Comment pouvons-nous juger de l’information sur la santé et les sciences?
Comme pour les médias, cette compréhension porte sur les aspects fondamentaux de l’élaboration et la mise à l’essai des hypothèses (dont le résumé est présenté au début de cette section) et les façons dont le financement, l’examen, la publication, la diffusion et la couverture journalistique de la recherche sur la santé et la science sont réalisés. Certains éducateurs définissent ces compétences comme la « littératie scientifique », mais un grand nombre de celles-ci ressemblent beaucoup à ce que nous associons à la littératie médiatique et numérique. Par exemple, Paul Hurd, qui a popularisé l’expression « littératie scientifique », décrit une personne scientifiquement cultivée comme quelqu'un qui, parmi ses compétences et habitudes, peut :
- Distinguer un expert d’une personne mal informée.
- Distinguer la théorie du dogme et les données du mythe et du folklore. Reconnaître que presque toutes les facettes de la vie d’une personne sont influencées d’une manière ou d’une autre par les sciences et les technologies.
- Distinguer la science de la pseudo-science comme l’astrologie, le charlatanisme, le surnaturel et la superstition.
- Distinguer les données probantes de la propagande, les faits de la fiction, le bien-fondé de l’absurdité et la connaissance de l’opinion.
- Savoir comment analyser et traiter de l’information pour générer des connaissances qui s’étendent au-delà des faits.
- Reconnaître lorsque les données ne sont pas suffisantes pour prendre une décision rationnelle ou former un jugement fiable.
- Reconnaître que la littératie scientifique est un processus d’acquisition, d’analyse, de synthèse, de codage, d’évaluation et d’utilisation des réalisations en science et technologie dans des contextes humains et sociaux.
- Reconnaître les relations symbiotiques entre la science et la technologie et entre la science, la technologie et les affaires humaines[1].
La présente section décrit quatre façons clés d'atteindre ces objectifs : être un lecteur informé de l’actualité scientifique; identifier le consensus scientifique d’un enjeu; évaluer l’expertise d’une source (que ce soit un organisme ou un individu) à l’origine d’une affirmation; réaliser des recherches spécialisées qui présentent uniquement des résultats provenant de sources sûres.
Être un lecteur informé
Le plus grand domaine de chevauchement entre la littératie médiatique et la littératie scientifique est l’importance de comprendre comment les travaux scientifiques sont communiqués et finalement rapportés dans l’actualité. La rédactrice scientifique Emily Willingham donne cinq conseils pour lire des actualités scientifiques :
Allez plus loin que le titre : Les titres, qui sont souvent rédigés par d’autres personnes que l’auteur de l’article, simplifient le sujet, mettent l’accent sur les aspects sensationnels de l’histoire – qui ne sont pas toujours les plus importants – et peuvent être trompeurs. Pour connaître l’histoire au complet, lisez l’article.
- Cherchez le fond de l’article. Parle-t-il d'une nouvelle recherche ou établit-il un lien entre une recherche existante et un article d’actualité? Lisez l’article au complet pour en connaître le fond et soyez à l’affut des mots tels que « revue », « perspective » ou « commentaire » – qui signifient habituellement qu’aucune recherche initiale n’a été effectuée. En outre, n’attachez pas trop d’importance aux recherches annoncées lors des conférences, car celles-ci n’ont habituellement pas passé par le processus d’examen par les pairs.
- Regardez ce que mesure la recherche :Est-ce une « association », un « risque », un « lien » ou une « corrélation »? Tous ces mots suggèrent que nous ne pouvons pas tirer de véritable conclusion, parce qu'ils suggèrent seulement qu’il existe une relation entre deux choses. Évidemment, la corrélation (soit la relation entre deux événements) montre parfois la causalité (lorsqu’un événement en cause un autre), mais habituellement les premiers résultats qui font la manchette ne le montrent pas.
