Où obtenons-nous de l’information sur la santé et les sciences?
Dans l’actualité
Mon travail est non seulement d’avoir raison, mais bien plus d’être lu[3].
De nombreux magazines et journaux conservent une longue tradition de reportages scientifiques fiables, mais certaines différences fondamentales entre la façon dont les sciences et le journalisme sont réalisés peuvent entraîner des récits trompeurs. L’essentiel pourrait être que pour qu’un article scientifique soit présenté dans l’actualité, il doit valoir la peine d'être publié. En plus des facteurs qui influencent généralement l’actualité, Boyce Rensberger, dans son ouvrage A Field Guide for Science Writers, recense quatre facteurs propres aux articles scientifiques.
- Fascination : « Les gens aiment être fascinés, apprendre quelque chose et se dire "C’est incroyable, je ne le savais pas". » C’est particulièrement vrai pour les histoires qui peuvent rappeler au public un enthousiasme d’enfance ou que les parents peuvent partager avec leurs enfants : les dinosaures, par exemple, sont dignes d’intérêt par défaut.
- Taille du public naturel : Nombre de personnes pour lesquelles l’histoire sera directement pertinente. Par exemple, une découverte concernant une maladie rare est moins digne d’intérêt qu’une découverte concernant une maladie plus courante.
- Importance : Impact probable de l’histoire sur la vie du public.
- Fiabilité des résultats : Les journalistes scientifiques s’appuient généralement sur l’examen par les pairs dans le domaine scientifique pour déterminer si une découverte est fiable ou non, et les journalistes responsables ne présentent pas d’opinions marginales[4].
Bien entendu, ces facteurs peuvent parfois être contradictoires : les résultats concernant la nutrition, l’un des domaines où les normes de fiabilité sont les plus faibles, font souvent l’objet de reportages puisqu’ils sont considérés comme pertinents et importants pour de nombreuses personnes (en particulier s’ils sont contre-intuitifs).
Ainsi, les découvertes récentes ou celles qui remettent en cause le consensus scientifique sont plus susceptibles d’être couvertes que celles qui renforcent le consensus ou qui produisent des résultats nuls (par exemple, des résultats qui ne montrent pas qu’une substance en particulier a une incidence sur la santé), même si ceux-ci sont tout aussi importants pour la science[5]. Cela peut également produire une impression selon laquelle le consensus est moins grand pour certaines questions qu’en réalité, parce que les découvertes qui remettent en question le consensus sur une question politiquement chargée, comme les changements climatiques, valent automatiquement plus la peine d’être publiées que celles qui l’appuient. De même, la structure de « pyramide inversée » qu’adoptent la plupart des articles d’actualité et qui exige que les détails les plus intéressants soient exposés en premier, peut accorder moins d’importance aux avertissements ou aux limites d’une étude. Enfin, les résultats doivent être présentés de manière à ce que les lecteurs les comprennent et les estiment pertinents. Comme le rapporte un journaliste scientifique :
Rappelez-vous que les journaux tentent de donner dans le sensationnel; ils ne présentent pas les résultats d’une étude scientifique. Ils écrivent une histoire à propos d’une étude scientifique, vous incitent à la lire et essaient de capter votre intérêt[6].
Peut-être en raison de ces facteurs, des recherches ont montré que les journaux sont plus susceptibles de couvrir des recherches médicales comportant moins de citations[7], ainsi que des études dont les auteurs sont des hommes[8] et celles qui ont fait l’objet d’un communiqué de presse[9]. Puisque bon nombre d’articles scientifiques se fondent sur des communiqués de presse, plutôt que sur les études elles-mêmes, les articles sont souvent sensationnalistes, déforment les données (notamment en ne précisant pas qu’une étude a été réalisée sur des souris et non des humains) et formulent des recommandations (p. ex. prendre des suppléments ou éviter un nutriment particulier) qui sont prématurées ou qui ne sont pas étayées par les résultats de l’étude[10].
De nombreuses études qui font l’objet d’une couverture médiatique sont également financées par des sociétés comme des entreprises alimentaires. Bien que ces recherches ne soient pas nécessairement malhonnêtes, elles sont souvent imparfaites en raison d’une conception biaisée (p. ex. octroi de subventions « pour la recherche sur toute question de santé pertinente dans laquelle la consommation de raisins peut avoir un effet bénéfique ») ou d’une mauvaise méthodologie (p. ex. rechercher une corrélation entre un produit et une meilleure santé, plutôt que déterminer si le produit cause réellement l’effet donné sur la santé)[11].
