Couverture médiatique des femmes et de la condition féminine

Plusieurs spécialistes considèrent la rareté des femmes dans les médias préoccupante. Sous-représentées dans les émissions d’information, les femmes sont souvent décrites de manière stéréotypée quand elles sont présentes. Les professionnelles et les sportives sont particulièrement touchées par cette tendance.

Les femmes et les actualités

Malgré une augmentation soutenue du nombre de professionnelles au cours des 20 dernières années, la presse de grande diffusion continue de compter principalement sur les hommes à titre d’experts dans les domaines du commerce, de la politique et de l’économie. Dans la presse, les femmes figurent plus souvent dans des histoires d’accident, de catastrophe naturelle ou de violence familiale que dans des nouvelles nécessitant leur expertise ou leurs aptitudes professionnelles.

La couverture insuffisante des femmes semble être un phénomène mondial. Un rapport publié en 2021 par le Global Media Monitoring Project a révélé que les femmes ne représentent que 36 % des sources citées ou interviewées dans les organes de presse nord-américains[1]. De plus, les femmes ne représentent que 38 % des experts cités dans les reportages et 43 % des journalistes qui rapportent des nouvelles dans le monde entier, des améliorations importantes depuis le dernier rapport du GMMP en 2015, mais tout de même moins de la moitié dans chaque cas. La BBC s’est engagée à changer la donne dans sa couverture de l’actualité grâce à son projet « 50:50 », qui vise à augmenter la représentation des femmes dans les médias. En 4 mois, elle a augmenté le nombre de femmes à l’antenne de 39 à 50 %. Alors que les émissions d’information n’ont que peu de contrôle sur les vedettes de l’actualité figurant dans les actualités, elles peuvent contrôler les « contributeurs, experts et journalistes vers lesquels elles se tournent chaque jour[2] ».

De même, une étude réalisée en 2019 a révélé que 37 % des signatures dans les nouvelles du monde entier étaient des femmes[3], tandis qu’une enquête sur les nouvelles canadiennes indiquait que seulement 29 % des sources citées dans la presse écrite et les nouvelles télévisées sont des femmes : CBC News citait le plus grand nombre de femmes à 36 %, alors que le National Post en citait le moins à 22 %[4]. Ed Yong, journaliste pour The Atlantic, s’est fait un point d’honneur d’interviewer un nombre égal de femmes et d’hommes et a constaté qu’il ne lui fallait qu’une quinzaine de minutes de plus par article pour le faire[5]. Ce faisant, il a recensé un certain nombre de sources visant précisément à mettre en relation des journalistes et des femmes spécialistes dans différents domaines, comme Diverse Sources, Request a Woman in STEMM et Femmes expertes.

Lorsque les femmes apparaissent dans les émissions de nouvelles, elles sont généralement soumises à des normes différentes des hommes. L’étude d’un échantillon de 401 journalistes a permis de constater que « les femmes journalistes sont considérées comme plus attirantes et présentent moins de signes de vieillissement » que les hommes, alors que « les cheveux gris, la calvitie, les rides et le surpoids sont plus fréquents chez les hommes que les femmes ». Les femmes hispaniques et noires étaient également censées se conformer aux normes de beauté des personnes blanches, notamment avoir les cheveux raides, une seule journaliste noire portant des boucles naturelles[6].

La question du traitement des femmes dans les médias a été mise en lumière par le congédiement très médiatisé de Lisa Laflamme, présentatrice chevronnée de CTV News, en 2022, apparemment parce qu’un cadre supérieur avait remis en question la décision de la présentatrice de laisser pousser ses cheveux gris pendant la pandémie[7]. On a également souligné que deux présentateurs masculins chevronnés avaient pris leur retraite avant Lisa Laflamme à 69 et 77 ans alors qu’elle avait été poussée à quitter CTV à 58 ans[8].

Couverture des femmes en politique

Les femmes en politique sont également mises à l’écart. Une enquête menée en 2019 auprès de députées féminines a révélé que 86 % d’entre elles avaient été traitées différemment en tant que femmes en politique[9]. Rachel Blaney, députée de North‑Island-Powell River, en Colombie-Britannique, a déclaré que « pendant la campagne de 2015, plusieurs m’ont demandé si j’étais "assez forte" pour faire le travail. Lorsque j’ai demandé des éclaircissements, personne n’a pu me dire ce que signifiaient ces paroles. J’ai demandé à de nombreux hommes si cette question leur avait été posée et la réponse était toujours négative[10]. »

« Les femmes dans notre société sont censées être agréables, gentilles et quelque peu déférentes. Ainsi, une femme qui semble décisive et dure peut aussi être perçue comme étant "méchante" ou "agitée", pour avoir apparemment violé les stéréotypes féminins d’"amabilité"[11]. »