- Regardez la source initiale :L’article comporte-t-il un lien vers la recherche initiale? Si c’est le cas, suivez-le pour savoir où elle a été publiée. Dans la négative, faites une recherche sur le titre de l’article ou, si vous ne l’avez pas, recherchez les auteurs et le sujet de la recherche.
- Si la recherche a été publiée dans une revue scientifique, vous pourriez faire une recherche Google avec le nom de la revue et les mots « facteur d’impact » pour voir si d’autres scientifiques l’utilisent comme ressource (tout résultat supérieur à 1 indique que la source fait partie de la communauté scientifique; si la recherche ne montre aucun facteur d’impact, cela signifie que la source n'est pas considérée comme une revue académique.)
- Lorsque quelqu’un cite des informations provenant d’une base de données, il est important de vérifier les normes relatives au contenu qui est inclus. Par exemple, la base de données du VAERS est largement utilisée pour fournir des exemples d’effets soi‑disant négatifs des vaccins. Mais comme n’importe qui peut ajouter une entrée à la base de données, sans fournir de preuve, son contenu est pratiquement inutile pour juger des effets possibles des vaccins[2].
- Gardez à l’esprit les considérations commerciales : Les organes d’actualité veulent des lecteurs; les chercheurs ont besoin de financement; les institutions qui les financent veulent souvent de la publicité. Même lorsqu’un récit scientifique est tout à fait légitime et ne constitue pas une série d’efforts pour vous effrayer d’acheter un livre ou des suppléments nutritionnels, de nombreuses raisons expliquent pourquoi l’importance ou les implications de la nouvelle recherche pourraient être exagérées par une personne appartenant à cette chaîne[3]. Dans son ouvrage intitulé Unsavory Truth: How Food Companies Skew the Science of What We Eat, Marion Nestle déclare : « Chaque fois que je vois des études revendiquant les bienfaits d’un seul aliment, je veux savoir trois choses : si les résultats sont biologiquement plausibles, si l’étude a contrôlé d’autres facteurs alimentaires, comportementaux ou de mode de vie qui auraient pu influencer ses résultats, et qui l’a parrainée[4]. »
De même, Joel Best, dans son ouvrage Damned Lies and Statistics, suggère qu’« il y a trois questions fondamentales qui méritent d’être posées chaque fois que nous rencontrons une nouvelle statistique[5] ».
- Qui a créé cette statistique? Provient-elle d’une source désintéressée (p. ex. Statistique Canada ou le Pew Research Center) ou d’un groupe d’intérêt? Dans ce dernier cas, ce groupe aurait-il été plus soucieux d’éviter les faux positifs (qui pourraient faire paraître un problème ou un phénomène plus important qu’il ne l’est) ou les faux négatifs (qui le feraient paraître moins important)?
- Pourquoi cette statistique a-t-elle été créée? Faisait-elle partie d’une enquête récurrente ou d’une étude réalisée par intérêt scientifique ou son but était-il d’attirer l’attention sur un enjeu?
- Comment cette statistique a-t-elle été créée? Si une statistique semble particulièrement choquante, il peut être utile d’examiner l’étude ou l’enquête d’origine pour vérifier si elle est rapportée avec exactitude. Par exemple, une étude réalisée en 2022 sur les connaissances des élèves de l’Ontario en matière d’antisémitisme a été largement diffusée comme montrant qu’un tiers d’entre eux pensaient que l’Holocauste n’avait pas eu lieu ou qu’il avait été exagéré. En réalité, seuls 10 % d’entre eux ont répondu par l’affirmative (bien que ce chiffre soit évidemment tout de même beaucoup trop élevé), alors que 22 % ont déclaré qu’ils n’étaient « pas sûrs de la réponse à donner[6]».
