violence en ligne. Pour en savoir plus sur la manière de contrôler le contenu illégal et de mauvais goût, tel le matériel qui fait la promotion de la haine, consultez notre section sur la propagande haineuse en ligne.
Services de diffusion en continu : Netflix, Amazon Prime, Apple+, etc.
Les services de diffusion en continu populaires comme Netflix, Crave, Disney+ et Apple TV ne relèvent pas de la compétence nationale ou provinciale et ne sont pas assujettis aux mêmes exigences de classification des films que les films ou les programmes télédiffusés ou sur le câble. Ils n’ont pas non plus encore adopté une structure d’autoréglementation comme le Code concernant la violence de l’Association canadienne des radiodiffuseurs. Netflix, ainsi que plusieurs autres services de diffusion en continu, propose un graphique contextuel à l’écran qui indique la classification du contenu. Cependant, si Netflix explique que les cotes de maturité sont établies « en fonction de la fréquence et de l’impact du contenu réservé aux adultes d’un titre, comme le degré de violence, de sexualité, de langage adulte, de nudité ou de consommation de substances qui peut s’y retrouver[6] », la plateforme décrit également ses classifications comme étant « établies par Netflix ou un organisme de normalisation local[7] », ce qui signifie que ses classifications sont souvent volontaires. Le système de cote de maturité de Netflix, en particulier, a fait l’objet de critiques : dans son rapport publié en 2020, le Parents Television Council révèle que 70 % des émissions de télévision originales de Netflix classées 14 ans utilisaient le type de blasphèmes qui, si elles avaient suivi les classifications de la Motion Picture Association, leur auraient valu la classification « R » (réservé aux adultes). Si les services de diffusion en continu offrent aux parents beaucoup plus de possibilités que la télévision traditionnelle en matière de contrôle des expériences de leurs enfants à l’écran, ils permettent aussi de garder les contenus appropriés à portée de clics. Netflix, ainsi que d’autres services de diffusion en continu proposent des sections distinctes pour les enfants[8], mais les parents sont toujours encouragés à surveiller ce que leurs enfants regardent et, si possible, à préparer des listes de lecture à l’avance.
L’avenir
Le contexte des communications du divertissement a considérablement évolué depuis l’établissement de codes, de classifications et d’appareils de filtrage visant à protéger les enfants de la violence inutile et excessive dans les médias. La convergence des plateformes médiatiques et la disponibilité des communications sans fil (et portatives) mettent au défi les anciennes stratégies de protection comme la « plage des heures tardives » et le fait de placer la télévision à un endroit assez passant de la maison.
Il semble évident que dans un contexte de mondialisation de plus en plus déréglementée, la protection des enfants dépendra de plus en plus de la vigilance des parents à l’égard des médias, de la pression publique des consommateurs et des groupes de professionnels ainsi que de la réceptivité d’un secteur des médias responsable.
[1] (1993). Code concernant la violence de l’Association canadienne des radiodiffuseurs. Consulté sur le site https://www.cbsc.ca/fr/les-codes/code-concernant-la-violence/
[2] Conseil canadien des normes de la radiotélévision (sans date). Le blocage des émissions. https://www.cbsc.ca/fr/les-outils/le-blocage-des-emissions/
[3] Projet de loi 229, Loi de 2020 sur la protection, le soutien et la relance face à la COVID-19 (mesures budgétaires). Assemblée législative de l’Ontario. Consulté à l’adresse https://www.ola.org/fr/affaires-legislatives/projets-loi/legislature-42/session-1/projet-loi-229.
[4] Ministère des Services gouvernementaux et des Services aux consommateurs (2019). Modernisation de la Loi de 2005 sur le classement des films. Gouvernement de l’Ontario. https://www.ontariocanada.com/registry/view.do?language=fr&postingId=30007
[5] Ibid.
[6] Netflix. (n.d.). Maturity ratings for TV shows and movies on Netflix. Netflix Help Center. https://help.netflix.com/en/node/2064 [traduction]
[7] Ibid. [traduction]
[8] Sutton, K. (2022, August 16). Streaming services courting the youngest viewers must handle privacy carefully. https://www.marketingbrew.com/stories/2022/08/16/streaming-services-courting-the-youngest-viewers-must-handle-privacy-carefully