Expression des autochtones dans les arts et médias

Le chef métis Louis Riel a prétendument prédit au XIXe siècle : « Mon peuple va s’endormir pour cent ans et ce seront ses artistes qui le réveilleront. » La plupart des groupes autochtones du Canada privilégiaient la tradition orale pour transmettre une idée, un message ou une valeur. 

Cette transmission orale pouvait se faire alors que les langues maternelles étaient encore bien vivantes, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Il était possible de communiquer des informations oralement lorsque les langues traditionnelles étaient encore bien vivantes, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. En 2016, Statistique Canada a indiqué que 40 langues autochtones étaient parlées par 500 personnes ou moins[1].

Certaines nations, comme la Nation huronne-wendate (Québec), collaborent avec les chercheurs universitaires pour revitaliser et réapprendre leur langue maternelle. Traditionnellement, l’écrit n’était pas nécessaire à la survie de la langue. Les histoires transmises par des conteurs extraordinaires pouvaient facilement occuper les longues soirées d’hiver et favoriser la cohésion sociale dans toute la communauté. Comme disaient les Aînés, « écrire quelque chose équivaut à demander la permission de l’oublier ».

La réalité est bien différente aujourd’hui. Les canaux numériques et les satellites, Internet et les réseaux sociaux, la télévision et les consoles de jeux, le télécopieur et le téléphone ont créé de nouvelles relations sociales dans toutes les sociétés, y compris dans les sociétés autochtones. Ces nouvelles relations sociales sont motivées par une recherche de la rapidité et de l’efficacité des communications. Un Cri isolé du nord du Québec peut communiquer et partager son style de vie avec une ou des milliers de personnes vivant à l’autre bout du monde. Armé d’une caméra vidéo, il peut réaliser des entrevues avec les Aînés, enregistrer et conserver pour la postérité leurs récits et leurs histoires. Une forme enregistrée de la communication permet de réaliser ce que l’oral ne peut pas : sauvegarder, protéger et garder vivant une culture qui serait autrement en danger de disparition.

Si, par le passé, les médias de masse ont été considérés comme l’un des principaux responsables de l’érosion des fondements culturels des sociétés autochtones, la possibilité d’utiliser la technologie numérique pour enregistrer, créer et distribuer des médias en fait un outil essentiel pour développer et partager de nouvelles formes d’expression et préserver la langue, la culture et l’identité. Comme l’indique le rapport de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, « la représentation juste et honnête des femmes, des filles et des personnes 2ELGBTQQIA autochtones dans la presse passe par la capacité de leurs peuples à raconter eux-mêmes leurs récits. Ce sont les spécialistes de leur propre existence, et leur savoir doit trouver écho dans les organes d’information[2]. » Dans le cadre de ce processus, les artistes autochtones ont utilisé le cinéma, la musique et d’autres médias pour préserver et promouvoir leur langue et leur culture. SG̲aawaay Ḵ’uuna, un film entièrement tourné en haïda, une langue que moins de 30 locuteurs parlent couramment, est un document puissant sur la culture et la langue de ce peuple qui peut toucher les jeunes d’une manière que les autres médias ne le peuvent pas. Benjamin Young, un consultant sur le film, a dit que « le film est le média le plus précieux que nous ayons, le plus attrayant, un instrument qui fonctionne vraiment. Je pense que pour un jeune, surtout un jeune Haïda, un long métrage dans sa langue confirme son identité et lui donne le pouvoir de s’exprimer[3]. »

Télévision, cinéma et théâtre

C’est durant le dernier quart du XXe siècle que de nombreux Autochtones se sont affirmés en se réappropriant différentes formes d’expression artistique. Ainsi, depuis les années 1970 et dans la continuité de l’affirmation politique des peuples autochtones sur les scènes nationales et internationales, le théâtre, l’écriture, la musique et les productions cinématographiques sont devenus incontournables chez toutes les Premières Nations du Canada et chez les Inuit. Et ce ne sont que quelques exemples de l’extraordinaire vitalité des arts autochtones. Ainsi, au milieu des années 1980, Rez Sisters, de Tomson Highway, et la fondation par Yves Sioui Durand de la troupe Ondinnok marquent l’entrée du théâtre autochtone sur la scène canadienne. Des écrivains autochtones comme Lee Maracle et Richard Wagamese se taillent une place dans le monde férocement compétitif de l’édition. La vitalité des écrivains amérindiens du Québec a été mise en valeur dans un ouvrage récent de Maurizio Gatti (2004). Des maisons d’édition entièrement autochtones, comme Pemmican Books et Theytus Press, font la démonstration que contrôle des médias et grande diffusion vont de pair, alors que des bandes dessinées comme Dakwäkãda Warriors de Cole Paul intègrent la culture et la langue autochtones au roman graphique[4]. Dans les années 1990, des séries à succès de la CBC comme Au nord du 60e et The Rez placent Tom Jackson et Tina Keeper parmi les personnalités du monde de la télévision; aujourd’hui, des acteurs comme Kaniehtiio Horn, de Letterkenny, et Cara Gee, de The Expanse, innovent par l’authenticité et la variété des rôles qu’ils jouent, alors que des séries comme Molly of Denali, Wolf Joe et Coyote’s Crazy Smart Science Show permettent aux jeunes autochtones de se voir représentés à l’écran.