Joel Best souligne toutefois que « nous ne devrions pas écarter une statistique simplement parce que ses créateurs ont un point de vue ou qu’ils considèrent qu’un problème social est plus ou moins grave. Nous devons plutôt nous demander comment ils sont parvenus à cette statistique. Une fois que nous avons compris que toutes les statistiques sociales sont créées par quelqu’un, et que tous ceux qui créent des statistiques sociales veulent prouver quelque chose (ne serait-ce que leur prudence, leur fiabilité et leur impartialité), il devient évident que les méthodes de création des statistiques sont importantes[7]. » Comme pour les médias en général, c’est donc la nature construite des statistiques qu’il nous faut comprendre.
Identifier le consensus
« Dans un débat scientifique actif, il peut y avoir plusieurs camps. Mais une fois qu’une question scientifique est close, il n’y a plus qu’un seul "camp"[8] ».
Pour replacer une affirmation dans son contexte, nous devons savoir s’il existe un consensus dans ce domaine et, si c’est le cas, quelle est la force de ce consensus. Outre l’évaluation des nouvelles affirmations et découvertes, la connaissance du consensus nous aide à faire la différence entre les théories contestées ou nouvelles et les idées marginales comme le « racisme scientifique », l’« excrétion vaccinale » et la « Terre plate » : « Les idées marginales ne sont pas simplement des idées qui ont moins d’adeptes que d’habitude. Ce sont des idées qui ne sont pas du tout en concertation avec la profession[9]. »
Comme il est mentionné ci-dessus, l’un des défis associés à la compréhension des sujets liés à la santé et aux sciences est le fait que l’actualité et les réseaux sociaux ont tendance à favoriser ce qui est nouveau, comme les récentes découvertes. Ainsi, il peut être difficile de juger la fiabilité de l’information sur la santé et les sciences parce que par définition ces nouvelles découvertes – qui sont souvent appelées « science en devenir » – ne reflètent pas nécessairement le point de vue du consensus des scientifiques dans le domaine[10]. Comme noté précédemment, les domaines dans lesquels le consensus est faible, comme la nutrition[11], font généralement l’objet d’une plus grande couverture médiatique, et les articles sur la santé et les sujets scientifiques présentent souvent le consensus de manière erronée, en continuant de présenter des sujets comme le changement climatique d’origine humaine ou les effets du tabac sur la santé comme faisant l’objet d’un débat longtemps après qu’un consensus ait été établi parmi les scientifiques dans le domaine[12].
Ce biais à l’égard des nouvelles découvertes peut contribuer à la méprise de la science en tant qu’individu plutôt qu’au processus collectif et peut exagérer l’étendue du désaccord des scientifiques sur un sujet[13]. Comprendre le consensus, c’est aussi comprendre l’importance de l’incertitude, c’est‑à‑dire que « lorsqu’une nouvelle étude est publiée, ses résultats ne sont pas considérés comme la réponse définitive, mais plutôt comme un poids sur la balance favorisant une hypothèse parmi d’autres », ainsi que le rôle de l’examen par les pairs dans la vérification des résultats[14].
Les groupes ou les individus peuvent en tirer profit ou donner l’impression qu’il n’y a aucun consensus dans un domaine où un consensus existe, ou qu’un consensus a été établi lorsque ce n’est pas le cas: « L’incertitude fait partie de l’aspect autocorrectif de la science, mais c’est un aspect que ceux qui critiquent la science ignorent souvent[15]. » Mais « la plupart des enseignants et des éducateurs du domaine des sciences sont rarement convaincus dès le premier coup d'œil lorsque de nouveaux résultats émanent des frontières de la science. Nous lisons gaiement de nouvelles et passionnantes découvertes, mais gardons toutes les possibilités ouvertes — pour l’instant. La raison est que nous voulons d'abord savoir s'il existe un quelconque consensus parmi les experts concernés par ces nouvelles affirmations de connaissance scientifique[16]. »
Les nouvelles découvertes peuvent être trompeuses puisque le consensus repose sur la répétition : « Les gens testent des hypothèses et publient leurs résultats, et d’autres scientifiques tentent de mener des expériences supplémentaires pour montrer la même chose. Les faits peuvent changer, et les dogmes peuvent être remis en question, mais un seul article ne peut pas le faire[17]. »
Dans tout domaine, le consensus se compose de trois éléments :
- la confluence des preuves, c’est-à-dire que les preuves provenant de différentes sources concordent globalement;
- le calibrage social, qui signifie que toutes les personnes travaillant dans le domaine appliquent les mêmes normes d’enquête et de preuve grâce à des mécanismes comme l’examen par les pairs et la reproduction;
- la diversité sociale, c’est-à-dire que bon nombre de personnes et de groupes différents travaillent dans ce domaine, représentant un éventail de cultures et de milieux[18].
