La représentation de la communauté 2SLGBTQINA+ dans les médias

« Il est révolutionnaire pour toute personne transgenre de choisir d’être vue et d’être visible dans un monde qui nous dit que nous ne devrions pas exister. » – Laverne Cox[1]

Nous voyons aujourd’hui un large éventail d’identités de genre et d’orientations sexuelles, n’étant plus reléguées au royaume des sous-entendus et du silence, représentées à la télévision et dans les films grand public aux côtés des personnes cisgenres. Les membres de la communauté 2SLGBTQINA+ (bispirituels, lesbiens, gais, bisexuels, transgenres, queers, en questionnement, intersexués, non binaires, asexuels et autres) voient leur reflet à l’écran dans une grande variété de rôles. Et pourtant, de nombreux défis subsistent.

Les sections suivantes examineront comment les médias produisent et légitimisent ou délégitimisent les sexualités 2SLGBTQINA+, ainsi que la manière dont les médias s’adressant à la communauté 2SLGBTQINA+ diffèrent de leurs homologues s’adressant aux hétérosexuels. Examinons d’abord le parcours de la critique à l’égard des médias s’adressant à la communauté 2SLGBTQINA+ des 30 dernières années.

La première forme de critique à l’égard des médias s’adressant à la communauté 2SLGBTQINA+ s’est articulée autour d’un modèle minoritaire de politique identitaire. Ce type de critique trouve ses racines dans les mouvements de libération homosexuelle des années 1960 à 1980 et est fortement influencé par les types d’enjeux qui préoccupaient les personnes homosexuelles et lesbiennes à l’époque. Dans le cadre de ce modèle, la critique du modèle minoritaire s’attardait non seulement à la visibilité dans les médias, mais aussi au bon type de visibilité. Cette critique se préoccupait particulièrement des représentations négatives des personnes homosexuelles et lesbiennes en tant que « personnes efféminées », drag queens, lesbiennes masculines et autres groupes qui ne correspondaient pas aux catégories de genres traditionnelles. Ce modèle supposait également une certaine uniformité au sein de la communauté homosexuelle et lesbienne, c’est-à-dire que les membres partageaient des caractéristiques similaires notamment en termes d’expériences, de points de vue, de comportement et de désirs.

Au fil du temps, de nombreuses personnes 2SLGBTQINA+ ont trouvé les premiers modèles de militantisme trop étroits. Elles ont affirmé que le mouvement s’était concentré exclusivement sur les préoccupations de ceux et celles qui étaient principalement des hommes, résolument blancs et majoritairement issus de la classe moyenne. L’assimilation au courant hétérosexuel dominant ciblée par le premier mouvement de libération homosexuelle était également une source de préoccupation. Alors que certains hommes homosexuels pouvaient se faire passer pour des hétérosexuels et être moins « visibles », de nombreuses autres personnes homosexuelles, lesbiennes et transgenres qui, pour diverses raisons, n’entraient pas dans le moule du courant dominant, n’avaient pas le même luxe. Le mouvement avait effectivement réduit au silence les identités différentes, au point où les hommes blancs homosexuels pouvaient se plaindre et agir contre les représentations inadéquates d’eux-mêmes dans les médias grand public, mais d’autres groupes ne pouvaient même pas espérer se voir représentés à la télévision ou au cinéma. Ces critiques ont récupéré le terme péjoratif « queer » pour renforcer l’idée qu’ils étaient tous différents, même s’ils étaient unis dans une lutte collective pour les droits civils.

Au sein de la culture queer, les notions d’identité ont subi un changement radical, passant d’une vision fixe et stable à une vision plus fragmentée et multidimensionnelle. Ainsi, les personnes 2SLGBTQINA+ ne sont pas simplement « queer » : elles peuvent être des hommes ou des femmes, des Blancs, des Asiatiques ou des Noirs, des ouvriers d’usine, des hommes ou des femmes d’affaires ou des chauffeurs de bus, etc. Plutôt que d’affirmer que l’homosexualité est l’opposé binaire de l’hétérosexualité, ce modèle propose que toutes les sexualités et identités de genre soient simplement des points sur un continuum de possibilités.