Par ailleurs, le cinéma documentaire devient le moyen d’expression privilégié de plusieurs autochtones. Parmi ces cinéastes, l’une des plus connues internationalement est sans doute Alanis Obomsawin, à qui l’on doit notamment le film Kanehsatake – 270 ans de résistance, sur la crise d’Oka. La fondation en 1990 du festival Présence autochtone de Montréal permet au cinéma autochtone de profiter d’une couverture médiatique appréciable. Une dernière barrière a sauté quand Atanarjuat : La légende de l’homme rapide, un film du réalisateur inuit Zacharias Kunuk, a remporté la Caméra d’or du meilleur premier film au Festival international de Cannes 2001 et connu un grand succès dans les salles de cinéma partout au Canada. Plus récemment, la série de films de la CBC Keep Calm and Decolonize a présenté un mélange de documentaires et de films de fiction réalisés par des artistes autochtones qui répondent à l’appel de Buffy Sainte-Marie à « imaginer de nouvelles voies » à l’occasion du 150e anniversaire de la Confédération[5].

Depuis 2004, le projet Wapikoni Mobile, un projet de studio de cinéma itinérant fondé par Manon Barbeau, permet de rejoindre l’ensemble des jeunes autochtones du Québec en leur permettant de s’initier, à l’aide de formateurs, aux techniques cinématographiques. De même, N’We Jinan, un organisme sans but lucratif de Montréal, montre aux adolescents autochtones à créer leurs propres vidéos et musique[6], alors que le programme Mi’kmaw Radio Rookies montre aux jeunes autochtones de la Nouvelle-Écosse à raconter leurs propres histoires sur support audio[7].

Musique et radio

Heureusement, des chansons « exotiques » comme Halfbreed et Running Bear sont maintenant chose du passé et il appartient désormais aux musiciens autochtones eux-mêmes d’évoquer le quotidien de leur communauté à travers leurs souffrances, mais aussi leurs réussites. Avec l’appui de la Loi sur le contenu canadien (qui stipule qu’au moins 35 pour cent de la musique diffusée par les stations de radio doit être d’origine canadienne), des chanteurs comme Buffy Sainte-Marie, Susan Aglukark ou Florent Vollant ont été applaudis par la critique et largement adoptés par le grand public. Ils ont ainsi contribué à ouvrir la voie à une nouvelle génération de chanteurs et de musiciens autochtones. Le succès d’artistes tels que Tanya Tagaq, A Tribe Called Red et Snotty Nose Rez Kids montre que les musiciens autochtones sont désormais beaucoup plus connus au Canada. Comme le dit un musicien autochtone, « il y a une certaine ouverture à la présence d’artistes autochtones. Il y a 20 ans, les gens nous considéraient comme exotiques et différents, mais aujourd’hui, il y a une plus grande sensibilisation ou volonté d’accepter les artistes autochtones[8]. » La production musicale en milieu autochtone s’apparente bien souvent aujourd’hui à un acte d’engagement social, dans les termes de Guy Sioui Durand, qui s’exprime moins par des questions et réflexions ouvertement politiques, mais bien plus par des discours d’espoir véhiculés par les jeunes.[9]

Les réseaux de radio autochtones, le Réseau de télévision des peuples autochtones APTN, (présent depuis 1999 dans les stations de base du câble), les sites internet Inui Tapiriit Kanatami (ITK) ou Isuma.tv contribuent tous à permettre aux peuples autochtones de communier dans leur culture et de se raconter aux autres.

Médias numériques

Le magazine en ligne Premières Nations se veut un moyen d’expression par internet et une vitrine sur le monde des Premières nations. Terres en vues consacre une page entière sur les arts visuels autochtones. Par ailleurs, le site Native Drums est un bel hommage à la musique du tambour. Le site Tekarep est quant à lui un hommage et un portrait de la musique de l’une des 10 Premières Nations du Québec, les Atikamekw.

