Dans l’ensemble, près des trois quarts des Canadiens estiment que la société devrait évoluer vers des idées moins rigides en matière de genre[i]. Alors que les représentations dans les médias peuvent être considérées simplement comme un reflet des valeurs de la société, la relation entre les médias et la société est un mélange de miroir et de moule : les médias reflètent effectivement comme un miroir les valeurs déjà adoptées par la société, mais les représentations dans les médias poussent les personnes vers une identité fixe, comme de l’argile dans un moule[ii].
L’expérience n’est pas aussi passive qu’elle en a l’air puisque les enfants adapteront les messages médiatiques à leurs propres besoins et objectifs, choisissant parfois de s’identifier à des modèles de rôle d’un autre sexe s’il n’y en a pas de leur propre genre, choisissant de s’identifier à certains aspects des personnages, mais pas à d’autres, ou réécrivant les histoires et les personnages pour mieux les adapter par le jeu ou la création de médias[iii].
Cependant, il existe des limites quant à la façon dont ils peuvent négocier la représentation des sexes sans subir le contrecoup de leurs pairs, de leurs parents ou de leurs enseignants[iv] (p. ex. les garçons ayant des traits stéréotypés féminins sont plus susceptibles d’être victimes de cyberintimidation)[v] et, par conséquent, l’exposition aux stéréotypes de genre dans les médias peut avoir un impact sur l’identité et le comportement qui dure jusqu’à l’adolescence et l’âge adulte[vi]. De plus, de nombreux créateurs de médias professionnels sont incontestablement influencés par les représentations médiatiques avec lesquelles ils ont grandi, reproduisant et renforçant leurs stéréotypes.
Gary Barker de Promundo, une organisation qui se consacre à la promotion de l’égalité des genres et d’une masculinité saine, affirme que si les médias ont joué un rôle important dans la création de cette « boîte à hommes », ils peuvent aussi jouer un rôle essentiel pour y faire face, grâce à des personnages masculins plus équilibrés qui expriment un large éventail d’émotions, des représentations de personnages masculins qui prennent soin des autres, des exemples positifs d’amitiés masculines et des histoires dans lesquelles la recherche d’aide est présentée de manière positive[vii]. Des films récents comme The Lego Movie 2 (Le Film Lego 2), Ralph Breaks the Internet (Ralph brise l’Internet) et The Incredibles 2 (Les Incroyable 2) remettent tous en question l’idée que les hommes doivent être durs et sans émotion, que l’amitié est plus importante pour les filles que pour les garçons, ou que les hommes sont toujours des parents incompétents[viii]. Les émissions télévisées comme Neenawsaurs et Annedroids (Annedroïdes) remettent également en question les stéréotypes et l’identité de genre[ix].
Alors que la « boîte à hommes » peut, à certains égards, être plus restrictive que son équivalent féminin, de nombreux textes médiatiques, surtout ceux destinés aux enfants, sont toujours en proie au « principe de la Schtroumpfette » qui consiste à avoir plusieurs personnages masculins (et donc plusieurs façons acceptables d’être un garçon), mais un seul personnage féminin[x]. Bien que ce principe soit toujours présent dans des séries comme Paw Patrol (Pat’Patrouille) et la première saison de Stranger Things, ainsi que dans des films comme It (ÇA) et Jumanji et ses suites, de plus en plus de médias permettent aux personnages féminins d’avoir un rôle autre que celui de « la fille » : la nouvelle version du film My Little Pony (Mon petit poney), par exemple, propose un éventail de personnages féminins, dont la compétitive Rainbow Dash, la dure à cuire Applejack, l’espiègle Pinkie Pie et l’intello Twilight Sparkle (sans stigmatiser Rarity, qui raffole de la mode). La 13e incarnation de Doctor Who est, pour la première fois, une femme. Tout un village de Schtroumpfs féminins a été présenté dans le film The Lost Village (Les Schtroumpfs : Le village perdu) en 2017, et la Schtroumpfette elle-même est devenue une ambassadrice de l’égalité des genres dans sa Belgique natale[xi].
