Représentations courantes des personnes handicapées

« Ils sont tous pareils »

Les stéréotypes se fondent en partie sur l’idée reçue que les membres d’un groupe distinct se ressemblent tous ou peuvent être classés dans un nombre restreint de catégories. Ceci est d’autant plus vrai pour les quelques cas de personnes handicapées représentées dans les médias. Comme le rapporte le mémoire de l’ACR, « les personnes handicapées font l’objet de pitié et sont représentées avec les mêmes attributs et caractéristiques, quel que soit leur handicap ». De même, le site web Media & Disability (voyez aussi un site semblable français : Médias Handicaps), organisme promouvant une plus grande représentation des personnes handicapées, souligne que « les personnes handicapées, lorsqu’elles sont à tout le moins représentées, continuent trop souvent de l’être de manière soit remarquable et héroïque ou encore posées en victimes ».

Non seulement les personnes handicapées sont-elles stéréotypées, mais la représentation qui en est faite dans les médias ne reflète en rien la diversité des handicaps. Dans son article intitulé Disability in media, Lynne Roper du Stirling Media Research Institute note que « les fauteuils roulants tendent à être prédominants… puisqu’ils sont l’icône du handicap. La plupart des acteurs jouant le rôle d’un handicapé ne le sont toutefois pas. Le fauteuil roulant permet donc de mettre en évidence le handicap du personnage, tout en lui maintenant une allure « normale » ; ce faisant, le public a moins de difficultés à s’y identifier ».

La victime

Fort probablement le stéréotype le plus courant, la personne handicapée posée en victime est l’objet de commisération ou d’apitoiements. Jenny Morris, dans son article A Feminist Perspective tiré de la série Framed: Interrogating Disability in the Media, décrit ces images du handicap dans les médias comment étant « …une métaphore… provenant de l’auteur non handicapé qui désire passer un message, de la même façon qu’est utilisée la « beauté ». De cette manière, l’auteur se sert des préjugés, de l’ignorance et de la peur qui existent généralement envers les personnes handicapées, conscient que la représentation d’un personnage bossu, amputé, défiguré évoquera certains sentiments chez le lecteur ou le spectateur. » Quasimodo du Notre-Dame de Paris de Victor Hugo ou Jacques Vauthier dans La brute de Guy Des Cars sont des exemples de personnages dont le handicap est utilisé par l’auteur pour provoquer un sentiment de compassion chez le public.

Le stéréotype de la victime peut également servir à des desseins comiques, utilisant ainsi le handicap (telle la cécité de Mister Magoo ou la déficience intellectuelle de Forrest Gump) pour placer le personnage dans des situations loufoques.

Le héros

Le contraire du stéréotype de la victime est le héros, soit un personnage courageux capable de surmonter son handicap. Mme Roper nomme ce stéréotype le « superinfirme » : « Les superinfirmes sont des personnes qui tentent de se conformer au modèle « normal » en surmontant leur handicap d’une façon héroïque… un exemple de superinfirme est l’écrivain irlandais Christy Brown qui décrivait son livre My Left Foot comme sa « courageuse petite histoire d’handicapé ». » Au sommet de cette catégorie se retrouvent des superhéros handicapés tels qu’Oracle (une héroïne en fauteuil roulant qui utilise ses compétences informatiques pour combattre le crime), Silhouette (qui utilise les arts martiaux pour combattre les méchants malgré sa paralysie partielle) et le plus célèbre, Daredevil (dont la cécité a amplifié ses autres sens à des niveaux surhumains). Ce stéréotype se retrouve souvent dans les jeux vidéo où, dans les rares cas où une personne handicapée y est représentée, le personnage possède presque toujours des pouvoirs surhumains, tels les surnaturels combattants aveugles de Soulcalibur ou de Mortal Kombat.

Bien qu’au premier coup d’œil ceci semble être un meilleur stéréotype que celui de la victime, un stéréotype positif demeure quand même un stéréotype. Mme Roper souligne par ailleurs certains problèmes émanant de cette vision des personnes handicapées :

  • On met l’accent sur l’individu qui « réussit » à surmonter son handicap plutôt que sur nombre d’autres qui doivent vivre avec le leur.
  • On présente le handicap comme un défi que le personnage doit surmonter afin d’être « normal ».
  • On permet au public d’être plus à l’aise avec la condition des personnes handicapées sans avoir à les aider, renforçant ainsi la notion selon laquelle les handicaps peuvent être surmontés à la condition que la personne le « veuille vraiment ».
  • Les rôles de héros sont pratiquement toujours tenus par des acteurs non handicapés, présentant ainsi une fausse image du handicap (comparez Daniel Day Lewis dans My Left Foot au vrai Christy Brown).

Le méchant

Le troisième stéréotype le plus couramment véhiculé est celui du méchant. Depuis la nuit des temps, les déficiences physiques sont utilisées pour imager le mal ou la turpitude, tels les pirates dépouillés d’une jambe, d’un œil ou d’une main. Plus récemment, les mauvais penchants de certains personnages ont été présentés comme étant le résultat de leur ressentiment envers leur handicap. Par exemple, dans la série télévisée Plus belle la vie, Niels Cerulli est un homme dans la trentaine qui est devenu paraplégique lors d’un accident avec délit de fuite. Lorsqu’il découvre que l’accident a été causé par Sébastien Sangha, il l’enlève et le séquestre pendant deux jours. Comme le dit si bien Mme Roper, « les images de personnes handicapées véhiculées par la culture populaire perpétuent de façon négative les stéréotypes et assouvissent les tendances voyeuristes du public non handicapé ».

La maladie mentale est souvent représentée comme la motivation du malfrat ; le site Media and Disability souligne par ailleurs que « certains handicaps font l’objet d’une représentation particulièrement faible. La maladie mentale est trop fréquemment (et de façon disproportionnée) liée aux crimes violents dans les médias, même s’il n’existe aucune preuve pour soutenir cette représentation trompeuse. » Des exemples récents sont les personnages dans les films Le chevalier noir (Joker) ou Haute tension (Marie) comme schizophrènes. Non seulement la maladie mentale n’est-elle pas liée à la violence, mais, comme le soulignent Lawrence Kutner et Cheryl Olson dans Grand Theft Childhood: the Surprising Truth about Violent Video Games, « il est plus probable que les gens souffrant d’une maladie mentale soient victimes de violences qu’ils n’en soient les auteurs ». Le Dr Peter Byrne, psychiatre au Newham University Hospital de Londres et expert en matière de représentation de la maladie mentale dans les films, dit que « les stéréotypes reliés à la santé mentale n’ont pas changé en 100 ans au cinéma ». Ces stéréotypes ne sont d’ailleurs pas exclusifs aux films dramatiques, « les comédies étant peut-être encore plus cruelles ».