Décoder les actualités
Pour les informations, plus que tout autre type de source, il est important de suivre les deux étapes du processus de tri de l’information : la lecture d’accompagnement d’abord, pour déterminer si une source vaut la peine que nous nous y intéressions, et la lecture attentive ensuite, pour s’assurer que nous avons bien compris toute l’histoire.
Une fois que vous avez utilisé les conseils de lecture d’accompagnement FAUX que ça cesse de HabiloMédias pour vous assurer qu’une source est fondamentalement fiable, voici quelques étapes de lecture attentive que vous pouvez suivre pour lire entre les lignes de l’information.
- Se demander s’il s’agit d’une nouvelle ou d’une opinion. Comme mentionné précédemment, il peut parfois être difficile de faire la différence, et les nouvelles combinent parfois les deux. Bien que les actualités fiables puissent parfois inclure une analyse (l’interprétation du journaliste quant à ce que signifient les faits), elles devraient toujours contenir principalement des faits vérifiables, en fournissant préférablement les sources, afin que vous puissiez les vérifier vous‑mêmes.
- Apprendre comment les nouvelles sont produites.Les recherches ont démontré que plus les gens comprennent comment l’industrie de l’information fonctionne, plus ils sont en mesure de déceler les fausses nouvelles et de tenir compte des partis pris.
Voici quelques-uns des termes journalistiques que vous devriez apprendre à connaître.
- Sources anonymes : Ces sources ne sont pas anonymes pour le journaliste ou le rédacteur en chef : ce sont des sources dont le rédacteur en chef a accepté de protéger l’identité puisqu’il serait dangereux pour elles de s’exprimer publiquement. Certaines informations seront généralement données sur les raisons pour lesquelles la source est fiable (p. ex. l’endroit où elle travaille ou le lien qu’elle entretient avec l’article).
- Les rédacteurs en chef n’acceptent généralement d’utiliser des sources anonymes que si ce qu’elles disent peut être corroboré par au moins une autre source.
- Contexte : Comme une source anonyme, sauf qu’aucune information d’identification n’est donnée. Une source utilisée pour donner du contexte ne peut généralement pas être citée directement.
- Officieuse : Source dont les informations ne peuvent pas être utilisées pour la publication.
- Officielle : Source qui peut être identifiée et citée directement[1].
Pour connaître votre degré de compréhension des nouvelles, répondez à notre questionnaire sur les médias d’information.
Le cadrage est important. Bien que la plupart des organes de presse légitimes ne soient pas biaisés au sens politique du terme, chaque article est influencé par les attitudes, les hypothèses et les antécédents de ses journalistes, auteurs, photographes et rédacteurs en chef. Tous ces éléments influencent la manière dont un article est cadré : le même article, contenant les mêmes faits de base, peut être cadré de manière totalement différente, en fonction des informations incluses ou omises, soulignées ou minimisées, et de la manière dont les choses sont décrites. Un titre indiquant que les décès de policiers ont augmenté de 55 % en 2021, par exemple, sera probablement interprété très différemment s’il omet de dire que la majeure partie de cette hausse est attribuable à des maladies liées à la COVID-19[2].
La manière dont une question est formulée nous permet de décider rapidement de la façon de l’aborder : les lecteurs ont réagi très différemment à un article sur une marche organisée par un groupe haineux lorsqu’il s’agissait d’une question de liberté d’expression plutôt que d’une question d’ordre public[3]. Les changements dans la manière dont une question est formulée peuvent affecter la façon dont la société l’aborde : par exemple, de faire du tabagisme une question de santé publique plutôt qu’individuelle a complètement modifié la façon dont notre société traite de la question. Le cadrage peut également être utilisé pour provoquer nos émotions ou faire appel à nos valeurs, comme en présentant une mesure de santé publique comme étant une atteinte à la liberté[4].
Par exemple, une étude comparant la couverture des personnes transgenres par le Washington Post et le New York Times a révélé que le Post publiait plus d’articles sur le sujet et était plus susceptible de les mettre en première page, mais qu’il s’agissait plus souvent d’articles d’actualité au sujet des personnes transgenres et qu’ils citaient des personnes transgenres, tandis que le Times était plus susceptible de publier des articles présentant les enjeux transgenres comme étant controversés et dans lesquels aucune personne transgenre n’était citée[5].
La même histoire, contenant les mêmes faits de base, peut être cadrée de manière totalement différente. Par exemple, à la suite d’un ouragan, un titre indiquait que l’électricité avait été rétablie dans 90 % de la Louisiane, tandis qu’un autre indiquait que 10 % de l’État était encore privé d’électricité. Les deux titres et les deux histoires sont exacts : qu’ils soient considérés comme une bonne ou une mauvaise nouvelle dépend de la manière dont chaque média la présente.
Plus nous voyons de reportages sur la criminalité, par exemple, ou plus nous voyons d’articles d’opinion qui présentent les problèmes comme des conflits qui opposent « nous » à « eux », plus nous sommes susceptibles de voir des articles qui n’utilisent pas explicitement ces cadres de cette manière. Le cadrage peut influencer notre capacité d’assimiler de nouvelles informations ou de modifier nos convictions en réponse à celles-ci : nous sommes beaucoup plus susceptibles d’écarter les informations qui ne correspondent pas à notre cadrage actuel. Nous sommes également moins susceptibles de voir des choses qui ne correspondent pas du tout à nos cadres culturels plus larges puisqu’elles sont moins susceptibles d’être considérées comme dignes d’intérêt « non pas parce que des éléments sont précisément supprimés, mais parce que beaucoup d’éléments ne vont pas dans le sens de la culture[6] ».