La publicité commence également à changer, bien que plus lentement. En 2019, MotherCare a lancé une campagne publicitaire montrant de vraies femmes dans leur corps après l’accouchement qui dit « Belles, n’est-ce pas? »[xii]. H&M a lancé sa campagne « She’s A Lady » qui a brisé les barrières du genre en mode en 2016, et en 2013, Dove a lancé sa campagne « Real Beauty » dans laquelle les femmes dessinent une photo d’elles-mêmes et la compare au dessin d’un artiste judiciaire pour souligner à quel point elles se voient sous un jour négatif[xiii]. Le mouvement #MeToo (#MoiAussi) a donné naissance à une initiative conjointe entre la National Advertising Benevolent Society et Women in Advertising and Communications appelée #timeTo, qui a mené à la création d’un code de conduite adoptée par 180 entreprises[xiv].
Même les magazines pour adolescents subissent une métamorphose. Si plusieurs ont cessé leurs activités en raison de la concurrence d’Internet et des médias sociaux[xv], ceux qui ont survécu, comme Teen Vogue, sont ceux qui publient du contenu qui correspond à la demande des filles en matière d’émancipation féminine[xvi]. Sue Todd, présidente-directrice générale de Magnetic, une agence de marketing pour les magazines, déclare que le contenu des magazines « reflète maintenant un changement général qui se produit dans la société, et on y voit davantage de militantisme ». La première couverture du magazine Look présentait une mannequin de taille plus, ce qui « ne serait jamais arrivé il y a trois ans, et c’est donc un changement positif qui reflète son public[xvii] ».
En Suède, les films sont désormais classés selon le test de Bechdel, qui consiste à déterminer si le film contient plus de deux personnages féminins qui se parlent d’autre chose que des hommes. En trois ans, plus du double des films suédois ont passé le test[xviii].
Alors que de plus en plus de parents sont à la recherche de contenu non stéréotypé pour leurs enfants, il y a espoir que l’industrie puisse changer. Comme l’a dit Geena Davis, « les médias à l’écran sont un domaine où l’inégalité de genre est flagrante et peut être corrigée du jour au lendemain[xix] ».
Résister à la maison et en classe
Un autre impact du système de notation suédois : le test de Bechdel est maintenant abordé dans les écoles[xx]. Malheureusement, des recherches menées au Royaume-Uni révèlent que près de la moitié des enseignants ne reçoivent aucune instruction pendant leur formation professionnelle sur la manière d’aborder les stéréotypes de genre, tandis qu’un quart d’entre eux ont déclaré que leur formation avait en fait renforcé les stéréotypes[xxi].
L’éducation aux médias est essentielle pour aider les jeunes à s’engager de manière critique dans la représentation des genres et des stéréotypes dans les médias. Les relations entre les médias et les attitudes et les comportements des jeunes ne sont pas seulement fondées sur les médias qu’ils consomment, mais aussi sur l’interprétation qu’ils en font, ceux considérant que les représentations médiatiques sont réalistes étant davantage influencés par celles-ci[xxii].