Lorsque nous utilisons ce principe pour déterminer si l’activité humaine contribue au changement climatique, par exemple, nous constatons qu’il existe, même si de petits détails peuvent différer, une confluence écrasante de preuves, qu’il y a un consensus général sur la façon dont elle se produit et que les travaux qui le montrent ont été examinés à plusieurs reprises par des pairs et reproduits, et que les mêmes résultats ont été établis par des scientifiques du monde entier, des dizaines de sociétés scientifiques, d’académies des sciences et d’organisations internationales ayant publié des déclarations de consensus[19].
Les personnes qui répandent de fausses informations et la pseudoscience s’attaquent à l’idée même du consensus, affirmant que des théories comme le géocentrisme et l’eugénique faisaient autrefois l’objet d’un consensus scientifique, ou citant Galilée ou Alfred Wegener (à l’origine de la théorie de la dérive des continents) comme preuve que le consensus supprime la vérité. (Cet argument est si courant qu’il porte son propre nom de « gambit de Galilée ».) En fait, l’opposition au géocentrisme était principalement fondée sur des motifs religieux, et les pairs scientifiques de Galilée ont accepté ses découvertes presque immédiatement[20]. Bien que de nombreuses personnalités du début du XXe siècle aient eu des convictions eugénistes, il n’y a jamais eu de consensus scientifique, et les travaux de Wegener, loin d’être étouffés, ont été publiés dans des revues à comité de lecture[21].
Pour cette raison, il est important de comprendre que le consensus scientifique peut changer, mais aussi de savoir comment cela se produit, afin d’éviter l’idée fausse selon laquelle toutes les croyances actuelles des scientifiques finiront par être renversées. Comme l’explique l’expert de l’éducation aux médias numériques Mike Caulfield, « votre travail en tant que contrôleur qualité n’est pas de résoudre les débats à partir de nouvelles preuves, mais bien de résumer avec exactitude l’état de la recherche et le consensus des experts dans un domaine donné, en prenant en compte les points de vue de la majorité et de la minorité non négligeable[22]. »
Comment trouver un consensus? Les moteurs de recherche comme Google et DuckDuckGo ne sont généralement pas le meilleur endroit pour rechercher un consensus : comme ils font des recherches sur l’ensemble d’Internet, il peut être difficile de savoir si les résultats que vous obtenez proviennent d’un expert ou d’une autorité sur le sujet. Si vous les utilisez, utilisez les termes de recherche les plus larges possibles et ajoutez le mot « consensus » : par exemple, utilisez « pyramides », « construites » et « consensus » plutôt que « qui a construit les pyramides ». Cependant, n’oubliez pas que vous devrez vérifier la fiabilité des résultats de recherche que vous ne reconnaissez pas.
En général, une encyclopédie est un meilleur point de départ. En effet, les entrées d’une encyclopédie sont des résumés du consensus sur un sujet. Dans le cas de Wikipédia, l’encyclopédie en ligne la plus utilisée, vous pouvez voir comment ce consensus a été établi en consultant les pages « Discussion » et « Voir l’historique ». (Même si les articles de Wikipédia sont modifiables par leurs utilisateurs, des éditeurs automatisés attrapent et corrigent rapidement la plupart des cas de vandalisme ou de modifications à motivation idéologique : ainsi, les articles les plus controversés sont en fait plus susceptibles d’être exacts[23]. Pour en savoir plus sur la façon de déterminer la fiabilité d’un article de Wikipédia, lisez notre document Wikipédia 101.)
