L'économie du sexisme
Personne ne niera que les médias de masse rapportent gros. Selon la Motion Picture Association of America, les films hollywoodiens ont rapporté à eux seuls 41,1 milliards de dollars américains en 2018, et ce chiffre n’inclut pas les services de divertissement à domicile[i]. Les dirigeants de l’industrie des médias affirment que l’économie de l’industrie ne permet pas d’éviter les stéréotypes féminins, mais les chiffrent montrent que c’est faux.
À la chasse aux jeunes hommes
Les représentants de l’industrie des médias affirment souvent que les stéréotypes sont motivés par les données démographiques, en particulier le désir de rejoindre la partie la plus désirable du public : les hommes âgés de 18 à 34 ans[ii]. Selon l’idée reçue dans l’industrie des médias, les filles consomment des médias destinés aux garçons, mais l’inverse n’est pas vrai[iii].
Selon une vérité similaire, les produits sexospécifiques sont plus rentables que les produits unisexes. Alors que cette notion était autrement limitée à la commercialisation de versions féminines de produits unisexes (une « taxe rose » faisant en sorte que les femmes payaient, en moyenne, 7 % de plus pour les mêmes produits que les hommes[iv]), les spécialistes du marketing essaient de plus en plus de tirer profit de la masculinité vulnérable des hommes en vendant des versions « masculines » de produits comme les cotons-tiges Q-Tips, dont la boîte présente un motif de métal ondulé et qui sont décrits comme « l’ultime outil polyvalent pour les hommes ».
Cependant, alors que ces deux points de vue prétendent être fondés sur la réalité financière, les chiffres réels ne les confirment pas. En fait, les films dans lesquels figurent des protagonistes féminins gagnent en moyenne 20 % de plus que les films présentant des protagonistes masculins, soit une moyenne brute de 116 millions de dollars américains pour les films dirigés par des femmes par rapport à 97 millions de dollars américains pour ceux dirigés par des hommes[v], alors qu’une étude menée en 2018 révèle que les films dirigés par des femmes avaient surpassé ceux dirigés par des hommes au cours des 4 années précédentes[vi]. Il n’est pas vrai non plus que les films mettant en vedette des femmes rapportent moins auprès du public international[vii]. Les films réalisés par des femmes sont, en moyenne, plus rentables que ceux réalisés par des hommes[viii], et les films qui passent le « test de Bechdel » (voir « Lutte contre les stéréotypes, pour le changement ») sont plus rentables que ceux qui ne le font pas[ix].
En ce qui concerne la publicité, non seulement plus des trois quarts des Canadiens pensent que les stéréotypes fondés sur le genre sont inacceptables[x], mais les publicités qui remettent en cause les stéréotypes sont à la fois perçues de manière plus positive et sont plus susceptibles d’être regardées en entier que d’être ignorées[xi].
Lorsque questionnés sur le sujet, les producteurs de médias disent parfois que la dimension du genre est essentielle pour les jouets et les autres produits dérivés qui, pour de nombreuses productions destinées aux enfants, constituent une source de revenus plus importante que l’émission ou le film en soi. Shane Black, le réalisateur du film Iron Man 3, s’est fait demander de réduire le rôle de deux personnages féminins parce que « le jouet n’allait pas se vendre aussi bien s’il s’agissait d’une femme […] Nous avons dû changer tout le scénario à cause de la fabrication des jouets[xii]. » Dans ce cas également, les chiffres réels contredisent les idées reçues. Malgré les inquiétudes de Disney qui craignait que les filles ne jouent pas avec un « jouet pour garçon », l’arc utilisé par Merida dans le film Brave (Rebelle) sorti en 2012 est devenu l’un des meilleurs vendeurs[xiii]. De même, malgré le rendement relativement médiocre aux guichets du film Ghostbusters (S.O.S. Fantômes) mettant en vedette des femmes en 2016, les jouets connexes se sont vendus mieux que prévu[xiv], laissant supposer une grande demande de jouets d’action féminins. En fait, une étude récente révèle qu’« une caractéristique moderne des produits de divertissement à plateformes et catégories multiples à succès est leur attrait tant pour les filles que les garçons », comme les marques Bob l’éponge, Minions et Harry Potter, et que les marques biaisées sexospécifiques comme Barbie et WWE sont en train de devenir des créneaux d’intérêt. Cependant, il est vrai qu’il existe encore une « pénalité rose » : la majeure partie de la croissance des marques mixtes découle de l’intérêt des filles pour des marques neutres ou visant traditionnellement les garçons, comme Pokémon ou les superhéros de Marvel, tandis que les garçons ne se sentent toujours pas à l’aise d’explorer des marques visant les filles[xv].
Bien que les idées reçues dans l’industrie ne soient peut-être pas fondées sur des faits, elles ont tout de même un impact. Malgré les meilleurs rendements des films réalisés par des femmes, ces dernières ne représentaient en 2018 que 8 % des réalisateurs, un point de pourcentage inférieur au taux enregistré en 1998[xvi]. Dans son documentaire Half of the Picture réalisé en 2015, Amy Adrion a interrogé 50 réalisatrices de films à succès qui ont été boudées au début ou à la fin de leur processus de création. Malgré le succès massif des films Twilight, la réalisatrice Catherine Hardwicke ne s’est pas vu offrir le contrat de trois films qu’un réalisateur masculin aurait généralement obtenu après un film à succès[xvii].