Les enseignants peuvent s’inspirer des nombreuses leçons de HabiloMédias sur la représentation des genres ou créer des leçons et des activités fondées sur des concepts clés d’éducation aux médias comme :
- les médias sont des constructions : examiner l’impact de ceux qui créent des médias, les choix qu’ils font et les hypothèses qu’ils proposent qu’ils ne remettent peut-être pas en question;
- les médias ont des conséquences sociales et politiques : examiner les différentes représentations de genre dans les textes populaires, les comportements qui sont récompensés et ceux qui sont punis, et la façon dont la non-conformité de genre est représentée, s’il y a lieu;
- les médias répondent à des impératifs commerciaux : examiner comment les produits dérivés mènent le bal et la façon dont ils influencent la représentation des genres;
- chaque média présente une forme esthétique unique : examiner comment des stéréotypes plus larges peuvent durer plus longtemps dans des médias qui ont tendance à diffuser des images plus simples ou plus exagérées, comme l’animation, la publicité et les jeux vidéo;
- le public interprète le sens d’un message : explorer comment des personnages comme les princesses de Disney ou Skye dans la Pat’Patrouille peuvent être à la fois des véhicules de stéréotypes sexuels et être destinés à des fins propres aux spectateurs; examiner comment un changement de genre dans la distribution, comme faire du Doctor Who une femme, pourrait simultanément donner aux filles un modèle positif de femme scientifique tout en privant les garçons d’un des rares héros masculins qui résout les problèmes par la curiosité et la compassion; ou examiner les différentes façons dont les hommes et les femmes non blancs sont victimes de stéréotypes et considérés comme exotiques, et comment cette expérience est vécue différemment par les jeunes à l’intérieur et à l’extérieur de ces groupes.
Les parents ont également un rôle essentiel à jouer, en orientant les enfants vers des médias qui présentent un éventail de rôles de genre, en les soutenant lorsqu’ils choisissent des médias qui sortent de la « boîte à genres », et en les accompagnant dans leur visionnement pour qu’ils puissent remettre en question les stéréotypes lorsqu’ils en voient.
Il est important de commencer à le faire tôt, au plus tard à l’âge de trois ans, lorsque les enfants commencent à prendre conscience de leur identité de genre[xxiii], mais de le faire d’une manière qui ne leur donne pas l’impression que vous leur dites qu’ils ont tort d’aimer les médias qu’ils apprécient. Que vous invitiez votre enfant à se demander pourquoi Skye est la seule « fille » de la Pat’Patrouille (et pourquoi elle porte du rose) ou que vous encouragiez votre adolescente à remettre en question la façon dont ses pairs et ses influenceurs préférés sélectionnent et filtrent soigneusement leurs photos, « gardez un ton et un visage neutres, le but étant de créer un climat de confiance et de les amener à reconnaître leurs réactions et à réfléchir de manière critique[xxiv] ».
Insistez sur le fait qu’il est normal d’aimer certains aspects d’un texte, mais pas d’autres, et encouragez-les à « réécrire l’histoire » pour qu’elle leur convienne mieux, soit en jouant ou en créant leurs propres médias. Avec un peu de chance, ils pourront rejoindre une génération de créateurs de médias avisés comme Lauren Faust, scénariste en chef de Mon petit poney, qui a décidé de créer une version qui ne reflète pas l’émission originale, mais plutôt « la façon dont j’ai joué avec mes jouets alors que je donnais des personnalités distinctes à mes poneys et que je les envoyais dans des aventures épiques pour sauver le monde[xxv] ».
[i] Holliday, I. (2016) Transgender in Canada: Canadians say accept, accommodate, and move on. (Rep.) Angus Reid Institute. http://angusreid.org/wp-content/uploads/2016/09/2016.09.06-transgender-issues.pdf
[ii] Depictions, Perceptions and Harm: A report on gender stereotypes in advertising. (Rep.) (2019) Advertising Standards Authority. Pp. 1-64.
[iii] Wohlwend, K.E. (2009) Damsels in Discourse: Girls Producing and Consuming Identity Texts Through Disney Princess Play. Reading Research Quarterly, 44(1), 57-83.
[iv] Yu, Chunyan et al. “Marching to a Different Drummer: A Cross-Cultural Comparison of Young Adolescents Who Challenge Gender Norms.” The Journal of adolescent health : official publication of the Society for Adolescent Medicine vol. 61,4S (2017): S48-S54. doi:10.1016/j.jadohealth.2017.07.005
[v] Wright, M & Wachs, S. Adolescents’ Cyber Victimization: The Influence of Technologies, Gender and Gender Stereotype Traits. Int. J. Environ. Res. Public Health 2020, 17(4), 1293; https://doi.org/10.3390/ijerph17041293
[vi] Undem, Tressa, and Ann Wang. (2018) The State of Gender Equality for U.S Adolescents. Plan USA.