Les réseaux sociaux et les plateformes de diffusion de vidéos
Comme pour les autres nouvelles, les réseaux sociaux sont devenus un moyen important pour trouver de l’information sur la santé et les sciences : 26 % des utilisateurs de réseaux sociaux aux États-Unis suivent activement des comptes portant sur la science[12]. Pour les jeunes en particulier, TikTok est devenu une importante source d’informations sur la santé. Toutefois, alors que cela montre l’utilité des réseaux sociaux pour livrer ce type d’information, l’étude montre également comment les réseaux sociaux peuvent propager la désinformation : bien que des recherches aient montré que les contenus publiés sur la plateforme par des professionnels de la santé, comme des dermatologues, sont généralement exacts[13], la plupart des utilisateurs qui publient des contenus liés à la santé ne sont pas des professionnels, et l’exactitude globale des informations est bien moindre[14].
Deux aspects de l’architecture des réseaux sociaux – la capacité des utilisateurs à créer des réseaux personnels et l’utilisation d’algorithmes pour pousser du contenu qui fera probablement réagir les utilisateurs – peuvent également faire en sorte que les utilisateurs soient grandement susceptibles d’être exposés à la désinformation et, surtout, que les opinions mal renseignées soient renforcées. En ce qui concerne les algorithmes, les vraies et les fausses informations ne sont pas différentes : selon une étude, alors que seulement une vidéo sur quatre utilisant le mot-clic #autisme sur TikTok était exacte, les gens s’intéressaient autant aux vidéos exactes qu’inexactes[15]. Une fois qu’un utilisateur est considéré comme ayant un intérêt pour les allégations de santé ou les remèdes « naturels » ou « alternatifs », il est probable qu’il voit davantage de contenu semblable : « Les faux remèdes et les tendances dangereuses en matière de santé poursuivent sans relâche les personnes les plus vulnérables pour les influencer en trouvant des moyens d’entrer dans les recommandations algorithmiques des malades et des chercheurs, même s’ils sont moins visibles pour la base d’utilisateurs de la plateforme dans son ensemble[16]. »
Ce phénomène peut avoir un impact considérable sur le comportement : la décision des parents de faire vacciner leurs enfants est fortement influencée par ce qu’ils ont vu dans les médias numériques et traditionnels[17]. Les groupes organisés tirent profit de cet effet – et l’amplifient – en trouvant des gens qui cherchent de l’information et en les « recrutant » au sein de groupes Facebook qui renforcent la désinformation et bloquent les opinions contradictoires, de la même manière que les groupes haineux radicalisent la population en ligne[18].
Dans la communauté autiste, nous voyons passer des faits alternatifs et des fausses nouvelles depuis 20 ans. Les gens disparaissent graduellement dans de petites bulles : des groupes de courriels privés, des groupes Facebook, etc. Et puis ils cherchent à obtenir confirmation.
– Mike Stanton, parent d’un enfant autiste[19]
Cet effet – appelé l’ « illusion de la majorité » par les chercheurs – peut amener les participants dans des réseaux fermés à voir uniquement l’information qui renforce leurs opinions et à percevoir le consensus scientifique comme marginalisé[20]. Un effet similaire, l’ignorance pluraliste, peut amener les gens à sous-estimer‑ l’étendue de leurs croyances : par exemple, alors qu’au moins les deux tiers des Américains soutiennent les politiques visant à atténuer le changement climatique, ils pensent que moins de la moitié d’entre eux partagent leur opinion[21].
La pratique consistant à utiliser des « influenceurs » pour endosser des produits sur les médias sociaux – qui, souvent, ne sont pas identifiés comme des publicités[22] – s’étend à la santé et à la médecine, avec les hôpitaux, les compagnies pharmaceutiques et les chercheurs en marketing qui paient les patients pour produire des témoignages en leur nom. Comme d’autres campagnes d’influenceurs, celles-ci troublent dangereusement la distinction entre la publicité et les comptes rendus honnêtes des expériences de leurs patients et peuvent induire en erreur des gens ayant reçu le diagnostic d’une maladie ou qui soupçonnent d’en être atteints[23]. Les différentes formes de désinformation scientifique sont de plus en plus liées dans les médias sociaux puisque les influenceurs de « bien-être » diffusent souvent de fausses affirmations sur le changement climatique[24] et même sur l’invasion de l’Ukraine par la Russie[25].
Les moteurs de recherche
Pour bien des gens qui cherchent de l’information sur les sciences et la santé, les moteurs de recherche – ou leur semblable à commande vocale comme Siri d’Apple – sont leur premier arrêt et, souvent, leur dernier. Un quart des jeunes Canadiens ont utilisé Internet pour chercher des informations sur la santé physique, tandis que 16 % ont cherché des informations sur la santé mentale et 14 % sur la santé sexuelle[26].
