Nouvelles politiques et électorales

Le journalisme a été décrit comme le moteur de la démocratie[1] , et les élections, de même, ont longtemps été le gagne-pain des journalistes. Cependant, la relation entre les deux a toujours été tendue. La couverture médiatique donne souvent une fausse image de l’opinion publique sur les sujets controversés : bien que plus de 80 % des Américains soutiennent les politiques visant à limiter les effets du changement climatique, ils pensent que moins de la moitié de la population est d'accord avec ces politiques[2]. Même Thomas Jefferson, un ardent défenseur de la liberté de presse, a dit, alors qu'il était président, que rien de ce qui est publié dans les journaux n'est crédible et que la vérité elle-même devient douteuse lorsqu'elle est présentée par un tel vecteur pollué.

Ce qui a changé, depuis l'époque de Jefferson, c'est que la plupart d'entre nous recevons nos nouvelles (ou sommes initialement exposés aux nouvelles) par l'intermédiaire des moteurs de recherche et des médias sociaux. Les recettes générées par ces plateformes proviennent principalement du fait qu'elles établissent nos profils et les utilisent pour publier du contenu selon ce que nous faisons, aimons et croyons, ce qui comprend des publicités ainsi que des nouvelles qui confirment nos partis pris (soit parce qu'elles correspondent à notre profil, soit parce que des amis aux vues similaires les ont partagées). Ces plateformes sont aussi configurées de sorte à publier le contenu le plus pertinent, qui pourrait devenir viral s'il est tendancieux, scandaleux ou " trop beau pour être vrai ". Même si nous ne croyons pas complètement à une telle histoire, elle peut sembler plus crédible simplement en étant diffusée à maintes reprises, particulièrement par des personnes que nous connaissons (dans leur fil de nouvelles ou sur leurs flux de médias sociaux)[3] .

Cet effet est important puisque nous sommes naturellement enclins à croire des histoires, même si elles sont incroyables, si elles renforcent ce que nous croyons déjà. Il est encore plus puissant lorsqu'il est question de croyances ancrées, comme l'opinion politique ou l'idéologie : une étude a d'ailleurs démontré que les personnes situées aux deux extrémités du spectre politique américain étaient plus enclines à croire et à partager des nouvelles qui renforçaient leurs croyances[4].

En confirmant nos partis pris et nos croyances, ces allégations, ces mots et ces images peuvent déclencher ce qu'on appelle une " cognition émotive ", qui, comme le nom l'indique, repose sur les émotions et change la façon dont nous interprétons ce que nous lisons ou entendons par la suite[5] (dans une mesure où l'information qui contredit nos croyances pourrait nous inciter à entretenir encore plus ces croyances)[6] . Consciemment ou non, les auteurs y contribuent en utilisant des termes qui confirment un point de vue (comme " sables pétrolifères " plutôt que " sables bitumineux ")[7] . L'utilisation de tels termes, qui véhiculent implicitement l'appartenance politique de l'auteur, pourrait partiellement expliquer pourquoi les gens qui connaissent bien la politique sont plus enclins à respecter leurs croyances même si on leur présente des preuves contradictoires[8] .

Bon nombre des éléments qui caractérisent notre environnement médiatique moderne, notamment la possibilité de choisir seulement les nouvelles avec lesquelles nous sommes d'accord, la diffusion de nouvelles qui sont filtrées par des algorithmes et qui touchent nos cordes sensibles, la facilité avec laquelle la désinformation se propage dans les nouvelles légitimes et la tendance (qui est une conséquence des facteurs précédents) des médias à adapter leur contenu selon les croyances de leur public, ont des répercussions négatives sur les délibérations démocratiques. Lorsque des personnes acceptent la désinformation utilisée pour appuyer des arguments politiques ou, encore pire, lorsqu'elles choisissent de transmettre cette désinformation pour justifier leur position à l'égard d'un enjeu, elles peuvent inciter d'autres personnes qui ne savent pas que l'information est inexacte à adopter une position autre que celle qu'elles auraient eue selon leurs croyances[9] .

La bonne nouvelle est que bien que le fait d'en connaître beaucoup sur la politique ne nous empêche pas d'être induits en erreur par les partis pris (les nôtres ou ceux des autres), la littératie aux médias numériques peut nous protéger. Les lecteurs qui ont reçu une formation sur la littératie médiatique sont beaucoup moins enclins à accepter les fausses allégations, qu'elles respectent ou non leurs propres croyances. Bien que l'on considère parfois que la littératie aux médias numériques soit idéologique, l'effet était le même, peu importe les croyances politiques du lecteur (p. ex. les libéraux étaient aussi enclins à rejeter une fausse allégation qui était conforme à leur appartenance politique que les conservateurs). La littératie produit des citoyens qui ont des valeurs et des croyances solides, mais qui adoptent un point de vue critique lorsqu'ils évaluent un argument, même lorsque ce dernier correspond à leurs préférences partisanes[10] .


[1] Davidson, S., & Winfield, B. Journalism: The Lifeblood of a Democracy. What Good is Journalism?: How Reporters and Editors Are Saving America’s Way of Life.

[2] Sparkman, G., Geiger, N. et Weber, E. U. (2022). Americans experience a false social reality by underestimating popular climate policy support by nearly half. Nature communications, 13(1), 4779.

[3] Vellani, V., Zheng, S., Ercelik, D., & Sharot, T. (2023). The illusory truth effect leads to the spread of misinformation. Cognition, 236, 105421.

[4] Pereira, A., Harris, E., & Van Bavel, J. J. (2023). Identity concerns drive belief: The impact of partisan identity on the belief and dissemination of true and false news. Group Processes & Intergroup Relations, 26(1), 24-47.

[5] Lodge, M. et Taber, C. S. (2005). The automaticity of affect for political leaders, groups, and issues : An experimental test of the hot cognition hypothesis. Political Psychology, 26, 455-482.

[6] Redlawsk, David. (2002). Hot Cognition or Cool Consideration? Testing the Effects of Motivated Reasoning on Political Decision Making. Political Science Publications. 64. 10.1111/1468-2508.00161.

[7] Whetter, D. (2020). Bitumen, Bit of Me, Bit of You: Climate Change, National Literatures, Peak Oil, and Canada’s Tar Sands. ISLE: Interdisciplinary Studies in Literature and Environment, 27(1), 128-149.

[8] Taber, C. S., & Lodge, M. (2006). Motivated skepticism in the evaluation of political beliefs. American Journal of Political Science, 50(3), 755–769. doi:10.1111/j.1540-5907.2006.00214.x

[9] Kahne, J., & Bowyer, B. (2017). Educating for democracy in a partisan age: Confronting the challenges of motivated reasoning and misinformation. American educational research journal, 54(1), 3-34.

[10] Kahne, J., & Bowyer, B. (2017). Educating for democracy in a partisan age: Confronting the challenges of motivated reasoning and misinformation. American educational research journal, 54(1), 3-34.