Comment parvient-on à imposer aux jeunes filles des critères de beauté inatteignables alors que la majorité d’entre elles ne ressemblent en rien aux modèles qu’on leur propose ? Cette situation aurait, aux dires de certains analystes, des racines économiques. En présentant un idéal difficile à atteindre et à maintenir, on assure la croissance et la rentabilité de l’industrie des produits amincissants et des cosmétiques. (On évalue que l’industrie des produits amincissants génère à elle seule 60 milliards de dollars (américains) chaque année en vendant des cures amincissantes sporadiques[1], à la suite desquelles 80 p. cent des personnes reprennent les kilos perdus pendant ce régime) [2]. Les publicitaires savent que, si les filles et les femmes sont insatisfaites de leur apparence, elles sont plus susceptibles d’acheter des produits de beauté, de nouveaux vêtements et des produits de régime – une gigantesque industrie médiatique s’est donc construite en alimentant, tout simplement, cette insatisfaction qui ronge la plupart des femmes. [3]
Ces messages sont si puissants et si répandus au sein de notre société que les filles s’en trouvent affectées bien avant d’être mises en contact avec les publicités et les magazines de mode ou de beauté : on a découvert qu’une fillette de trois ans préfère les pièces d’un jeu illustrant des gens minces plutôt que des gens plus en chair.[4] Les filles sont aussi exposées aux messages de beauté plus facilement par le biais des médias sociaux sur leurs appareils électroniques personnels. Le besoin d’être constamment connecté aux réseaux sociaux permet aux messages sur la nécessité « d’avoir une vie parfaite » et « d’être belles en tout temps » de s’immiscer dans chaque aspect de leur vie[5].
Une surexposition à ces images affecte les filles en les poussant à acheter des produits de beauté et des régimes amincissants, mais les conséquences de cette situation sont plus graves encore. Selon la recherche, quand des filles et des femmes sont constamment exposées à ces images retouchées dans PhotoShop de femmes jeunes, minces et à la peau lisse, elles risquent de développer une dépression, un manque d’estime de soi et une insatisfaction corporelle : une de ces études montre que la moitié des filles âgées de 16 à 21 ans affirment vouloir subir une chirurgie pour améliorer leur apparence [6].
Jean Kilbourne, une militante de l’image des femmes dans les médias, en conclut que « Nous, les femmes, sommes devenues accros à l’idée de consommer des produits amincissants qu’on nous vend dans les publicités des magazines féminins et dans nos émissions préférées – tout ce beau discours nourrit notre angoisse liée au surpoids » [7] . Ce flot de messages sur la minceur, les régimes et la beauté ne cessent de répéter aux jeunes filles « ordinaires » qu’elles ont constamment besoin d’améliorer leur image – et que le corps féminin est un objet imparfait qu’on se doit de parfaire. Dans certains cas, il peut s’agir d’un facteur favorisant le développement de troubles alimentaires chez les filles et d’un obstacle à leur rétablissement. Selon Robbie Campbell (Ph. D.), professeur en psychiatrie à l’Université Western, bien que de multiples facteurs contribuent aux troubles alimentaires, « les médias influencent la seule chose qui semble perpétuer le problème. Ils sont des déclencheurs incessants alors que nous tentons de favoriser le bien-être chez ces jeunes filles[8]. »
Kilbourne est d’avis que cette surabondance d’images médiatiques représentant des corps féminins d’une insoutenable maigreur signifie que les corps de « vraies » jeunes filles sont devenus invisibles dans les médias de masse. Et le plus dramatique, ajoute Kilbourne, c’est qu’un nombre effarant de jeunes filles intériorisent ces stéréotypes et jugent leur apparence en fonction des normes établies par l’industrie de la beauté. Miser essentiellement sur la beauté et le désir finit par « réellement détruire toute forme de conscience ou d’action susceptible de changer les choses, dit-elle »[9].
Les conséquences sont graves et bien réelles; il faut donc aider les jeunes filles à acquérir un esprit critique, mais aussi à comprendre comment se construit une représentation médiatique du corps féminin et pourquoi ces images font la une. Mieux encore, elles doivent acquérir la force de défier ces images médiatiques et exiger une représentation réaliste du corps féminin. Comme les jeunes filles sont exposées à ces messages dès leur plus jeune âge, nous devons entreprendre l’éducation aux médias beaucoup plus tôt, dès la plus tendre enfance.
[1] The U.S. Weight Loss & Diet Control Market. Marketdata, May 2011.
[2] Priya Sumithran, Luke A. Prendergast, Elizabeth Delbridge, Katrina Purcell, Arthur Shulkes, Adamandia Kriketos, Joseph Proietto. Long-Term Persistence of Hormonal Adaptations to Weight Loss. New England Journal of Medicine, 2011; 365 (17): 1597 DOI: 10.1056/NEJMoa1105816
[3] Royal Society for Public Health. (2017, May) Status of mind: Social media and young people’s mental health and wellbeing. Retrieved from https://www.rsph.org.uk/static/uploaded/d125b27c-0b62-41c5-a2c0155a8887cd01.pdf
[4] (Harriger, J.A., Calogero, R.M., Witherington, D.C., & Smith J.E. (2010). Body size stereotyping and internalization of the thin-ideal in preschool-age girls. Sex Roles, 63, 609-620. doi: 10.1007/s11199-010-9868-1)
[5] Girl Guiding UK. Girls Attitude Survey. 2019.
[6] Sherlock, M., & Wagstaff, D. L. (2019). Exploring the relationship between frequency of Instagram use, exposure to idealized images, and psychological well-being in women. Psychology of Popular Media Culture, 8(4), 482–490. https://doi.org/10.1037/ppm0000182
[7] Kilbourne, Jean. Can’t Buy My Love: How Advertising Changes the Way We Think and Feel. Touchstone, 2000.
[8] Gollom, Mark. “Vogue ban of too-thin models a ‘huge’ step.” CBC News, May 4, 2012. <https://www.cbc.ca/news/canada/vogue-ban-of-too-thin-models-a-huge-step-1.1195703>
[9] Kilbourne, 2000.