Comment pouvons-nous juger de l’information sur la santé et les sciences?

La littératie scientifique

L’élément essentiel pour juger de manière exacte et objective de l’information sur la santé et les sciences est sans doute la compréhension du fonctionnement de la science.

Comme pour les médias, cette compréhension porte sur les aspects fondamentaux de l’élaboration et la mise à l’essai des hypothèses (dont le résumé est présenté au début de cette section) et les façons dont le financement, l’examen, la publication, la diffusion et la couverture journalistique de la recherche sur la santé et la science sont réalisés. Certains éducateurs définissent ces compétences comme la « littératie scientifique », mais un grand nombre de celles-ci ressemblent beaucoup à ce que nous associons à la littératie médiatique et numérique. Par exemple, Paul Hurd, qui a popularisé l’expression « littératie scientifique », décrit une personne scientifiquement cultivée comme quelqu'un qui, parmi ses compétences et habitudes, peut :

  • Distinguer un expert d’une personne mal informée.
  • Distinguer la théorie du dogme et les données du mythe et du folklore. Reconnaître que presque toutes les facettes de la vie d’une personne sont influencées d’une manière ou d’une autre par les sciences et les technologies.
  • Distinguer la science de la pseudo-science comme l’astrologie, le charlatanisme, le surnaturel et la superstition.
  • Distinguer les données probantes de la propagande, les faits de la fiction, le bien-fondé de l’absurdité et la connaissance de l’opinion.
  • Savoir comment analyser et traiter de l’information pour générer des connaissances qui s’étendent au-delà des faits.
  • Reconnaître lorsque les données ne sont pas suffisantes pour prendre une décision rationnelle ou former un jugement fiable.
  • Reconnaître que la littératie scientifique est un processus d’acquisition, d’analyse, de synthèse, de codage, d’évaluation et d’utilisation des réalisations en science et technologie dans des contextes humains et sociaux.
  • Reconnaître les relations symbiotiques entre la science et la technologie et entre la science, la technologie et les affaires humaines.[1]

La présente section décrit quatre façons clés d'atteindre ces objectifs : être un lecteur informé de l’actualité scientifique; identifier le consensus scientifique d’un enjeu; évaluer l’expertise d’une source (que ce soit un organisme ou un individu) à l’origine d’une affirmation; réaliser des recherches spécialisées qui présentent uniquement des résultats provenant de sources sûres.

Être un lecteur informé

Le plus grand domaine de chevauchement entre la littératie médiatique et la littératie scientifique est l’importance de comprendre comment les travaux scientifiques sont communiqués et finalement rapportés dans l’actualité. La rédactrice scientifique Emily Willingham donne cinq conseils pour lire des actualités scientifiques :

  • Allez plus loin que le titre : Les titres, qui sont souvent rédigés par d’autres personnes que l’auteur de l’article, simplifient le sujet, mettent l’accent sur les aspects sensationnels de l’histoire – qui ne sont pas toujours les plus importants – et peuvent être trompeurs. Pour connaître l’histoire au complet, lisez l’article.
  • Cherchez le fond de l’article. Parle-t-il d'une nouvelle recherche ou établit-il un lien entre une recherche existante et un article d’actualité? Lisez l’article au complet pour en connaître le fond et soyez à l’affut des mots tels que « revue », « perspective » ou « commentaire » – qui signifient habituellement qu’aucune recherche initiale n’a été effectuée. En outre, n’attachez pas trop d’importance aux recherches annoncées lors des conférences, car celles-ci n’ont habituellement pas passé par le processus d’examen par les pairs.
  • Regardez ce que mesure la recherche : Est-ce une « association », un « risque », un « lien » ou une « corrélation »? Tous ces mots suggèrent que nous ne pouvons pas tirer de véritable conclusion, parce qu'ils suggèrent seulement qu’il existe une relation entre deux choses. Évidemment, la corrélation (soit la relation entre deux événements) montre parfois la causalité (lorsqu’un événement en cause un autre), mais habituellement les premiers résultats qui font la manchette ne le montrent pas. 
  • Regardez la source initiale : L’article comporte-t-il un lien vers la recherche initiale? Si c’est le cas, suivez-le pour savoir où elle a été publiée. Si non, faites une recherche sur le titre de l’article ou, si vous ne l’avez pas, recherchez les auteurs et le sujet de la recherche. Si la recherche a été publiée dans une revue scientifique, vous pourriez faire une recherche Google avec le nom de la revue et les mots « facteur d’impact » pour voir si d’autres scientifiques l’utilisent comme ressource (tout résultat supérieur à 1 indique que la source fait partie de la communauté scientifique; si la recherche ne montre aucun facteur d’impact, cela signifie que la source n'est pas considérée comme une revue académique.)
  • Gardez à l’esprit les considérations commerciales : Les organes d’actualité veulent des lecteurs; les chercheurs ont besoin de financement; les institutions qui les financent veulent souvent de la publicité. Même lorsqu’un récit scientifique est tout à fait légitime et ne constitue pas une série d’efforts pour vous effrayer d’acheter un livre ou des suppléments nutritionnels, de nombreuses raisons expliquent pourquoi l’importance ou les implications de la nouvelle recherche pourraient être exagérées par une personne appartenant à cette chaîne.[2]

