Le rôle des médias dans la définition de la masculinité

« Lorsque je m’adresse à un public d’adultes, je commence généralement par leur demander s’ils ont déjà dit à leur fille qu’elle peut faire tout ce qu’un garçon peut faire. La plupart des gens lèvent fièrement la main. Lorsque je leur demande s’ils ont déjà dit à leur fils qu’il peut faire tout ce qu’une fille peut faire, la salle devient silencieuse et toutes les mains se baissent. » [traduction] – Liz Plank, For the Love of Men

La famille, les amis, l’école et la communauté jouent tous un rôle dans la manière dont les garçons perçoivent la masculinité. Les grands médias aident aussi à définir ce que doit être un « vrai » homme dans notre société. L’image renvoyée par les médias implique généralement que le contrôle de soi et des autres, l’esprit de compétition, la violence, l’indépendance financière et la désirabilité physique sont autant de qualités gagnantes quand on est un homme : « Pour les garçons, la violence et la dominance s’inscrivent dans les normes de la masculinité[1]. »

Le rapport If He Can See It, Will He Be It? publié en 2020 analysait les programmes télévisés destinés aux garçons, constatant que les personnages masculins étaient :

  • moins susceptibles de montrer des émotions que les personnages féminins, y compris les stéréotypes féminins comme l’empathie, les stéréotypes masculins comme la colère, et même le bonheur;
  • plus susceptibles d’être montrées en train de prendre des risques;
  • plus susceptibles de ne pas avoir de parents à l’écran;
  • plus susceptibles d’être à la fois auteurs et victimes de violence[2];

De même, les personnages non humains de la télévision pour enfants, comme les monstres et les zombies, sont deux fois plus susceptibles d’être des hommes[3].

Les définitions médiatiques de la masculinité recoupent souvent d’autres aspects de l’identité des personnages. L’étude If He Can See It, Will He Be It? a également montré que :

  • les personnages 2SLGBTQINA+ étaient sous-représentés dans les émissions de télévision visant les garçons par rapport à la population américaine ou canadienne;
  • les personnages ayant une incapacité étaient sous-représentés par un facteur de plus de 10;
  • les personnages masculins non blancs étaient encore moins susceptibles de montrer des émotions que les personnages blancs[4]. Selon la psychologue Noelle Hurd, « ce n’est pas seulement le fait d’être Noir qui a été hyper‑stéréotypé de manière négative, mais aussi le fait d’être un homme[5]».

Les stéréotypes commencent tôt et peuvent durer toute une vie : selon la Dre Rebecca Martin, chef intérimaire du département de psychologie de l’Université d’État du Dakota du Sud, les enfants développent des stéréotypes dès l’âge de 2 ans. À 3 ou 4 ans, ils en ont déjà beaucoup et commencent à les exprimer[6]. Dans « Media and the make-believe worlds of boys and girls », Maya Götz et Dafna Lemish notent que, alors que les filles ont tendance à intégrer le contenu médiatique à leur monde imaginaire en « en écartant une partie, en s’en appropriant une autre, et en s’en dissociant », les garçons eux tendent à intégrer les médias tels quels à leur imaginaire: « Ils prennent l’histoire, l’assimilent, et la mènent plus loin : les garçons (…) se créent un monde imaginaire où ils prennent la place de leurs héros et développent une histoire similaire à celle du média original. » [7]

« Les médias renforcent l’idée que les traits et comportements masculins sont plus valorisés que les traits et comportements féminins, et les garçons qui consomment ces messages médiatiques sont plus susceptibles d’afficher des comportements et des croyances masculins[8]. »

Les habitudes des enfants en matière de médias ont un effet manifeste sur leur perception du genre : les enfants qui regardent davantage la télévision sont plus susceptibles d’avoir des opinions stéréotypées sur le genre[9]. Les garçons qui se sentent fortement définis par des stéréotypes masculins sont sept fois plus susceptibles d’être plus violents et six fois plus susceptibles de harceler sexuellement une personne que ceux qui ne le sont pas[10]. Les garçons sont aussi marqués par ces stéréotypes, ceux qui adhèrent aux stéréotypes masculins étant deux fois plus susceptibles d’avoir eu des pensées suicidaires[11], deux fois moins susceptibles de recevoir des soins de santé préventifs[12], et nettement plus susceptibles d’adopter des comportements à risque comme fumer ou consommer beaucoup d’alcool[13]. De même, une enquête menée auprès de plus d’un millier de garçons âgés de 10 à 19 ans a révélé qu’un tiers d’entre eux estiment que la société attend d’eux qu’ils cachent ou répriment leurs sentiments et près de la moitié estiment que la société attend d’eux qu’ils soient agressifs ou violents lorsqu’ils sont en colère[14].

Si l’image des hommes dans les médias se diversifie un peu, les recherches ont montré que la violence, même si elle est aujourd’hui plus souvent utilisée pour protéger les autres, comme dans The Witcher et The Mandalorian, demeure un élément essentiel de la définition de la masculinité dans les médias[15]. L’association entre la masculinité et la violence se reflète également dans le comportement des hommes : une croyance en des définitions étroites de la masculinité, ce que l’on appelle parfois le « modèle masculin », permet de déterminer si un homme sera violent envers les autres[16].