Les critiques des médias à l’égard des femmes en politique sont souvent fondées non pas sur leurs positions ou réalisations, mais sur la mesure dans laquelle elles correspondent aux rôles attendus des hommes et des femmes, et ce que les femmes portent est souvent plus important que ce qu’elles disent. Shavonnia Corbin-Johnson, candidate au Congrès américain en 2018, a déclaré que les femmes suivent un code vestimentaire strict en politique parce qu’elles veulent que les gens se concentrent sur elles et ce qu’elles disent, pas sur ce qu’elles portent.[12]

Peter Glick, professeur de sociologie à l’Université Lawrence, souligne que « se concentrer sur ce que les femmes portent est une façon de rétablir une hiérarchie des sexes et de diminuer les capacités des femmes ». Les femmes noires doivent souvent prendre des mesures supplémentaires pour se conformer à l’image stéréotypée de la femme politique puisqu’elles subissent davantage de pression pour « garder leurs cheveux d’une certaine façon ». Maxine Waters, membre éminent de la Chambre des représentants des États-Unis, a déclaré qu’elle doit se faire défriser les cheveux pour être « prise au sérieux au Congrès et dans les médias[13] ».

Ces représentations sexospécifiques des femmes en politique commencent tôt : une étude de la publication scolaire TIME for Kids a révélé que malgré la présence de nombreuses leaders féminines mondiales dans ses pages, les représentations des femmes portaient presque toujours sur le fait qu’elles étaient la première femme à un poste particulier, plutôt que sur leurs réalisations réelles, ou les décrivaient comme ayant des traits féminins stéréotypés[14].

Femmes et sports

Les athlètes féminines sont également mal représentées dans les médias : 96 % des actualités sportives à la télévision et sur ESPN, le site Web sportif le mieux classé au monde[15], sont consacrées aux sports chez les hommes. Même si 40 % des matchs disputés le sont dans les sports féminins, ils ne reçoivent que 4 % de la couverture médiatique[16].

Les commentateurs sportifs (des hommes à 97 %) n’utilisent pas le même langage quand ils parlent des hommes et des femmes. Selon une étude menée par Margaret Carlisle Duncan, professeure à l’Université du Wisconsin, les hommes sont généralement décrits comme « grands », « forts », « brillants », « courageux », « agressifs », alors que les femmes seraient souvent « lasses », « fatiguées », « frustrées », « affolées », « vulnérables » ou « à bout de souffle ».[17] Bien que le sexisme ouvert soit moins courant qu’autrefois, le langage des commentateurs qui parlent du sport féminin est « dilué et indifférent » et comporte moins « de vigueur et d’enthousiasme que lorsqu’ils couvrent des athlètes masculins ». Les commentateurs mentionneront souvent le rôle de parent ou de partenaire romantique des femmes avant de parler de leurs nouvelles ou capacités athlétiques, ce qui n’arrive presque jamais lorsqu’ils parlent des hommes[18]. Ils sont également deux fois plus susceptibles d’appeler les hommes par leur nom de famille uniquement et trois fois plus susceptibles d’appeler les femmes par leur prénom uniquement, « réduisant les athlètes féminines au rôle d’enfants tout en donnant un statut d’adulte aux athlètes masculins blancs[19] ».

Le prix Déméritas (prix Brickbat) pour les reportages sexistes a été décerné par la Gazette des femmes du Québec aux journalistes qui ont couvert la coupe internationale de tennis féminin 2000. La Gazette des femmes a notamment relevé le vif intérêt des journalistes pour les poses des athlètes qui pouvaient être considérées comme suggestives, ainsi que l’attention excessive accordée à Anna Kournikova, pour sa beauté plutôt que pour son jeu[20]. Ce fut à nouveau le cas en 2015 lors du tournoi de tennis de l’Open d’Australie pour la star canadienne et finaliste Eugénie Bouchard à qui un journaliste masculin a demandé de tournoyer et de lui parler de sa tenue. Les commentateurs ont qualifié les joueuses de « filles », faisant ainsi paraître les femmes comme insignifiantes et enfantines par rapport aux hommes[21].

Les images dans les médias des femmes dans le sport sont également très différentes des images familières des athlètes masculins en action. Les médias sportifs évitent généralement de présenter les athlètes féminines comme étant agressives, compétitives ou dominantes, les présentant plutôt dans des poses « hypersexualisées »[22]. La Women’s Sports Foundation, fondée par la joueuse étoile Billie Jean King, a déclaré que les femmes dans les médias sportifs « sont représentées dans des poses sexuellement provocantes ou non sportives plutôt que de bouger ou poser comme de véritables athlètes talentueuses[23] ».