Une autre option consiste à rechercher les prises de position de sources faisant autorité, comme les National Academies of Sciences, Engineering and Medicine, ou d’organisations professionnelles comme la Société canadienne de pédiatrie.
Voici quelques listes de sources faisant autorité sur différents sujets. Vous pouvez utiliser ces listes pour trouver des sources que vous pouvez consulter pour trouver le consensus sur différents sujets.
- Sociétés scientifiques américaines : https://science.nasa.gov/climate-change/scientific-consensus/
- Organisations et agences médicales américaines : https://medlineplus.gov/organizations/all_organizations.html
- Associations et sociétés de soins de santé canadiennes : https://hospitalnews.com/healthcare-societies-assoc/
- Organisations canadiennes de soins de santé : https://www.csme.org/page/HealthOrganizations
- Associations internationales de soins de santé : https://ipac-canada.org/associations-organizations
Souvent, la méthode la plus simple consiste à faire une recherche sur le sujet et à utiliser le nom de l’exploitant du site pour limiter la recherche au site Web de l’organisation concernée. Par exemple, pour savoir si ces deux organisations ont publié des prises de position sur les effets possibles des médias sociaux sur les jeunes nous pourrions faire les recherches suivantes :

Ces deux recherches donnent des prises de position qui fournissent un aperçu des études actuelles sur le sujet, ainsi que la mesure dans laquelle elles font l’objet d’un consensus.
Toutefois, il est essentiel de se rappeler que n’importe quelle organisation peut prétendre faire autorité ou représenter des professionnels d’un domaine. À première vue, un groupe comme l’association des médecins et des chirurgiens des États-Unis peut sembler faire autorité. Ce n’est qu’en faisant une recherche sur ce groupe ou en consultant Wikipédia que nous constatons qu’il s’agit d’une association politique conservatrice à but non lucratif qui fait la promotion de théories du complot et de la désinformation médicale, niant notamment l’existence du VIH et du sida, émettant l’hypothèse d’un lien entre l’avortement et le cancer du sein, ou encore faisant un lien entre les vaccins et l’autisme. (Elle ne figure pas non plus dans la liste des associations et des sociétés américaines de santé citée plus haut.) Comme pour toute source, il convient de s’assurer de la fiabilité et de l’autorité d’une organisation ou d’une institution avant de la consulter.
Les sources spécialisées
Une autre stratégie consiste à prendre l’approche opposée et à confiner votre recherche à des sources que vous savez fiables et qui reflètent le consensus scientifique. Cela exige une plus grande expertise, mais peut vous faire épargner beaucoup de temps et vous éviter (consciemment ou non) de chercher de l'information que vous souhaitez véritable et qui appuie vos croyances.
Évaluer l’expertise
Il n’est pas toujours possible de juger la fiabilité d’une affirmation scientifique ou médicale, mais il est habituellement possible de juger de l’expertise de la personne qui l’émet : « Les élèves devraient d’abord chercher des preuves de la fiabilité de la source, et non de l’affirmation[24]. » Toutefois, notre jugement de l’expertise, comme notre jugement des affirmations, est souvent influencé par notre avis à l’égard du prétendu expert : une étude a révélé que les gens évaluaient l’expertise de spécialistes avec les mêmes critères en fonction de la correspondance de l’opinion de l’expert par rapport à leur propre opinion[25]. Par la même occasion, les promoteurs de désinformation dépendent des supposés experts pour soutenir la crédibilité de leurs affirmations[26]. Alors comment déterminons-nous si quelqu’un est vraiment un expert? Comment pouvons-nous établir la différence entre quelqu’un qui aurait de véritables données probantes remettant en question le consensus scientifique et un excentrique sans réputation dans la communauté scientifique?
