Le rôle des médias dans la définition de la masculinité
Dans le documentaire Tough Guise 2: Violence, Manhood and American Culture, Jackson Katz soutient que l’« épidémie » de violence masculine provient de l’incapacité des médias de s’éloigner des versions stéréotypées de ce que signifie être un homme. Il affirme aussi que les jeunes hommes et les garçons reçoivent des messages constants, subliminaux ou manifestes, de sources médiatiques comme la télévision, les jeux vidéo et les films, qui renforcent les modes de pensée violents, sexistes et homophobes[i].
Le rapport If He Can See It, Will He Be It? publié en 2020 analysait les programmes télévisés destinés aux garçons, constatant que les personnages masculins étaient :
- moins susceptibles de montrer des émotions que les personnages féminins, y compris les stéréotypes féminins comme l’empathie, les stéréotypes masculins comme la colère, et même le bonheur;
- plus susceptibles d’être montrées en train de prendre des risques;
- plus susceptibles de ne pas avoir de parents à l’écran;
- plus susceptibles d’être à la fois auteurs et victimes de violence.
L’étude a également montré que :
- les personnages LGBTQ étaient sous-représentés dans les émissions de télévision visant les garçons par rapport à la population américaine ou canadienne;
- les personnages ayant une incapacité étaient sous-représentés par un facteur de plus de 10;
- les personnages masculins non blancs étaient encore moins susceptibles de montrer des émotions que les personnages blancs[ii].
Les stéréotypes commencent tôt et peuvent durer toute une vie : selon la Dre Rebecca Martin, chef intérimaire du département de psychologie de l’Université d’État du Dakota du Sud, les enfants développent des stéréotypes dès l’âge de 2 ans. À 3 ou 4 ans, ils en ont déjà beaucoup et commencent à les exprimer[iii]. Dans l’article de 2008 « Media and the make-believe worlds of boys and girls », Maya Götz et Dafna Lemish notent que, alors que les filles ont tendance à intégrer le contenu médiatique à leur monde imaginaire en « en écartant une partie, en s’en appropriant une autre, et en s’en dissociant », les garçons eux tendent à intégrer les médias tels quels à leur imaginaire: « Ils prennent l’histoire, l’assimilent, et la mènent plus loin : les garçons (…) se créent un monde imaginaire où ils prennent la place de leurs héros et développent une histoire similaire à celle du média original. » [iv]
« Les médias renforcent l’idée que les traits et comportements masculins sont plus valorisés que les traits et comportements féminins, et les garçons qui consomment ces messages médiatiques sont plus susceptibles d’afficher des comportements et des croyances masculins[v]. »
Les habitudes des enfants en matière de médias ont un effet manifeste sur leur perception du genre : les enfants de 4 ans qui regardent davantage la télévision sont plus susceptibles de dire que les garçons sont meilleurs que les filles[vi]. Les garçons qui se sentent fortement définis par des stéréotypes masculins sont sept fois plus susceptibles d’être plus violents et six fois plus susceptibles de harceler sexuellement une personne que ceux qui ne le sont pas[vii]. Les garçons sont aussi marqués par ces stéréotypes, ceux qui adhèrent aux stéréotypes masculins étant deux fois plus susceptibles d’avoir eu des pensées suicidaires[viii], deux fois moins susceptibles de recevoir des soins de santé préventifs[ix], et nettement plus susceptibles d’adopter des comportements à risque comme fumer ou consommer beaucoup d’alcool[x]. De même, une enquête menée auprès de plus d’un millier de garçons âgés de 10 à 19 ans a révélé qu’un tiers d’entre eux estiment que la société attend d’eux qu’ils cachent ou répriment leurs sentiments et près de la moitié estiment que la société attend d’eux qu’ils soient agressifs ou violents lorsqu’ils sont en colère[xi].
Alors que bon nombre des problèmes liés à la représentation des genres sont les mêmes pour les filles et les garçons, les impacts peuvent être différents. Comme l’a dit l’auteure et chercheuse Peggy Orenstein, « les filles sont coupées de leur corps et ne comprennent pas la réaction de leur corps, leurs besoins, leurs limites et leurs désirs, un problème central chez elles. Chez les garçons, ils sont plutôt coupés de leur cœur[xii]. »
[i] Katz,J & Earp, J (2013). Tough Guise 2: Violence, Manhood and American Culture (study guide). Media Education Foundation.
[ii] If He Can See It, Will He Be It? Representations of Masculinity in Boys' Television (Rep.). (2020). Geena Davis Institute on Gender in Media.
[iii] Campbell, O. (2017) Why Gender Stereotypes in Kids’ shows are a REALLY big deal. Refinery29. Consulté sur le site : https://www.refinery29.com/en-us/kids-shows-gender-roles-stereotypes
[iv] Götz, Maya et Dafna Lemish. Media and the make-believe worlds of boys and girls. Televizion, No. 1, 2008.
[v] Common Sense Media (2017) Watching Gender: How stereotypes in Movies and on TV Impact Kids’ Development. Consulté sur le site : https://www.commonsensemedia.org/sites/default/files/uploads/pdfs/2017_commonsense_watchinggender_executivesummary_0620_1.pdf [traduction]
[vi] Halim ML, Ruble DN, Tamis-LeMonda CS. Four-year-olds' beliefs about how others regard males and females. Br J Dev Psychol. 2013;31(Pt 1):128-135. doi:10.1111/j.2044-835X.2012.02084.
[vii] Heilman, B., Guerrero-López, C. M., Ragonese, C., Kelberg, M., and Barker, G. (2019). The Cost of the Man Box: A study on the economic impacts of harmful masculine stereotypes in the US, UK, and Mexico - Executive Summary. Washington, DC, and London: Promundo-US and Unilever.
[viii] Heilman, B., Guerrero-López, C. M., Ragonese, C., Kelberg, M., et Barker, G. (2019). The Cost of the Man Box: A study on the economic impacts of harmful masculine stereotypes in the US, UK, and Mexico - Executive Summary. Washington, DC, and London: Promundo-US and Unilever.
[ix] Springer, Kristen W, et Dawne M Mouzon. “"Macho men" and preventive health care: implications for older men in different social classes.” Journal of health and social behavior vol. 52,2 (2011): 212-27. doi:10.1177/0022146510393972
[x] Mahalik, James R et al. “Masculinity and perceived normative health behaviors as predictors of men's health behaviors.” Social science & medicine (1982) vol. 64,11 (2007): 2201-9. doi:10.1016/j.socscimed.2007.02.035
[xi] 10 Research-Based Insights to Evolve On-Screen Male Representation. (n.d.) Center for Scholars & Storytellers.
[xii] Gross, Terry. “‘Boys & Sex’ Reveals That Young Men Feel ‘Cut Off From Their Hearts.’” NPR, 7 janvier 2020. Consulté sur le site : < https://www.npr.org/sections/health-shots/2020/01/07/794182826/boys-sex-reveals-that-young-men-feel-cut-off-from-their-hearts> [traduction]