Certains choix de cadrage peuvent être le résultat de normes et de valeurs journalistiques comme l’objectivité. L’utilisation de la voix passive et l’omission du sujet d’une phrase (comme un titre indiquant « Dix morts dans une explosion ») peuvent indiquer que la personne responsable ou la cause de l’explosion n’est pas encore connue[7]. Toutefois, il est prouvé que les titres sont plus susceptibles d’être rédigés de cette manière lorsque l’histoire concerne des violences commises par la police[8].
L’endroit et le moment de la parution d’un article jouent un rôle important dans le cadrage. Les lecteurs de journaux considèrent que les articles de la première page sont plus importants que ceux qui sont enterrés à la toute fin. Les journaux télévisés et radiophoniques présentent les sujets les plus importants en premier et les autres plus loin dans le bulletin. Les actualités en ligne placent les articles les plus importants sur la page d’accueil, et les gens ont tendance à croire que les nouvelles qui nous parviennent par le biais de nos médias sociaux sont forcément importantes. Le parti pris par placement peut également être présent lorsqu’un article est placé près d’un autre article. En plaçant une nouvelle près d’un article d’opinion sur le même sujet ou d’une caricature politique sur le sujet de l’article, notre façon de la lire s’en trouve influencée.
La façon dont l’article est structuré est également importante. La plupart des articles suivent une structure de « pyramide inversée » : les faits considérés comme les plus intéressants sont publiés en premier, suivis des détails importants liés à ces faits, et d’autres renseignements de base situent ensuite le contexte. La dernière partie de l’article renferme les informations que les lecteurs sont les moins susceptibles de lire et que les rédacteurs en chef sont les plus susceptibles de supprimer.
Le choix des mots pour décrire une action influence ce que nous en pensons : comparez « La police confisque une collection d’armes », « La police saisis une collection d’armes » et « La police s’empare d’une collection d’armes ». Un incident était-il un « décès », un « meurtre » ou un « assassinat »? Un politicien a-t-il « déclaré », « affirmé » ou « allégué » un propos? De même, la façon de décrire une personne ou un groupe affecte la manière dont nous le percevons. Un candidat est-il un politicien d’expérience, un politicien de longue date ou un vieux politicien? (C’est pourquoi les sources d’information responsables évitent d’utiliser des mots fortement infléchis comme « terroriste », sauf lorsqu’elles citent directement des sources[9].) Dans les cas extrêmes, le choix des mots peut essentiellement transformer un article d’actualité en un article d’opinion. Par exemple, cet article paru dans l’Ottawa Sun, considéré comme un article d’actualité, ne laisse aucun doute sur ce que nous devons penser de son sujet :
« Encouragée par sa mère, Bailey Lashells, la petite Fiona refuse de se conformer au port obligatoire du masque et part en croisade pour reprendre non seulement ses droits, mais aussi les droits constitutionnels de chaque enfant américain des mains du tyran qu’est le conseil scolaire, a dit fièrement sa mère[10]. »
- Soyez attentif aux sujets (et aux personnes) qui font la une des journaux, et à ce qui n’en fait pas partie. Dans un article donné, certains détails peuvent être ignorés, et d’autres inclus, pour donner aux lecteurs ou aux téléspectateurs une opinion différente sur les événements rapportés. Par exemple, dans ce titre, l’éléphant et le lieu où l’événement s’est produit sont nommés, mais l’homme que l’éléphant a chatouillé n’est qu’un « journaliste kenyan » (il s’appelle Alvin Kaunda).
Le parti pris le plus important est toujours celui de ce que les journalistes considèrent comme « digne d’intérêt » : essentiellement, ce sont les événements récents, inhabituels et considérés comme importants par le public. Mais ce qui est considéré comme digne d’intérêt est lui-même une sorte de cadrage : les articles portant sur un événement unique sont également plus susceptibles d’être considérés comme dignes d’intérêt que ceux portant sur un événement en cours, et ceux portant sur des personnes en particulier sont davantage dignes d’intérêt que ceux portant sur des groupes ou des systèmes. Des recherches ont également montré que les gens sont plus susceptibles de penser qu’une question est importante s’ils l’ont déjà vue dans les médias, réduisant la liste des sujets « dignes d’intérêt » au fil du temps.
[1] (n.d.) Telling the Story. Associated Press. < https://www.ap.org/about/news-values-and-principles/telling-the-story/>
[2] Mastrine, J. (2022) Media Bias Alert: Fox News, NPR Frame Same Story Differently. AllSides.
[3] Nelson, T. E., Clawson, R. A., & Oxley, Z. M. (1997). Media framing of a civil liberties conflict and its effect on tolerance. American Political Science Review, 91(3), 567-583.
[4] Scheibenzuber, C., Neagu, L. M., Ruseti, S., Artmann, B., Bartsch, C., Kubik, M., ... & Nistor, N. (2023). Dialog in the echo chamber: Fake news framing predicts emotion, argumentation and dialogic social knowledge building in subsequent online discussions. Computers in Human Behavior, 140, 107587.
[5] Hollar, J. (2023) NYT’s Anti-Trans Bias—by the Numbers. Fairness & Accuracy in Reporting.
[6] Klein, E. (2020). Why we're polarized. Simon and Schuster.
[7] Matuskura, N. (2005) On Passives Occurring in Newspaper Headlines.
[8] Moreno-Medina, J., Ouss, A., Bayer, P., & Ba, B. A. (2022). Officer-involved: The media language of police killings (No. w30209). National Bureau of Economic Research.
[9] Martin, S. (2023) Understanding the guidance behind the Globe’s coverage of the Israel-Hamas war. The Globe and Mail.
[10] Wilford, D. (2021) Florida girl, 7, suspended for 36th time for not wearing mask to school. The Ottawa Sun.