Il est important de comprendre qu’être « expert » peut se limiter au fait d’avoir une expertise dans un sujet très précis. La distinction populaire entre les scientifiques et les non scientifiques peut masquer le fait que la plupart des scientifiques ont peu de connaissances spécialisées en dehors de leur domaine : par exemple, si un physicien connaît plus la biologie qu’une personne n’ayant pas de formation scientifique, il est peu probable qu'il en sache suffisamment pour faire ou juger une affirmation dans ce domaine.
La première étape est donc de s’assurer que les qualifications de l’expert correspondent au domaine voulu. Pour cela, il faut peut-être réaliser un peu plus de recherches : par exemple, le site Web du Docteur Joseph Mercola fait la promotion (et la vente) de suppléments nutritifs offerts en solution de rechange aux vaccins. Ce docteur possède un doctorat en ostéopathie, une branche de la médecine qui se concentre sur les muscles et le squelette, mais pas en nutrition ou en lien avec le système immunitaire.
Si la personne qui prétend être experte est un scientifique, vous pouvez également découvrir si elle a un historique de publication dans le domaine en effectuant une recherche de son nom dans Google Scholar. Par exemple, un blogue négationniste du réchauffement planétaire, Principia Scientific, a rédigé un billet à propos d’un article de Christopher Booker qui prétend que le consensus scientifique était issu non seulement de preuves, mais d’une pensée de groupe[27]; Google Scholar montre que Booker a publié des articles faisant la promotion de théories du complot sur les changements climatiques, l’énergie éolienne et l’Union européenne, mais aucun article scientifique sur ces sujets ou sur tout autre sujet.
De même, la compétence d’un expert peut être compromise s'il y a lieu de penser que son jugement n’est pas objectif. Il est important de s’assurer que l’expertise n’est pas compromise pour des raisons idéologiques ou commerciales, donc de trouver qui paie pour la plateforme. Si le fondateur a des raisons politiques ou financières de vouloir vous faire croire en l’expert – ou si vous ne savez pas clairement qui finance – vous devriez faire preuve d'un certain scepticisme[28].
Vous pouvez utiliser des méthodes similaires pour déterminer si un organisme ou une publication a de l’expertise. Comme pour les autres types d’information, vous devez d’abord remonter à la source pour déterminer où fut initialement publiée l’affirmation. Lorsque vous avez déterminé son origine, vous pouvez effectuer une recherche avec les méthodes présentées ci-dessus et dans les autres sections pour voir si la source est accueillie favorablement et s’il y a des raisons de la considérer biaisée. Par exemple, l’American Academy of Pediatrics et l’American College of Pediatricians se représentent comme des organismes experts en pédiatrie, mais une brève recherche montre que l’AAP compte 67 000 membres tandis que l’ACP n’en a que 700.
Pour les articles scientifiques, vous pouvez également trouver le facteur d’impact de la revue (voir « Être un lecteur informé » ci-dessus) pour savoir si d’autres scientifiques l'utilisent comme ressource, et effectuer une recherche sur le titre de l’article avec les mots « reproduction » ou « retrait » pour voir ce que les autres scientifiques ont trouvé à ce sujet. Par exemple, une recherche sur « Wakefield autisme rétractation » montre que Lancet, la revue ayant initialement publié l’article établissant un lien entre le vaccin ROR et l’autisme, a fini par retirer cet article en le décrivant comme une « fraude élaborée »[29].”
[1] Hurd, P. D. (1998). Scientific literacy: New minds for a changing world. Science Education, 82(3), 407-416. doi:10.1002/(sici)1098-237x(199806)82:33.3.co;2-q
[2] Meyerson, L., & McAweeney E. (2021) How Debunked Science Spreads. Virality Project.
