Nouvelles politiques et électorales

Le journalisme a été décrit comme le moteur de la démocratie[1], et les élections, de même, ont longtemps été le gagne-pain des journalistes. Cependant, la relation entre les deux a toujours été tendue. Même Thomas Jefferson, un ardent défenseur de la liberté de presse, a dit, alors qu’il était président, que rien de ce qui est publié dans les journaux n’est crédible et que la vérité elle‑même devient douteuse lorsqu’elle est présentée par un tel vecteur pollué.

Bien que les journalistes et les diffuseurs de nouvelles soient plus fiables au Canada que dans bien d’autres pays, bon nombre de personnes jugent (particulièrement en période électorale) qu’elles ne peuvent pas compter sur la presse pour obtenir des nouvelles exactes et impartiales sur les enjeux politiques. Cette situation est notamment attribuable à une mauvaise interprétation de ce qu’est un parti pris et de la façon dont il se reflète dans les médias. La réalité est que chaque source et chaque histoire véhiculent un certain parti pris.

  • Parti pris par choix ou omission : Quels éléments sont inclus et lesquels sont laissés de côté? Déterminer les faits les plus pertinents et ceux qui peuvent être omis est un aspect important du travail de journaliste, mais il s’agit plus d’un art que d’une science. Même les journalistes les plus responsables et objectifs peuvent tomber dans le piège en accordant une plus grande importance aux opinions avec lesquelles ils sont d’accord, aux idées exprimées dans une langue qu’ils comprennent ou aux sources qui sont plus faciles à consulter pour obtenir des commentaires. Comme pour la plupart des partis pris, nous n’en sommes souvent pas conscients, à moins que quelque chose nous force à les affronter. Lorsque Adrienne LaFrance, une chroniqueuse pour The Atlantic, a été invitée à participer au Global Media Monitoring Project afin de passer en revue ses propres articles, elle a découvert qu’elle avait cité 3 fois plus d’hommes que de femmes et que plus du tiers de ses 136 articles ne comportait aucune citation de femmes[2].
  • Parti pris par placement : L’endroit où les détails sont mentionnés dans une nouvelle est presque tout aussi important que leur inclusion : sont-ils présentés sur la première page ou enfouis vers la fin de l’article? S’agit-il d’une manchette ou d’une histoire présentée après la dernière pause publicitaire? On enseigne aux journalistes à écrire des histoires selon le principe de la « pyramide inversée », où les faits les plus susceptibles d’intéresser les lecteurs sont présentés en premier, où les détails les plus importants relativement à ces faits arrivent au deuxième rang et où les renseignements généraux sont exposés en dernier (sachant que la majorité des lecteurs ne liront pas tout l’article). Encore une fois, même les journalistes les plus objectifs et consciencieux exprimeront un certain parti pris par les choix qu’ils feront. Un autre parti pris peut même s’ajouter lorsque le rédacteur en chef compose le grand titre, ce qui peut donner aux lecteurs une impression complètement différente de celle relative au sujet réel de l’histoire[3].
  • Parti pris par accentuation : Les différentes connotations des mots (« terroriste », « révolutionnaire » ou « combattant de la liberté »?), les différentes façons de présenter les statistiques (40 % des gens utilisent des cerfs-volants ou 60 % ne le font pas?) et les images véhiculant une valeur émotionnelle (une photo montre-t-elle l’accusé portant des menottes aux mains ou provient-elle de son album souvenir de l’école où il a un air angélique?) peuvent changer nos perceptions à l’égard d’une histoire. Le rôle des photos dans l’introduction d’un parti pris a été mis en évidence en 2014, grâce au mot-clic #iftheygunnedmedown, alors que des Afro-Américains publiaient des photos d’eux diamétralement opposées, soit des photos respectant l’image stéréotypée que la société se fait d’eux et qui seraient probablement utilisées dans les médias s’ils étaient tués ou mis en état d’arrestation et des photos d’eux avec leur famille, à l’école ou au travail et qui seraient totalement ignorées par les médias. Ils voulaient ainsi démontrer comment des gens « ordinaires » (des étudiants, des militaires, des femmes, des bénévoles) pouvaient donner l’impression d’être une menace pour le public seulement en raison d’une photo présentée dans un contexte précis[4]

Bien qu’il soit impossible d’éviter tout parti pris dans une histoire, il est également possible que les partis pris perçus soient différents pour chacun. Il s’agit parfois d’une question de perspective : par exemple, le journalisme du milieu du XXIe siècle, la référence absolue d’aujourd’hui, penchait fortement vers les Blancs, les hommes, les chrétiens, les hétérosexuels ainsi que les classes moyenne et supérieure, mais il peut aussi s’agir d’une perception, tant dans l’œil du lecteur que dans l’histoire elle-même. En réalité, il est fréquent que des personnes des deux camps sentent un parti pris à leur encontre, et ce, dans la même histoire. Il s’agit d’un phénomène appelé « effet hostile des médias », lequel a été observé autant lors de parties de football que de reportages de guerre. Ironiquement, cet effet peut parfois être aggravé lorsqu’un journaliste tente d’être objectif en intégrant des points de vue opposés[5]