[vii] Breaking Free From Boyhood Stereotypes: Action Steps for Parents & Content Creators. (Rep.) (n.d.) Promundo.
[viii] Bahr, Robyn. “How Animated Film is Indicting Toxic Masculinity.” The Hollywood Reporter, March 1 2019.
[ix] Dickson, Jeremy “What little boys are made of.” Kidscreen, March 28 2018. Retrieved from https://kidscreen.com/2018/03/28/what-little-boys-are-made-of/
[x] Pollitt, Katha. “The Smurfette Principle.” The New York Times, April 7 1991. Retrieved from https://www.nytimes.com/1991/04/07/magazine/hers-the-smurfette-principle.html
[xi] “UN and Smurfette to fight for women’s rights in Atomium.” The Brussels Times, March 3 2020.
[xii] Cooke, R (2019) Sexism in advertising: they talk about diversity but they don’t want to change. The Guardian. Retrieved from https://www.theguardian.com/media/2019/apr/14/sexism-in-advertising-industry-gender-pay-gap-diversity
[xiii] Econsultancy (2017) 17 marketing campaigns with a positive message for women. Retrieved from https://econsultancy.com/17-marketing-campaigns-with-a-positive-message-for-women/
[xiv] Roderick, L (2017) How the portrayal of women in media has changed. Marketing Week. Retrieved from https://www.marketingweek.com/portrayal-women-media/
[xv] Ilyashov, A. (2016) 15 industry experts on the state of the teen magazine in 2016. Refinery29. Retrieved from https://www.refinery29.com/en-us/2016/08/119065/teen-magazines-nostalgia-seventeen-ym#slide-1
[xvi] Schlack, Julie Wittes. Not Your Mother’s Feminism: Teen Vogue and the Next Wave of Activism. WBUR, February 23 2017. Retrieved from https://www.wbur.org/cognoscenti/2017/02/23/teen-vogue-activism-julie-wittes-schlack
[xvii] Roderick, L (2017) How the portrayal of women in media has changed. Marketing Week. Retrieved from https://www.marketingweek.com/portrayal-women-media/ [traduction]
[xviii] Kang, Inkoo. “What Happened After Swedish Theaters Introduced a Bechdel Rating for Its Movies?” IndieWire, February 17 2016
[xix] Mascots Matter: Gender and Race Representation in Consumer Packaged Goods Mascots. (2018) (Rep.) Geena Davis Institute on Gender & Media. Retrieved from https://seejane.org/wp-content/uploads/mascots-matter-full-report.pdf [traduction]
[xx] Kang, Inkoo. “What Happened After Swedish Theaters Introduced a Bechdel Rating for Its Movies?” IndieWire, February 17 2016
[xxi] ‘Tying Pencils to Dinosaurs’: Gender Stereotyping in Initial Teacher Training and Continuing Professional Development. (2020) (Rep.) Let Toys Be Toys. Retrieved from http://lettoysbetoys.org.uk/wp-content/uploads/2020/08/LTBT-ITT-survey-report.pdf
[xxii] Taylor, L. D. (2005). Effects of visual and verbal sexual television content and perceived realism on attitudes and beliefs. The Journal of Sex Research, 42(2), 130-137.
[xxiii] Miller, Claire Cain. “How to Raise a Feminist Son.” The New York Times, June 2 2017. Retrieved from < https://www.nytimes.com/2017/06/02/upshot/how-to-raise-a-feminist-son.html>
[xxiv] Cove, Michelle. “It’s Time for Girls to Make Over Media.” HundrEd, January 22 2020. Retrieved from https://hundred.org/en/articles/it-s-time-for-girls-to-make-over-the-media [traduction]
[xxv] Faust, Lauren. “My Little NON-Homophobic, NON-Racist, NON-Smart-Shaming Pony: A Rebuttal.” Ms., December 24 2010. [traduction]