Au-delà des médias de masse, les groupes haineux utilisent les médias réseautés pour rejoindre les garçons et les hommes vulnérables qui « invoquent des problèmes réels auxquels les hommes sont confrontés, comme les accidents de travail, le cancer, la santé mentale et le suicide », mais, comme le dit l’intervenante en matière de lutte contre le sexisme Laura Bates, renforcent « les stéréotypes qui sont en fait la cause de ces problèmes […] et l’idée que les hommes doivent être durs et virils, qu’ils doivent être forts et non vulnérables, qu’ils ne doivent pas partager leurs émotions, que d’exercer un pouvoir et un contrôle sur les femmes et les sociétés signifie en réalité est un vrai homme[17] ».

Alors que bon nombre des problèmes liés à la représentation des genres sont les mêmes pour les filles et les garçons, les impacts peuvent être différents. Comme l’a dit l’auteure et chercheuse Peggy Orenstein, « les filles sont coupées de leur corps et ne comprennent pas la réaction de leur corps, leurs besoins, leurs limites et leurs désirs, un problème central chez elles. Chez les garçons, ils sont plutôt coupés de leur cœur[18]. »


[1] Fyles N. (2018) What about the boys? Educating boys for gender justice. Brookings. https://www.brookings.edu/blog/education-plus-development/2018/06/01/what-about-the-boys-educating-boys-for-gender-justice/ [traduction]

[2] If He Can See It, Will He Be It? Representations of Masculinity in Boys' Television (Rep.). (2020). Geena Davis Institute on Gender in Media.

[3] Meyer, M & Conroy M. (2022) #SeeItBeIt: What Children Are Seeing on TV. The Geena Davis Institute on Gender in Media.

[4] If He Can See It, Will He Be It? Representations of Masculinity in Boys' Television (Rep.). (2020). Geena Davis Institute on Gender in Media.

[5] Badger, E., et al. (2018) Extensive Data Shows Punishing Reach of Racism for Black Boys. The New York Times. [traduction]

[6] Campbell, O. (2017) Why Gender Stereotypes in Kids’ shows are a REALLY big deal. Refinery29. Consulté sur le site : https://www.refinery29.com/en-us/kids-shows-gender-roles-stereotypes

[7] Götz, Maya et Dafna Lemish. Media and the make-believe worlds of boys and girls. Televizion, No. 1, 2008.

[8] Common Sense Media (2017) Watching Gender: How stereotypes in Movies and on TV Impact Kids’ Development. Consulté sur le site : https://www.commonsensemedia.org/research/watching-gender-how-stereotypes-in-movies-and-on-tv-impact-kids-development [traduction]

[9] Halim ML, Ruble DN, Tamis-LeMonda CS. Four-year-olds' beliefs about how others regard males and females. Br J Dev Psychol. 2013;31(Pt 1):128-135. doi:10.1111/j.2044-835X.2012.02084.

[10] Heilman, B., Guerrero-López, C. M., Ragonese, C., Kelberg, M., and Barker, G. (2019). The Cost of the Man Box: A study on the economic impacts of harmful masculine stereotypes in the US, UK, and Mexico - Executive Summary. Washington, DC, and London: Promundo-US and Unilever.

[11] Heilman, B., Guerrero-López, C. M., Ragonese, C., Kelberg, M., et Barker, G. (2019). The Cost of the Man Box: A study on the economic impacts of harmful masculine stereotypes in the US, UK, and Mexico - Executive Summary. Washington, DC, and London: Promundo-US and Unilever.

[12] Springer, Kristen W, et Dawne M Mouzon. “"Macho men" and preventive health care: implications for older men in different social classes.” Journal of health and social behavior vol. 52,2 (2011): 212-27. doi:10.1177/0022146510393972

[13] Mahalik, James R et al. “Masculinity and perceived normative health behaviors as predictors of men's health behaviors.” Social science & medicine (1982) vol. 64,11 (2007): 2201-9. doi:10.1016/j.socscimed.2007.02.035

[14] 10 Research-Based Insights to Evolve On-Screen Male Representation. (n.d.) Center for Scholars & Storytellers.

[15] Cuklanz, L., & Erol, A. (2021). The shifting image of hegemonic masculinity in contemporary television series. International Journal of Communication, 15, 18.

[16] The Men’s Project & Flood, M (2020), Unpacking the Man Box: What is the impact of the Man Box attitudes on young Australian men’s behaviours and wellbeing? Jesuit Social Services: Melbourne

[17] Kelsy-Sugg, A., & Zajac B. (2021) Misogynistic ‘radicalisation’ of boys online has these experts calling for change. Abc News. https://www.abc.net.au/news/2021-04-03/misogyny-anti-women-terrorism-extremist-groups-online/100031678 [traduction]

[18] Gross, Terry. “‘Boys & Sex’ Reveals That Young Men Feel ‘Cut Off From Their Hearts.’” NPR, 7 janvier 2020. Consulté sur le site : <https://www.npr.org/sections/health-shots/2020/01/07/794182826/boys-sex-reveals-that-young-men-feel-cut-off-from-their-hearts> [traduction]