C’est peut-être la nature fuyante des partis pris qui a fait en sorte que de nombreux consommateurs de nouvelles, particulièrement les jeunes, en sont davantage conscients et sont moins disposés à les négocier. Erik Palmer, enseignant et auteur, affirme que la population avait l’habitude de tout croire et que maintenant, elle a plutôt tendance à ne plus rien croire[6]. Dans une étude sur les attitudes à l’égard des nouvelles, réalisée en 2017 dans neuf pays, un quart des répondants étaient d’avis que les journalistes ne parvenaient pas à bien séparer les faits de la fiction, principalement en raison de l’impression de partialité, de l’interprétation partisane et des tendances politiques des organes de presse. Autrement dit, une grande partie du public estime que les gens puissants utilisent les médias pour promouvoir leurs propres intérêts politiques ou économiques, plutôt que ceux des lecteurs ou des téléspectateurs[7]

Le principe visant à ne rien croire mène généralement à l’apathie, à un sentiment d’inefficacité et à un manque d’investissement dans le système politique (un facteur manifestement négatif dans toute démocratie), mais il y a un risque encore plus grand que la sensibilisation aux partis pris incite les gens à consulter seulement les médias qui confirment leurs propres partis pris. Il s’agit là du principal problème : les chercheurs ont conclu que la plupart des partis pris véhiculés par les médias ne sont pas le résultat des opinions politiques des propriétaires, mais de celles des lecteurs[8].

Cependant, ce qui a changé, c’est que la plupart d’entre nous recevons nos nouvelles (ou sommes initialement exposés aux nouvelles) par l’intermédiaire des moteurs de recherche et des médias sociaux. Les recettes générées par ces plateformes proviennent principalement du fait qu’elles établissent nos profils et les utilisent pour publier du contenu selon ce que nous faisons, aimons et croyons, ce qui comprend des publicités ainsi que des nouvelles qui confirment nos partis pris (soit parce qu’elles correspondent à notre profil, soit parce que des amis aux vues similaires les ont partagées). Ces plateformes sont aussi configurées de sorte à publier le contenu le plus pertinent, lequel pourrait devenir viral s’il est tendancieux, scandaleux ou « trop beau pour être vrai ». Même si nous ne croyons pas complètement à une telle histoire, elle peut sembler plus crédible simplement en étant diffusée à maintes reprises, particulièrement par des personnes que nous connaissons (dans leur fil de nouvelles ou sur Twitter)[9]. Et même les journalistes (qui sont de grands utilisateurs des réseaux sociaux) peuvent être assujettis à l’effet de « chambre d’écho », encore plus que les citoyens, ce qui signifie que le contenu filtré au moyen d’algorithmes qui est diffusé à leur intention par les médias sociaux peut influencer un large public en axant le programme sur les médias traditionnels comme la télévision et la radio[10].

Cet effet est important puisque nous sommes naturellement enclins à croire des histoires, même si elles sont incroyables, si elles renforcent ce que nous croyons déjà. Il est encore plus puissant lorsqu’il est question de croyances ancrées, comme l’opinion politique ou l’idéologie : une étude a d’ailleurs démontré que plus de la moitié des gens accepterons des allégations mensongères si elles sont conformes à leur opinion politique. L’effet est le même des deux côtés du spectre politique[11].

En confirmant nos partis pris et nos croyances, ces allégations, ces mots et ces images peuvent déclencher ce qu’on appelle une « cognition émotive », qui, comme le nom l’indique, repose sur les émotions et change la façon dont nous interprétons ce que nous lisons ou entendons par la suite[12] (dans une mesure où l’information qui contredit nos croyances pourrait nous inciter à entretenir encore plus ces croyances)[13]. Consciemment ou non, les auteurs y contribuent en utilisant des termes qui confirment un point de vue (comme « sables pétrolifères » plutôt que « sables bitumineux »)[14]. L’utilisation de tels termes, lesquels véhiculent implicitement l’appartenance politique de l’auteur, pourrait partiellement expliquer pourquoi les gens qui connaissent bien la politique sont plus enclins à respecter leurs croyances même si on leur présente des preuves contradictoires[15].