Dans les sections qui suivent, il devrait devenir évident que, lorsque nous traitons des questions relatives aux médias s’adressant aux personnes 2SLGBTQINA+, nous n’avons pas affaire à une entité monolithique unique, mais plutôt à des identités et à des expériences diverses et variées qui répondent aux représentations médiatiques de différentes manières : ce qu’un groupe peut considérer comme juste, d’autres peuvent considérer que c’est oppressant.

Représentation des personnes 2SLGBTQINA+ dans les médias

De nombreuses controverses sur les représentations négatives de l’homosexualité ont porté sur la manière dont ces représentations marginalisent et réduisent au silence les personnes 2SLGBTQINA+. Dans son ouvrage The Celluloid Closet, Vito Russo analyse la représentation des personnes homosexuelles et lesbiennes dans les films hollywoodiens des années 1890 à 1980 et affirme que la représentation des personnes homosexuelles et lesbiennes par Hollywood a souvent été cruelle et homophobe. Au cours de cette période, les personnages homosexuels et lesbiens étaient définis par leur orientation sexuelle et n’offraient aucun développement complexe. Dans les premières années d’Hollywood, des années 1890 à 1930, l’homosexualité était souvent présentée comme un objet de dérision et de rire. L’archétype de l’« homme efféminé », c’est-à-dire un homme prétentieux et féminin, souvent d’une sensibilité délicate, était populaire à cette époque, et Vito Russo note qu’un tel personnage était une source d’amusement et de réconfort pour le public[2].

Il existe également un certain nombre de métaphores narratives nuisibles dans de nombreuses représentations des personnes 2SLGBTQINA+. La plus importante d’entre elles est celle disant « enterrez vos gais », qui désigne la façon dont les personnages 2SLGBTQINA+ sont éliminés beaucoup plus fréquemment que leurs homologues hétérosexuels dans les médias, un phénomène qui pourrait bien découler de la façon dont les premières représentations ne pouvaient imaginer que des fins tragiques pour les personnes 2SLGBTQINA+, ainsi que de la vague de récits sur le thème du sida qui a fait entrer les personnages queers dans le courant dominant des années 1980 et 1990. Contrairement à d’autres représentations négatives, celle-ci reste courante et compromet considérablement la représentation accrue des personnes 2SLGBTQINA+ dans les médias[3].

Si la visibilité et la représentation des personnages 2SLGBTQINA+ se sont améliorées (p. ex. la série Bojack Horseman de Netflix et la nouvelle version des bandes dessinées Archie contiennent des représentations historiques de personnages asexuels), l’asexualité est toujours associée à l’inhumanité dans des œuvres telles que Harry Potter, Dexter et Sherlock[4]. La visibilité accrue des personnes 2SLGBTQINA+ dans des domaines comme le sport a également entraîné une hausse de la couverture homophobe et transphobe par des organes de presse conservateurs comme Fox News[5].

La distribution de rôles 2SLGBTQINA+ à des acteurs hétérosexuels ou cisgenres est un problème persistant. Bien que ce soit de moins en moins courant, surtout lorsqu’il s’agit de personnages transgenres, le film Moonlight, qui a remporté l’Oscar du meilleur film, la série Transparent de Prime et le film Prom de Netflix ont tous présenté des acteurs hétérosexuels et cisgenres dans des rôles homosexuels ou transgenres. Le journaliste Liam De Brún a souligné que des acteurs hétérosexuels et cisgenres avaient été récompensés pour avoir joué des personnages 2SLGBTQINA+, affirmant que « ce n’est pas courageux de jouer un homme homosexuel parce que vous avez en fait volé le rôle à un membre de la communauté LGBTQ[6] ».

Le « queerbaiting » (littéralement « l’appât à queer »), c’est-à-dire lorsqu’une relation queer est sous‑entendue ou suggérée dans une œuvre médiatique, mais jamais confirmée, est un autre problème particulier de la représentation des personnes 2SLGBTQINA+. Si cette pratique tire son origine dans la réticence historique des studios de cinéma et des chaînes de télévision à représenter ouvertement les relations homosexuelles, elle est devenue, au cours des dernières années, un moyen pour les producteurs de médias de séduire les communautés 2SLGBTQINA+ sans aliéner les publics conservateurs. Dans certains cas, les producteurs ont confirmé le statut « en règle » d’un personnage ou d’une relation après la fin de la production de l’œuvre, comme la relation entre Korra et Asami dans la série animée Legend of Korra[7]. Toutefois, ce type de représentation après coup est, d’une certaine manière, pire que l’illusion puisqu’il renforce l’idée que les relations queers ne peuvent pas être montrées ouvertement.