Toutefois, comme pour les réseaux sociaux, le fait que les moteurs de recherche ne distinguent généralement pas les sources fiables des sources peu fiables est préoccupant. Alors que des recherches ont montré que la recherche de symptômes peut mener à un diagnostic plus précis si les personnes sollicitent ensuite des soins médicaux professionnels[27], un quart des jeunes Canadiens croient (à tort) que Google approuve une source comme étant fiable en l’incluant dans les résultats de recherche[28]. Il a également été établi que des cliniques « alternatives » de cancérologie utilisent les listes et les avis de Google pour tromper les patients potentiels sur l’efficacité de leurs traitements[29].
Consciemment ou non, les gens biaisent aussi souvent leurs résultats en recherchant des informations qui justifient ce qu’ils croient déjà, plutôt que de répondre à une véritable question[30] : un participant à une étude décrit avoir utilisé la requête « le lait est mauvais », plutôt que celle, plus neutre, « le lait est bon pour la santé », parce qu’il s’était déjà fait une opinion sur le sujet et cherchait des moyens de rallier sa famille à son point de vue[31].
Le Web
Que l’on obtienne l’information sur la santé par des moteurs de recherche, des médias sociaux ou en posant des signets de sources que l'on sait fiables, la majeure partie de cette information que l’on obtient en ligne finit par venir des sites Web. Bien qu’il y ait d’excellentes sources d’information sur la santé et les sciences disponibles en ligne, la facilité de publication sur le Web signifie que plus de 10 % des informations trouvées sur les sites Web consacrés à la santé ne sont pas fiables, et malheureusement, les sites moins fiables reçoivent généralement davantage de visiteurs[32].
Les sites de vidéo comme YouTube ont beaucoup de problèmes similaires avec ceux des moteurs de recherche et des réseaux sociaux, les filtres personnels et algorithmiques poussant les visionneurs à regarder du contenu de plus en plus extrême. Alors que YouTube permet désormais aux médecins et au personnel infirmier de demander des étiquettes de « fournisseurs vérifiés[33] », les efforts visant à réduire la diffusion de fausses informations sur des sujets comme le changement climatique ont eu un impact limité[34]. Même lorsqu’ils prennent des mesures pour améliorer la qualité de l’information, la portée de sites comme TikTok et YouTube signifie qu’ils restent utiles pour les personnes qui diffusent des théories marginales et de fausses informations : Alex Olshansky, qui étudie le rôle de YouTube dans la propagation des théories disant que la « Terre est plate », affirme n’avoir rencontré qu’une seule personne qui n’a pas été influencée par ce qu’elle avait vu sur la plateforme, alors que Kelly Weill, auteure de l’ouvrage Off the Edge, n’en a rencontré que trois[35].
En bref, il y a de l’information de qualité sur la santé et les sciences en ligne, mais un grand nombre des sites, plateformes et forums que nous utilisons ne font soit aucune distinction entre la bonne et la mauvaise information ou nous guident activement vers du contenu peu fiable. C'est pourquoi il est important d’être alerte quant aux différentes sortes de désinformation sur ces sujets – et les raisons pour lesquelles les gens en font la promotion – et d’avoir les compétences nécessaires pour chercher de bonnes informations et les reconnaître quand on les trouve.
[1] Wang, X., & Cohen, R. A. (2023). Health Information Technology Use Among Adults: United States, July–December 2022. US Department of Health and Human Services, Centers for Disease Control and Prevention, National Center for Health Statistics.
[2] Funk, C., Gottfried, J., & Mitchell, A. (2017). Science News and Information Today (Rep.). Pew Research Center.
[3] An unnamed science journalist interviewed in Jarman, R., & Mcclune, B. (2010). Developing students ability to engage critically with science in the news: Identifying elements of the ‘media awareness’ dimension. The Curriculum Journal, 21(1), 47-64. doi:10.1080/09585170903558380
[4] Rensberger, B. (1997). Covering science for newspapers. A field guide for science writers, 7-16.
[5] Zhang, Y., Willis, E., Paul, M. J., Elhadad, N., & Wallace, B. C. (2016). Characterizing the (perceived) newsworthiness of health science articles: A data-driven approach. JMIR medical informatics, 4(3), e5353.
[6] Jarman, R., & Mcclune, B. (2010). Developing students’ ability to engage critically with science in the news: Identifying elements of the ‘media awareness’ dimension. The Curriculum Journal, 21(1), 47-64. doi:10.1080/09585170903558380
[7] O'Connor, E. M., Nason, G. J., O'Kelly, F., Manecksha, R. P., & Loeb, S. (2017). Newsworthiness vs scientific impact: are the most highly cited urology papers the most widely disseminated in the media?. BJU international, 120(3), 441-454.
[8] Amberg, A., & Saunders, D. N. (2020). Cancer in the news: Bias and quality in media reporting of cancer research. PLoS One, 15(11), e0242133.