« Il est apparemment possible de réaliser plusieurs fiascos à fort prix et d’entendre tout de même l’adage voulant que "parfois on gagne, parfois on perd", personne ne disant d’ailleurs qu’il s’agit de calamités, mais il semble que chaque "succès surprise" des femmes soit une anomalie et que chaque échec soit une leçon abjecte sur la façon dont nous devrions en fait tout simplement laisser The Rock[xviii] opérer sa magie. »
Il y a souvent deux poids deux mesures lorsque les films sont mauvais : alors que les échecs mettant en vedette des hommes ou réalisés par des hommes ne sont généralement pas considérés comme faisant partie d’une tendance particulière, les films réalisés par des femmes ou mettant des femmes en vedette qui échouent sont considérés comme une preuve voulant que ces films ne peuvent pas avoir de succès[xix]. (Le mauvais rendement du film Ghostbusters n’a pas nui à la carrière du réalisateur Paul Feig, mais la franchise a été « relancée » pour se débarrasser de la distribution entièrement féminine.)
[i] Motion Picture Association (2019) New Report: Global Theatrical and Home entertainment market reached $96.8 billion in 2018. Retrieved from https://www.motionpictures.org/press/new-report-global-theatrical-and-home-entertainment-market-reached-96-8-billion-in-2018/
[ii] Tamaru, Vicky. What’s the “Big Idea”? San Francisco Chronicle, November 10 2009.
[iii] Lemish, D. (2010). Screening gender in children’s TV: The views of producers around the world. New York and Abingdon: Routledge.
[iv] Byron, Ellen. “Does Your Razor Need a Gender?” Wall Street Journal, February 1 2020.
[v] PGA women’s impact network and women and Hollywood (2015). The Ms. Factor: The Power of female driven content. Retrieved from https://cdn.ymaws.com/www.producersguild.org/resource/resmgr/WIN/ms_factor_090115_01.pdf
[vi] Buckley, Cara. “Movies Starring Women Earn More Than Male-Led Films, Study Finds.” The New York Times, December 11 2018.
[vii] Pedace, Roberto. “Why aren’t Hollywood films more diverse? The international box office might be to blame.” The Conversation, December 6 2017. Retrieved from https://theconversation.com/why-arent-hollywood-films-more-diverse-the-international-box-office-might-be-to-blame-86905
[viii] Sun, Rebecca. “Study: Films Directed by Women Receive 63 Percent Less Distribution Than Male-Helmed Movies.” The Hollywood Reporter, June 29 2016.
[ix] Hickey, Walt. “The Dollars and Cents Case Against Hollywood’s Exclusion of Women.” FiveThirtyEight, April 1 2014. Retrieved from https://fivethirtyeight.com/features/the-dollar-and-cents-case-against-hollywoods-exclusion-of-women/
[x] Consumer Perspectives on Advertising. (2018) (Rep.) Ad Standards Research
[xi] Wojcicki, Susan. “Ads That Empower Women Don’t Just Break Stereotypes, They’re Also Efective.” Adweek, April 24 2016.
[xii] Erbland, Kate. “Shane Black: ‘Iron Man 3’ Villain Was Going to be a Woman, but She Wouldn’t Have Sold Toys.” IndieWire, May 16 2016. Retrieved from https://www.indiewire.com/2016/05/shane-black-iron-man-3-villain-was-going-to-be-a-woman-but-she-wouldnt-have-sold-toys-290452/ [traduction]
[xiii] Foster, Elizabeth. “You Go, Girls!” Kidscreen, May 19 2017. Retrieved from https://kidscreen.com/2017/05/19/licensing-expo-2017-you-go-girls/
[xiv] McNary, Dave. “Mattel Reports ‘Ghostbusters’ Toy Sales Have ‘Exceeded Expectations’.” Variety, July 22 2016. Retrieved from https://variety.com/2016/film/news/mattel-strong-ghostbusters-toy-sales-1201820557/
[xv] Tyree, Wynne. Study shows gender-inclusive brands score big with kids. Kidscreen, March 8 2016. Retrieved from https://kidscreen.com/2016/03/08/study-shows-gender-inclusive-brands-score-big-with-kids/
[xvi] Lauzen, M (2019). The Celluloid Ceiling: Behind-the-Scenes Employment of Women on the Top 100, 250, and 500 Films of 2018. Retrieved from https://womenintvfilm.sdsu.edu/wp-content/uploads/2019/01/2018_Celluloid_Ceiling_Report.pdf
[xvii] Omar, Y (2018) Why there are so few female directors working in Hollywood. Harper’s Bazaar. Retrieved from https://www.harpersbazaar.com/uk/culture/entertainment/a21264167/why-there-are-so-few-female-directors-working-in-hollywood/
[xviii] Holmes, Linda. “At the Movies, the Women are Gone.” NPR, June 14 2013. Retrieved from https://www.npr.org/series/pop-culture-happy-hour/2013/06/14/191568762/at-the-movies-the-women-are-gone
[xix] Mendelson, Scott. “The Box Office Failure of Olivia Wilde’s ‘Booksmart’ is a Sadly Predictable Tragedy.” Forbes, May 27 2019. Retrieved from https://www.forbes.com/sites/scottmendelson/2019/05/27/booksmart-olivia-wilde-box-office-netflix-ghostbusters-avengers-aladdin-netflix-disney-fox/#6de6df86249c