Les formes de privilèges

Des écrivains et des militants pour la justice sociale se sont inspirés de l'essai original sur le privilège rédigé par Peggy McIntosh en 1988. Ils ont souligné que le privilège ne porte pas uniquement sur la race ou le sexe, mais qu'il s'agit d'une série de hiérarchies en corrélation et d'une dynamique du pouvoir qui touchent tous les aspects de la vie sociale : la race, la classe, le sexe, l'orientation sexuelle, la religion, l'éducation, l'identité sexuelle, l'âge, la capacité physique, le passing, etc. Ces catégories sont examinées plus en détail ci-dessous.

En examinant le fonctionnement du privilège, il ne faut pas oublier que le privilège, la discrimination et les groupes sociaux fonctionnent tous selon des hiérarchies en corrélation de pouvoir, de domination et d'exclusion. Une personne étant privilégiée d'une manière ne sera pas nécessairement défavorisée d'une autre manière (et inversement). Il est donc important de connaître les divers groupes auxquels chacun appartient afin de pouvoir remettre en question notre propre participation à un système de discrimination et de privilèges.

Il existe différents types de privilèges, mais peu importe la façon dont les groupes sont divisés, le groupe privilégié est celui qui est généralement considéré comme le niveau de référence par rapport auquel les autres groupes sont jugés ou comparés – il est vu comme le groupe « ordinaire ». Examinons les types de privilèges suivants.

La capacité : le fait d'être valide et sans handicap mental. Les acteurs handicapés se font souvent refuser des rôles, même si ces rôles portent sur des personnages ayant le même handicap. En outre, un acteur tout à fait valide se fera attribuer le rôle d'un personnage handicapé, tandis qu'un acteur handicapé ne se fera presque jamais demander de jouer le rôle d'un personnage valide. Une personne saine d'esprit ne verra jamais son état utilisé comme justification pour un comportement criminel au cinéma ou à la télévision, mais la maladie mentale est souvent présentée dans ce contexte.

La classe : la classe peut être considérée en termes de statut économique et de classe sociale, qui fournissent tous deux des privilèges. La classe sociale peut déterminer l'accès à des possibilités, permettre la participation à la politique et ouvrir plus facilement des portes dans des secteurs particuliers d'enseignement et de formation professionnelle. D'un point de vue social et médiatique, considérez la manière dont les différentes classes sociales sont représentées. Il est également important de noter que la majorité des médias sont créés par une classe sociale spécifique et pour celle-ci. Comment sont décrits certains emplois dans les médias par rapport aux autres ?

L'éducation : l'accès à l'enseignement supérieur comporte en soi un certain nombre de privilèges. Le privilège associé à l'éducation ouvre la voie à de nombreuses carrières comportant une rémunération élevée (ce qui établit un lien avec le privilège associé à la classe sociale). Le privilège associé à l'éducation peut également conférer une crédibilité imméritée à un individu : par exemple, de nombreux animateurs d'émissions de télévision et de radio ajoutent le préfixe « Dr » à leur nom pour suggérer qu'ils peuvent offrir des conseils d'ordre médical ou psychiatrique.

Le sexe : les individus masculins ou s'identifiant au sexe masculin détiennent encore un niveau de privilège par rapport aux autres. Le « patriarcat » est un autre terme pour décrire le fonctionnement systémique du privilège associé aux hommes. Dans les médias, nous voyons encore l'autorité masculine supplanter les autres. Les hommes continuent d'être surreprésentés dans les rôles de leadership et de commentateurs de l'actualité. Les hommes, leurs histoires et leurs points de vue continuent d'être largement surreprésentés dans les jeux vidéo, les films et les émissions de télévision, tant à l'écran qu'en coulisses.