A panel from the Legend Of Korra comics showing Korra And Asami's first kiss.Bien que The Legend of Korra ait duré quatre saisons, l’orientation sexuelle du personnage principal n’a été révélée que dans une bande dessinée dérivée, trois ans après l’annulation de la série originale.

Impact d’une représentation améliorée

Le « queerbaiting » est problématique, peut-être plus que pour tout autre groupe historiquement sous‑représenté, puisque la représentation accrue et améliorée de la sexualité queer dans les médias a un impact significatif sur les attitudes individuelles et publiques envers les personnes 2SLGBTQINA+[8], ainsi que sur l’opinion que les jeunes queers ont d’eux-mêmes[9]. Au fur et à mesure que la représentation augmente et s’améliore, de plus en plus de personnes se sentent en sécurité pour parler ouvertement de leur identité de genre et de leur orientation sexuelle, même dans des domaines traditionnellement conservateurs comme le sport[10]. Les représentations médiatiques donnent également l’occasion aux jeunes 2SLGBTQINA+ de parler de sexualité queer avec leur famille[11].

 

[1] Jones, S. (2014). « Laverne Cox Is The Woman We've Been Waiting For ». Buzzfeed. Consulté à l’adresse : https://www.buzzfeed.com/saeedjones/laverne-cox-is-the-woman-weve-been-waiting-for. [traduction]

[2] Russo, V. (1981). The Celluloid Closet: Homosexuality in the Movies. New York: Harper and Row.

[3] Hulan, H. (2017). « Bury your gays: History, usage, and context ». McNair Scholars Journal, 21(1), 6.

[4] Chiu, V. (2017). « Why Positive Representations of Asexuals on TV Are So Important ». BuzzFeed. Consulté à l’adresse : https://www.buzzfeed.com/vchiu/why-we-need-better-asexual-characters.

[5] January, B. (2021). « Fox News has aired more segments on trans athletes so far in 2021 than it did in the last two years combined ». Media Matters for America. Consulté à l’adresse : https://www.mediamatters.org/fox-news/fox-news-has-aired-more-segments-trans-athletes-so-far-2021-it-did-last-two-years-combined.

[6] Carras, C. (2020). « James Corden’s performance in ‘The Prom’ condemned as homophobic: ‘It’s not brave’ ». The Los Angeles Times. Consulté à l’adresse : https://www.latimes.com/entertainment-arts/movies/story/2020-12-14/james-corden-the-prom-criticism-twitter. [traduction]

[7] Figa, A. (2015). « In Plain Sight: On the Authenticity of Queer Characters ». Women Write About Comics. Consulté à l’adresse : https://womenwriteaboutcomics.com/2015/06/in-plain-sight-on-the-authenticity-of-queer-characters/.

[8] Gillig, T.K., Rosenthal, E.L., Murphy, S.T., et Folb, K.L. (2018). « More than a media moment: The influence of televised storylines on viewers’ attitudes toward transgender people and policies ». Sex Roles, 78(7), 515-527.

[9] Bond, B.J. (2015). « The mediating role of self-discrepancies in the relationship between media exposure and well-being among lesbian, gay, and bisexual adolescents ». Media Psychology, 18(1), 51-73.

[10] Heroux, D. (2021). « ‘It's powerful to be out': Canadian Olympic couple reflects on LGBTQ representation in sport ». CBC Sports. Consulté à l’adresse : https://www.cbc.ca/sports/pride-month-canadian-olympic-love-story-truly-something-of-which-to-be-proud-1.6047254.

[11] Mares, M.L., Chen, Y.A., et Bond, B.J. (2021). « Mutual Influence in LGBTQ Teens’ Use of Media to Socialize Their Parents ». Media Psychology, 1-28.