[1] Global media monitoring project (2022). Who makes the news? Retrieved from https://whomakesthenews.org/wp-content/uploads/2022/08/GMMP-2020-North-America-region.pdf 

[2] Bohnet, I et al (2019) Tackling the underrepresentation of women in media. Harvard Business Review. Retrieved from https://hbr.org/2019/06/tackling-the-underrepresentation-of-women-in-media [traduction]

[3] Deutsh, Gabby. In the Year of the Woman, Many Were Missing From International Reporting. The Atlantic, February 11 2019.

[4] Informed Opinions. (2023) Gender Gap Tracker for May 21 2023 to May 28 2023. https://gendergaptracker.informedopinions.org/

[5] Yong, Ed. “I Spent Two Years Trying to Fix the Gender Imbalance in My Stories.” The Atlantic, February 2018. Retrieved from https://www.theatlantic.com/science/archive/2018/02/i-spent-two-years-trying-to-fix-the-gender-imbalance-in-my-stories/552404

[6] Angela, M et al (2018). Female television journalists have stricter norms for appearance. Retrieved from http://journalismresearchnews.org/article-female-television-journalists-have-stricter-norms-for-appearance/

[7] Doolittle, R (2022). Lisa Laflamme ‘going grey’ questioned by CTV executive, says senior company official. Globe and Mail. Retrieved from: https://www.theglobeandmail.com/canada/article-lisa-laflamme-ctv-grey-hair/

[8] Yuhas, A (2022). ‘Not My Choice.’ A TV Anchor Is Ousted, and Viewers Ask: Was Sexism to Blame? The New York Times. Retrieved from: https://www.nytimes.com/2022/08/30/world/canada/lisa-laflamme-ctv-departure.html

[9] Chatelaine (2019) What it’s really like to be a woman in Canadian politics. Retrieved from https://www.chatelaine.com/living/politics/woman-in-canadian-politics-2019/

[10] Chatelaine (2019) A whopping 86% of female MPs have experienced sexism in politics. Retrieved from https://www.chatelaine.com/living/politics/female-mp-sexism-canada/ [traduction]

[11] Bajak, A et al (2020) Women on the 2020 campaign trail are being treated more negatively by the media. StoryBench. Retrieved from http://www.storybench.org/women-on-the-2020-campaign-trail-are-being-treated-more-negatively-by-the-media/

[12] Puniewska, M (2018). Inside the strict unspoken dress code for women political candidates. Racked. Retrieved from https://www.racked.com/2018/6/4/17417386/political-candidates-women-female-dress-code

[13] Puniewska, M (2018). Inside the strict unspoken dress code for women political candidates. Racked. Retrieved from https://www.racked.com/2018/6/4/17417386/political-candidates-women-female-dress-code [traduction]

[14] Lay, J. Celeste, Holman, Mirya R., Bos, Angela L., Greenlee, Jill S., Oxley, Zoe M., and Buffett, Allison. 2019. “TIME for Kids to Learn Gender Stereotypes: Analysis of Gender and Political Leadership in a Common Social Studies Resource for Children.” Politics & Gender . Available at https://doi.org/10.1017/S1743923X19000540.

[15] Women’s sports foundation (2010). Women play sports but on TV. Retrieved from https://www.womenssportsfoundation.org/articles_and_report/women-play-sports-not-tv/

[16] Mackenzie, M. (2019) Female Athletes Receive Only 4% of Sports Media Coverage—Adidas Wants to Change That. Glamour. Retrieved from https://www.glamour.com/story/female-athletes-receive-only-4-of-sports-media-coverage-adidas-wants-to-change-that

[17] Duncan, Margaret Carlisle and Michael A. Mesner. Gender in Televised Sports: News and Highlights Shows, 1989-2004. Amateur Athletic Foundation of Los Angeles, July 2005.

[18] Krasovitski, M (2019). Sexism in sports media coverage. The Varsity. Retrieved from https://thevarsity.ca/2019/01/27/sexism-in-sports-media-coverage/

[19] Duncan, Margaret Carlisle and Michael A. Mesner. Gender in Televised Sports: News and Highlights Shows, 1989-2004. Amateur Athletic Foundation of Los Angeles, July 2005. [traduction]

[20] Holste, Glenda Crank. Women Athletes Often Debased by Media Images. Women’s eNews, October 17 2000.

[21] Lindzon, J. (2016). The results are in: Sports reporting is as sexist as you’ve always expected. Fast Company. Retrieved from https://www.fastcompany.com/3062793/the-results-are-in-sports-reporting-is-as-sexist-as-youve-always-suspected

[22] Holste, Glenda Crank. Women Athletes Often Debased by Media Images. Women’s eNews, October 17 2000.

[23] Women’s Sports Foundation (2016) Media – Images and words in women’s sport. Retrieved from https://www.womenssportsfoundation.org/wp-content/uploads/2016/08/media-images-and-words-in-womens-sports-the-foundation-position.pdf [traduction]