Identifier le consensus

Comme il est mentionné ci-dessus, l’un des défis associés à la compréhension des sujets liés à la santé et aux sciences est le fait que l’actualité et les réseaux sociaux ont tendance à favoriser ce qui est nouveau, comme les récentes découvertes. Ainsi, il peut être difficile de juger la fiabilité de l’information sur la santé et les sciences parce que par définition ces nouvelles découvertes – qui sont souvent appelées « science en devenir » – ne reflètent pas nécessairement le point de vue du consensus des scientifiques dans le domaine. [3] Ce biais à l’égard des nouvelles découvertes peut contribuer à la méprise de la science en tant qu’individu plutôt qu’au processus collectif et peut exagérer l’étendue du désaccord des scientifiques sur un sujet.[4] Les groupes ou les individus peuvent en tirer profit ou donner l’impression qu’il n’y a aucun consensus dans un domaine où un consensus existe, ou qu’un consensus a été établi lorsque ce n’est pas le cas. Mais comme l’explique Kolstø, « la plupart des enseignants et des éducateurs du domaine des sciences sont rarement convaincus dès le premier coup d'œil lorsque de nouveaux résultats émanent des frontières de la science. Nous lisons gaiement de nouvelles et passionnantes découvertes, mais gardons toutes les possibilités ouvertes — pour l’instant. La raison est que nous voulons d'abord savoir s'il existe un quelconque consensus parmi les experts concernés par ces nouvelles affirmations de connaissance scientifique. »[5]

Il est important de comprendre que le consensus scientifique peut changer, mais aussi de savoir comment cela se produit, afin d’éviter l’idée fausse selon laquelle toutes les croyances actuelles des scientifiques finiront pas être renversées. Au lieu, comme l’explique Caulfield, « votre travail en tant que contrôleur qualité n’est pas de résoudre les débats à partir de nouvelles preuves, mais bien de résumer avec exactitude l’état de la recherche et le consensus des experts dans un domaine donné, en prenant en compte les points de vue de la majorité et de la minorité non négligeable. »[6]

Une encyclopédie est un bon point de départ pour la recherche d’un consensus. Au moment d’écrire ces lignes, par exemple, les articles de Wikipédia portant sur le réchauffement planétaire, sur le lien supposé entre les vaccins et l’autisme et sur les effets possibles sur la santé causés par la radiation des téléphones cellulaires reflétaient de manière exacte le consensus scientifique. (Même si les articles de Wikipédia sont modifiables par leurs utilisateurs, des éditeurs automatisés attrapent et corrigent rapidement la plupart des cas de vandalisme ou de modifications à motivation idéologique : ainsi, les articles les plus controversés sont en fait plus susceptibles d’être exacts.[7] Pour en savoir plus sur la façon de déterminer la fiabilité d’un article de Wikipédia, lisez notre document Wikipédia 101.)

Les sources spécialisées

Une autre stratégie consiste à prendre l’approche opposée et à confiner votre recherche à des sources que vous savez fiables et qui reflètent le consensus scientifique. Cela exige une plus grande expertise, mais peut vous faire épargner beaucoup de temps et vous éviter (consciemment ou non) de chercher de l'information que vous souhaitez véritable et qui appuie vos croyances. Par exemple, la fondation La Santé sur Internet offre HONsearch, un moteur de recherche dédié qui effectue uniquement des recherches sur des sites qu’elle a certifiés, tandis que WorldWideScience est une collaboration internationale qui effectue des recherches sur des sites et des bases de données scientifiques provenant de partout dans le monde. Des ressources spécifiques pour démythifier la désinformation possible sur la santé et les sciences incluent l’Agence Science-Presse, qui fournit Le détecteur de rumeurs pour identifier les fausses informations en sciences; Quackwatch, axé sur la santé; l’Office for Science and Society de McGill, qui s’est donné pour mission de séparer le bien-fondé de l’absurdité dans les sciences; les sections de Snopes dédiées à la santé, aux sciences et à la médecine.