[3] Willingham, E. (2012). Science, health, medical news freaking you out? Do the Double X Double-Take first. Double X Science.
[4] Nestle, M. (2018). Unsavory truth: how food companies skew the science of what we eat. Basic Books. [traduction]
[5] Best, J. (2012). Damned lies and statistics: Untangling numbers from the media, politicians, and activists. Univ of California Press. [traduction]
[6] Lerner, A. (2022) 2021 Survey of North American Teens on the Holocaust and Antisemitism. Liberation75. [traduction]
[7] Best, J. (2012). Damned lies and statistics: Untangling numbers from the media, politicians, and activists. Univ of California Press. [traduction]
[8] Oreskes, N., & Conway, E. M. (2010). Defeating the merchants of doubt. Nature, 465(7299), [traduction]
[9] Caulfield, M., & Wineburg, S. (2023). Verified: How to think straight, get duped less, and make better decisions about what to believe online. University of Chicago Press. [traduction]
[10] Kolstø, S. D. (2001). Scientific literacy for citizenship: Tools for dealing with the science dimension of controversial socioscientific issues. Science Education, 85(3), 291-310. doi:10.1002/sce.1011
[11] Nestle, M. (2018) Unsavory Truth: How Food Companies Skew the Science of What We Eat. Basic Books.
[12] Oreskes, N., & Conway, E. M. (2011). Merchants of doubt: How a handful of scientists obscured the truth on issues from tobacco smoke to global warming. Bloomsbury Publishing USA.
[13] Caulfield, M. (2017). "How to Think About Research" in Web Literacy for Student Fact-Checkers. < https://webliteracy.pressbooks.com/>
[14] Bergstrom, C. (2022) To Fight Misinformation, We Need to Teach That Science Is Dynamic. Scientific American. [traduction]
[15] McComas, W. F. (1998). The principal elements of the nature of science: Dispelling the myths. In The nature of science in science education: Rationales and strategies (pp. 53-70). Dordrecht: Springer Netherlands. [traduction]
[16] Kolstø, S. D. (2001). Scientific literacy for citizenship: Tools for dealing with the science dimension of controversial socioscientific issues. Science Education, 85(3), 291-310. doi:10.1002/sce.1011
[17] Shihipar, A. (2024) My Fellow Scientists Present Research Wrong. Bloomberg. [traduction]
[18] Cook, J. (n.d.) Explainer: Scientific consensus. Skeptical Science.
[19] Nd. Scientific Consensus. National Aeronautics and Space Administration. <https://science.nasa.gov/climate-change/scientific-consensus/>
[20] Livio, M., (2020) When Galileo Stood Trial for Defending Science. History.com.
[21] Oreskes, N. (2019) Why Trust Science? Princeton University Press.
[22] Caulfield, M. (2017). "How to Think About Research" in Web Literacy for Student Fact-Checkers. <https://webliteracy.pressbooks.com/>
[23] Mannix, L. (2022) Evidence suggests Wikipedia is accurate and reliable. When are we going to start taking it seriously? The Sydney Morning Herald.
[24] Zucker, A., & McNeill, E. (2023). Learning to find trustworthy scientific information. [traduction]
[25] Mooney, C. (2011). The Science of Why We Don't Believe Science. Mother Jones.
[26] Harris, M. J., Murtfeldt, R., Wang, S., Mordecai, E. A., & West, J. D. (2024). Perceived experts are prevalent and influential within an antivaccine community on Twitter. PNAS nexus, 3(2), pgae007.
[27] Leuck D. (2018). Global Warming: The Evolution of a Hoax. Principia Scientific.
[28] Massicotte, A. (2015). When to trust health information posted on the Internet. Canadian Pharmacists Journal / Revue Des Pharmaciens Du Canada,148(2), 61-63. doi:10.1177/1715163515569212
[29] No author listed. (2011, January 5.) Retracted autism study an ‘elaborate fraud,’ British journal finds. CNN.