L'identité sexuelle : bien qu'il soit souvent lié au privilège associé à l'orientation sexuelle et au sexe, ce privilège correspond à la manière dont une personne s'identifie et s'exprime en termes sexués, conforme à l'identité qui lui a été attribuée à la naissance et aux attentes sociétales et culturelles d'une telle identité sexuelle. En termes de représentation médiatique, il est extrêmement rare de trouver des représentations d'individus dont l'identité sexuelle n'est pas conforme aux attentes culturelles. Dans les rares cas où de tels personnages sont présentés, leur non-conformité sexuelle est généralement utilisée pour susciter la peur, l'appréhension ou le rire, ou comme effet d'une maladie mentale.

Le passing : le passing est la capacité de sembler appartenir à un autre groupe. La capacité de passing est en soi un privilège, car elle permet à une personne de profiter des avantages d'un groupe privilégié. Dans les médias, le passing est plus accessible à certains groupes que d'autres et certains types de passing sont particulièrement glorifiés : considérons, par exemple, la fréquence à laquelle un homme hétérosexuel, blanc, apte mentalement et physiquement sera félicité pour le « courage » dont il fait preuve pour jouer le rôle d'un homosexuel ou d'une personne avec un handicap mental dans un film ou une émission de télévision. En même temps, nous voyons rarement de distinctions décernées à un allosexuel qui joue le rôle d'un hétérosexuel, et il est très rare qu'une personne ayant une incapacité apparente joue le rôle d'un personnage qui est tout à fait valide. Changer la race d'un personnage pour une adaptation cinématographique ou télévisuelle, rendre blanc un personnage dont l'appartenance ethnique est ambiguë ou non affirmée, rendre noir un personnage, le travesti d’infirme et diverses autres pratiques servent à illustrer la façon dont le passing devient un privilège dans les médias. En considérant qu'à Hollywood 82 % des rôles principaux représentent des personnages de race blanche, nous pouvons voir à quel point le privilège du passing peut être concret.

La race : en Occident, le privilège associé à la race est généralement assimilé à la peau blanche, car le pouvoir, l'argent et l'influence ont tendance à être concentrés parmi les personnes de race blanche en Europe occidentale et en Amérique du Nord. Le privilège associé à la race correspond au racisme institutionnalisé : un système qui est structuré de façon à privilégier un groupe par rapport à d'autres. Dans les médias, la race a son importance pour déterminer les types de personnages et les rôles.

La religion : le privilège associé à la religion est accordé aux membres de la religion dominante d'une culture – dont les pratiques religieuses sont reconnues comme étant la norme. En Amérique du Nord et dans une grande partie de l'Europe, la foi chrétienne est privilégiée par rapport à la plupart des autres. Dans les médias, le privilège associé à la religion se traduit par une normalisation des principes de la foi, tandis que les autres croyances sont souvent représentées comme étant nouvelles, étranges, voire trop mystiques.

La sexualité : le privilège accordé aux hétérosexuels comporte l'hypothèse que tout le monde est hétérosexuel, ce qui force constamment les allosexuels à sortir de l'ombre dans leur vie quotidienne. Dans les médias, nous voyons rarement un personnage principal incarné par un allosexuel, à moins que la sexualité du personnage soit essentielle à l'intrigue. Inversement, les personnages hétérosexuels promulguent leur sexualité en permanence (la présence d'objets, comme une bague de mariage ou des photos d'enfants, et les discussions au sujet du conjoint dans les médias sont des indications de la sexualité d'un personnage, mais celles-ci ne sont pratiquement jamais remarquées par le public. Il en est autrement pour le personnage ayant une relation avec une personne du même sexe.), mais elle passe inaperçue en raison de son statut privilégié. Le privilège associé à la sexualité tient également compte de certaines pratiques sexuelles et des antécédents sexuels – les médias associent souvent la valeur de la femme à son passé sexuel à travers l'hypersexualisation des femmes, mais aussi en établissant un lien entre la valorisation d'une jeune fille et sa chasteté ou le dénigrement public des femmes qui sont sexuellement actives. Ceci relie également le privilège associé à la sexualité à celui associé au sexe.