Bon nombre des éléments qui caractérisent notre environnement médiatique moderne, notamment la possibilité de choisir seulement les nouvelles avec lesquelles nous sommes d’accord, la diffusion de nouvelles qui sont filtrées par des algorithmes et qui touchent nos cordes sensibles, la facilité avec laquelle la désinformation se propage dans les nouvelles légitimes et la tendance (qui est une conséquence des facteurs précédents) des médias à adapter leur contenu selon les croyances de leur public, ont des répercussions négatives sur les délibérations démocratiques. Lorsque des personnes acceptent la désinformation utilisée pour appuyer des arguments politiques ou, encore pire, lorsqu’elles choisissent de transmettre cette désinformation pour justifier leur position à l’égard d’un enjeu, elles peuvent inciter d’autres personnes qui ne savent pas que l’information est inexacte à adopter une position autre que celle qu’elles auraient eue selon leurs croyances[16].

La bonne nouvelle est que bien que le fait d’en connaître beaucoup sur la politique ne nous empêche pas d’être induits en erreur par les partis pris (les nôtres ou ceux des autres), la littératie médiatique peut nous protéger. Les lecteurs qui ont reçu une formation sur la littératie médiatique sont beaucoup moins enclins à accepter les fausses allégations, qu’elles respectent ou non leurs propres croyances. Bien que l’on considère parfois que la littératie médiatique soit idéologique, l’effet était le même, peu importe les croyances politiques du lecteur (p. ex. les libéraux étaient aussi enclins à rejeter une fausse allégation qui était conforme à leur appartenance politique que les conservateurs). La littératie médiatique produit des citoyens qui ont des valeurs et des croyances solides, mais qui adoptent un point de vue critique lorsqu’ils évaluent un argument, même lorsque ce dernier correspond à leurs préférences partisanes[17].

 

[1] Davidson, Sandy et Betty Winfield. « Journalism: The Lifeblood of a Democracy » dans « What Good is Journalism? How Reporters and Editors are Saving America’s Way of Life ». University of Missouri Press, 2007.
[2] Lafrance, Adrienne. « I Analyzed a Year of me Reporting for Gender Bias and This is What I Found », Medium, 30 septembre 2013.
[3] Konnikova, Maria. « How Headlines Change the Way We Think », The New Yorker, 17 décembre 2014.
[4] Poniewozik, James. « #IfTheyGunnedMeDown and What Hashtag Activism Does Right », Time, 11 août 2014.
[5] Stray, Jonathan. « How Do You Tell When the News is Biased? It Depends on How You See Yourself », Nieman Lab, juin 2012.
[6] Forde, Leslie. « Teaching Media Literacy in the Era of Fake News », The Spark, 11 novembre 2017.
[7] Newman, Nic et Dr Richard Fletcher. « Bias, Bullshit and Lies: Audience Perspectives on Low Trust in the Media », Digital News Project, 1er décembre 2017.
[8] Gentzkow, Matthew et Jesse M. Shapiro. « What Drives Media Slant? Evidence from U.S. Daily Newspapers », Econometrica, vol. 78, no 1, janvier 2010, p. 35-71.
[9] Carey, Benedit. « How Fiction Becomes Fact on Social Media », The New York Times, 20 octobre 2017.
[10] Klein, Ezra. « Something is breaking American politics, but it’s not social media », Vox, 12 avril 2017.
[11] Kahne, Joseph et Benjamin Bowyer. « Educating for Democracy in a Partisan Age: Confronting the Challenges of Motivated Reasoning and Misinformation », American Educational Research Journal, vol. 54, no 1, 1er février 2017, p. 3-34.
[12] Lodge, M. et C. S. Taber. « The automaticity of affect for political leaders, groups, and issues: An experimental test of the hot cognition hypothesis », Political Psychology, vol. 26, juin 2005, p. 455-482.
[13] Redlawsk, David. « Hot Cognition or Cool Consideration? Testing the Effects of Motivated Reasoning on Political Decision Making », Political Science Publications, vol. 64, novembre 2002. DOI : 10.1111/1468-2508.00161
[14] Cosh, Colby. « Don’t call them “tar sands” », MacLean’s, 3 avril 2012.
[15] Taber, C. S. et M. Lodge. « Motivated skepticism in the evaluation of political beliefs », American Journal of Political Science, vol. 50, no 3, juin 2006, p. 755-769. DOI : 10.1111/j.1540-5907.2006.00214.x
[16] Kahne, Joseph et Benjamin Bowyer. « Educating for Democracy in a Partisan Age: Confronting the Challenges of Motivated Reasoning and Misinformation », American Educational Research Journal, vol. 54, no 1, 1er février 2017, p. 3-34. 
[17] Kahne, Joseph et Benjamin Bowyer. « Educating for Democracy in a Partisan Age: Confronting the Challenges of Motivated Reasoning and Misinformation », American Educational Research Journal, vol. 54, no 1, 1er février 2017, p. 3-34.