[9] Haneef, R., Ravaud, P., Baron, G., Ghosn, L., & Boutron, I. (2017). Factors associated with online media attention to research: a cohort study of articles evaluating cancer treatments. Research Integrity and Peer Review, 2, 1-8.
[10] Dempster, G., Sutherland, G., & Keogh, L. (2022). Scientific research in news media: a case study of misrepresentation, sensationalism and harmful recommendations. Journal of Science Communication, 21(1), A06.
[11] Nestle, M. (2018). Unsavory truth: how food companies skew the science of what we eat. Basic Books.
[12] Funk, C., Gottfried, J., & Mitchell, A. (2017). Science News and Information Today (Rep.). Pew Research Center.
[13] Kassamali, B., Villa-Ruiz, C., Mazori, D. R., Min, M., Cobos, G. A., & LaChance, A. H. (2021). Characterizing top educational TikTok videos by dermatologists in response to “TikTok and dermatology: An opportunity for public health engagement”. Journal of the American Academy of Dermatology, 85(1), e27-e28.
[14] Yeung, A., Ng, E., & Abi-Jaoude, E. (2022). TikTok and attention-deficit/hyperactivity disorder: a cross-sectional study of social media content quality. The Canadian Journal of Psychiatry, 67(12), 899-906.
[15] Aragon-Guevara, D., Castle, G., Sheridan, E., & Vivanti, G. (2023). The reach and accuracy of information on autism on TikTok. Journal of autism and developmental disorders, 1-6.
[16] Owlheiser, A.W. (2024) How discredited health claims find a second life on TikTok. Vox. [traduction]
[17] Wigle, J., Hodwitz, K., Juando-Prats, C., Allan, K., Li, X., Howard, L., ... & Parsons, J. A. (2023). Parents’ perspectives on SARS-CoV-2 vaccinations for children: a qualitative analysis. CMAJ, 195(7), E259-E266.
[18] Haenschen, K., Shu, M. X., & Gilliland, J. A. (2023). Curated misinformation: Liking Facebook pages for fake news sites. American Behavioral Scientist, 00027642231175638.
[19] Chivers, T. (2017). How The Parents Of Autistic Children Are Being Targeted By Misinformation Online. Buzzfeed.
[20] Lerman K, Yan X, Wu XZ (2016) The "Majority Illusion" in Social Networks. PLOS ONE 11(2): e0147617. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0147617
[21] Sparkman, G., Geiger, N., & Weber, E. U. (2022). Americans experience a false social reality by underestimating popular climate policy support by nearly half. Nature communications, 13(1), 4779.
[22] Chavkin, S., Gilbert C., O’Connor A. (2023) The food industry pays influencer dietitians to shape your eating habits. The Washington Post.
[23] Sy, S., & Nagy, L. (2022) Misinformation abounds in the wellness community: How one antivax influencer broke free. PBS.org.
[24] Simmons, Cecile. (2023) ‘Conspirituality’ and climate: How wellness and new age influencers are serving anti-climate narratives to their audiences. ISD Global.
[25] Butler, K. (2022) How Wellness Influencers Became Cheerleaders for Putin’s War. Mother Jones.
[26] MediaSmarts. (2023). “Young Canadians in a Wireless World, Phase IV: Digital Media Literacy and Digital Citizenship.” MediaSmarts. Ottawa.
[27] Levine, D. M., & Mehrotra, A. (2021). Assessment of diagnosis and triage in validated case vignettes among nonphysicians before and after internet search. JAMA network open, 4(3), e213287-e213287.
[28] MediaSmarts. (2023). “Young Canadians in a Wireless World, Phase IV: Digital Media Literacy and Digital Citizenship.” MediaSmarts. Ottawa.
[29] Zenone, M., Snyder, J., van Schalkwyk, M. C., Bélisle-Pipon, J. C., Hartwell, G., Caulfield, T., & Maani, N. (2024). Alternative cancer clinics’ use of Google listings and reviews to mislead potential patients. British Journal of Cancer.
[30] Haider, J., & Rödl, M. (2023). Google Search and the creation of ignorance: The case of the climate crisis. Big Data & Society, 10(1), 20539517231158997.
[31] Haider, J., & Rödl, M. (2023). Google Search and the creation of ignorance: The case of the climate crisis. Big Data & Society, 10(1), 20539517231158997.
[32] Gregory, J. (2019) Health websites are notoriously misleading. So we rated their reliability. Statnews.
[33] Serrano, J. (2022) YouTube Is Making It Easier to Tell the Difference Between Real Doctors and Quacks.
[34] Ruvic, D. (2023) YouTube making money off new breed of climate denial, monitoring group says. Reuters.
[35] Weill, K. (2022) Off the Edge: Flat Earthers, Conspiracy Culture, and Why People Will Believe Anything. Algonquin Books.