Évaluer l’expertise

Il n’est pas toujours possible de juger la fiabilité d’une affirmation scientifique ou médicale, mais il est habituellement possible de juger de l’expertise de la personne qui l’émet. Toutefois, notre jugement de l’expertise, comme notre jugement des affirmations, est souvent influencé par notre avis à l’égard du prétendu expert : une étude a révélé que les gens évaluaient l’expertise de spécialistes avec les mêmes critères en fonction de la correspondance de l’opinion de l’expert par rapport à leur propre opinion.[8] Par la même occasion, les promoteurs de désinformation dépendent des supposés experts pour soutenir la crédibilité de leurs affirmations.[9] Alors comment déterminons-nous si quelqu’un est vraiment un expert? Comment pouvons-nous établir la différence entre quelqu’un qui aurait de véritables données probantes remettant en question le consensus scientifique et un excentrique sans réputation dans la communauté scientifique?

Il est important de comprendre qu’être « expert » peut se limiter au fait d’avoir une expertise dans un sujet très précis. La distinction populaire entre les scientifiques et les non scientifiques peut masquer le fait que la plupart des scientifiques ont peu de connaissances spécialisées en dehors de leur domaine : par exemple, si un physicien connaît plus la biologie qu’une personne n’ayant pas de formation scientifique, il est peu probable qu'il en sache suffisamment pour faire ou juger une affirmation dans ce domaine.

La première étape est donc de s’assurer que les qualifications de l’expert correspondent au domaine voulu. Pour cela, il faut peut-être réaliser un peu plus de recherches : par exemple, le site Web du Docteur Joseph Mercola fait la promotion (et la vente) de suppléments nutritifs offerts en solution de rechange aux vaccins. Ce docteur possède un doctorat en ostéopathie, une branche de la médecine qui se concentre sur les muscles et le squelette, mais pas en nutrition ou en lien avec le système immunitaire.

Si la personne qui prétend être experte est un scientifique, vous pouvez également découvrir si elle a un historique de publication dans le domaine en effectuant une recherche de son nom dans Google Scholar. Par exemple, un blogue négationniste du réchauffement planétaire, Principia Scientific, a rédigé un billet à propos d’un article de Christopher Booker qui prétend que le consensus scientifique était issu non seulement de preuves, mais d’une pensée de groupe[10]; Google Scholar montre que Booker a publié des articles faisant la promotion de théories du complot sur les changements climatiques, l’énergie éolienne et l’Union Européenne, mais aucun article scientifique sur ces sujets ou sur tout autre sujet.

De même, la compétence d’un expert peut être compromise s'il y a lieu de penser que son jugement n’est pas objectif. Il est important de s’assurer que l’expertise n’est pas compromise pour des raisons idéologiques ou commerciales, donc trouvez qui paie pour la plateforme. Si le fondateur a des raisons politiques ou financières de vouloir vous faire croire en l’expert – ou si vous ne savez pas clairement qui finance – vous devriez faire preuve d'un certain scepticisme.[11]

Vous pouvez utiliser des méthodes similaires pour déterminer si un organisme ou une publication a de l’expertise. Comme pour les autres types d’information, vous devez d’abord remonter à la source pour déterminer où fut initialement publiée l’affirmation. Lorsque vous avez déterminé son origine, vous pouvez effectuer une recherche avec les méthodes présentées ci-dessus et dans les autres sections pour voir si la source est accueillie favorablement et s’il y a des raisons de la considérer biaisée. Par exemple, l’American Academy of Pediatrics et l’American College of Pediatricians se représentent comme des organismes experts en pédiatrie, mais une brève recherche montre que l’AAP compte 66 000 membres tandis que l’ACP n’en a que 500.  

Pour les articles scientifiques, vous pouvez également trouver le facteur d’impact de la revue (voir « Être un lecteur informé » ci-dessus) pour savoir si d’autres scientifiques l'utilisent comme ressource, et effectuer une recherche sur le titre de l’article avec les mots « reproduction » ou « retrait » pour voir ce que les autres scientifiques ont trouvé à ce sujet. Par exemple, une recherche sur « Wakefield autisme rétractation » montre que Lancet, la revue ayant initialement publié l’article établissant un lien entre le vaccin ROR et l’autisme, a fini par retirer cet article en le décrivant comme une « fraude élaborée ».[12]

En somme

Nous pouvons utiliser ce que nous avons appris dans cette section pour examiner l’affirmation présentée au tout début, selon laquelle les lecteurs peuvent être « inoculés » contre la désinformation scientifique en apprenant à la reconnaître. Selon l’endroit où nous lisons l’affirmation, nous pourrions avoir à localiser l’article original : saisir les termes « inoculé », « science » et « désinformation » nous mène à l’article de Plos One cité sur cette page. Une recherche sur le « facteur d’impact de Plos One » nous donne un résultat de 2,806 – pas aussi élevé que certaines sources, mais suffisant pour montrer que ses articles sont utilisés par d’autres scientifiques. Afin de simplifier les choses, nous allons sélectionner parmi les quatre auteurs celui qui est le moins susceptible de donner son nom aux autres scientifiques, Stephan Lewandowsky (un des auteurs de l’étude, par exemple, s’appelle John Cook, mais les chances qu'il existe d’autres John Cook dans d’autres domaines sont plus élevées) et faire une recherche sur son nom dans Google Scholar. Cela nous donne plus de 2 000 résultats provenant de diverses revues dédiées soit à la psychologie, soit aux sciences en général, ce qui suffit à avoir l’assurance que, contrairement à quelqu’un comme Christopher Booker, il s’agit d’un scientifique qui travaille et publie dans ce domaine. Nous pouvons également effectuer une recherche dans Google Scholar pour l’article afin de voir si d’autres l’ont cité et, si oui, à quel endroit : cela nous donne vingt-cinq citations de revues comme Nature et le Journal of Applied Research in Memory and Cognition, dont le facteur d’impact peut aussi être déterminé si nous souhaitons revérifier (40,137 et 2,85 respectivement). Une recherche indique que personne n’a encore tenté de reproduire les résultats de l’article (ce qui n’est pas étonnant puisqu’il est assez récent.)

Il est important de remarquer que rien de tout cela ne nous dit nécessairement que cette affirmation est exacte, seulement que les gens qui l’ont faite sont de réels experts dans leur domaine, qu’elle a subi le processus d’examen par les pairs visant à s’assurer que sa production respecte les normes du domaine et que d’autres érudits dans ce domaine la considèrent utile. De ce fait, nous pouvons la considérer provisoirement vraie jusqu’à ce que d’autres ouvrages l’appuient ou en démontrent la fausseté, mais nous n’avons actuellement aucune raison d’en douter.

 

[1] Hurd, P. D. (1998). Scientific literacy: New minds for a changing world. Science Education, 82(3), 407-416. doi:10.1002/(sici)1098-237x(199806)82:33.3.co;2-q
[2] Willingham, E. (2012, 27 avril). Science, health, medical news freaking you out? Do the Double X Double-Take first. Récupéré le 26 mars 2018 à partir de http://www.doublexscience.com/2012/04/science-health-medical-news-freaking.html
[3] Kolstø, S. D. (2001). Scientific literacy for citizenship: Tools for dealing with the science dimension of controversial socioscientific issues. Science Education, 85(3), 291-310. doi:10.1002/sce.1011
[4] Caulfield, M. (2017). "How to Think About Research" dans Web Literacy for Student Fact-Checkers. < https://webliteracy.pressbooks.com/>
[5] Kolstø, S. D. (2001). Scientific literacy for citizenship: Tools for dealing with the science dimension of controversial socioscientific issues. Science Education, 85(3), 291-310. doi:10.1002/sce.1011
[6] Caulfield, M. (2017). "How to Think About Research" dans Web Literacy for Student Fact-Checkers. < https://webliteracy.pressbooks.com/>
[7] Cohen, N. (2009, 8 juin). The Wars of Words on WIkipedia's Outskirts. The New York Times.
[8] Mooney, C. (2011, mai/juin). The Science of Why We Don't Believe Science. Mother Jones. Récupéré le 29 mars 2018 à partir de https://www.motherjones.com/politics/2011/04/denial-science-chris-mooney/
[9] Ellis E.G. (2017, 31 mai.) To Make Your Conspiracy Theory Legit, Just Find an ‘Expert.’ Wired. Récupéré le 26 mars 2018 à partir de https://www.wired.com/2017/05/conspiracy-theory-experts/
[10] Leuck D. (2018, 22 mars). Global Warming: The Evolution of a Hoax. Principia Scientific. <https://principia-scientific.org/global-warming-the-evolution-of-a-hoax/>
[11] Massicotte, A. (2015). When to trust health information posted on the Internet. Canadian Pharmacists Journal / Revue Des Pharmaciens Du Canada,148(2), 61-63. doi:10.1177/1715163515569212
[12] Aucun auteur cité. (2011, 5 janvier.) Retracted autism study an ‘elaborate fraud,’ British journal finds. CNN.