Les médias sociaux sont également devenus un moyen inestimable pour les Autochtones de partager directement leurs expériences, de se connecter et de se rassembler pour des actions sociales[10], comme l’a montré le succès de la campagne #IdleNoMore, qui a permis d’attirer l’attention des médias grand public et de placer les questions autochtones au centre du débat national[11]. Jolene Marr, une pêcheuse micmaque qui a utilisé Facebook pour partager des vidéos où elle filmait des incidents de racisme et de harcèlement de la part de pêcheurs non autochtones, a déclaré que « dans le passé, les médias nous ont fait du tort. Toute la vérité n’a pas été dite. Seuls des morceaux de l’histoire ont été racontés. Ces vidéos permettent de faire la lumière sur la vérité réelle. Les médias sociaux ont été un cadeau du ciel[12]. » Les réseaux sociaux peuvent également servir à diffuser les arts et la culture autochtones, comme le fait l’artiste inuite Shina Novalinga dans ses vidéos de chant guttural sur TikTok. À son avis, « les Autochtones doivent être davantage représentés puisque pendant des années, la culture autochtone a été déformée et oubliée. Nous utilisons maintenant nos voix sur la plateforme et je pense que c’est extraordinaire de pouvoir trouver une communauté qui se soutient mutuellement. Tout le monde devrait accepter sa culture et ne pas avoir peur de faire de la sensibilisation[13]. »

C’est pourquoi, tout en réalisant que les médias sociaux ont leurs inconvénients, notamment les risques de harcèlement et d’exposition à des contenus haineux, le rapport de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées a conclu que « les médias sociaux peuvent permettre de réduire l’omniprésence des stéréotypes sexistes et racistes qui affligent les femmes, les filles et les personnes 2ELGBTQQIA en permettant aux peuples autochtones de faire connaître leur version des faits[14] ». Des sites Web comme Turning Point offrent également des espaces virtuels où les peuples autochtones et non autochtones du Canada peuvent se réunir et communiquer. Plus récemment, le codeur autochtone Alejandro Mayoral Baños a créé l’application Indigenous Friends, laquelle vise à créer un espace de rencontre pour les jeunes autochtones qui se sentent isolés lorsqu’ils sont loin de leur communauté.

Si la participation des Autochtones à l’industrie du jeu vidéo est traditionnellement faible, la situation commence à changer. Des créateurs autochtones ont créé de divers jeux comme Mikan, une version numérique du traditionnel « jeu du mocassin », ou encore le jeu de tir à la première personne Otsi: Rise of the Kanien'keha:ka Legends[15]. Les joueurs autochtones ont également fait des percées dans la communauté des jeux en ligne grâce à des chaînes comme Moose Tree Gaming de Jon-Ross Merasty-Moose, et Marmar Gaming de Marlon Weekusk, qui intègrent la culture et les points de vue autochtones à un média qui, bien que très populaire auprès des jeunes autochtones, a traditionnellement une faible représentation autochtone[16].

 

[1] Statistique Canada. (2017) « Recensement en bref : Les langues autochtones des Premières Nations, des Métis et des Inuits ». Consulté sur le site https://www12.statcan.gc.ca/census-recensement/2016/as-sa/98-200-x/2016022/98-200-x2016022-fra.cfm

[2] Final Report. (2019) National Inquiry into Missing and Murdered Indigenous Women and Girls. Consulté sur le site https://www.mmiwg-ffada.ca/wp-content/uploads/2019/06/Final_Report_Vol_1a-1.pdf

[3] NoiceCat, J.B. (2019) « Can film save Indigenous languages? » The New Yorker. Consulté sur le site https://www.newyorker.com/culture/culture-desk/can-film-save-indigenous-languages [traduction]

[4] Ahtone, T. (2018) « Indigenous comics push back against hackneyed stereotypes. » High Country News. Consulté sur le site https://www.hcn.org/issues/50.22/tribal-affairs-indigenous-comics-push-back-against-hackneyed-stereotypes

[5] CBC Gem. (2017) Keep Calm and Decolonize. CBC. Consulté sur le site https://gem.cbc.ca/season/keep-calm-and-decolonize/season-1/36c05dc6-138a-4b7c-a987-5313a9c498ba?cmp=sch-decolonize

[6] CBC News. (2017) « Making music video with teens in Indigenous communities helps plan ‘seed of confidence.’ » CBC. Consulté sur le site https://www.cbc.ca/news/canada/manitoba/manitoba-garden-hill-music-1.4000524

[7] Woodgate, M. (2016) « App project to help Indigenous youth record and share their stories. » CBC. Consulté sur le site https://www.cbc.ca/news/canada/nova-scotia/app-storycorps-indigenous-youth-record-1.3674948

[8] (2019) National Indigenous Music Study. APTN/NVision Insight. Consulté sur le site https://corporate.aptn.ca/wp-content/uploads/2021/01/APTN_NIMIS_Report_ENG-UPDATE.pdf [traduction]

[9] Audet, Véronique. (2005) « Les chansons et musiques populaires innues: contexte, signification et pouvoir dans les expériences sociales de jeunes Innus, » Recherches amérindiennes au Québec, 35:3, 31-38.

[10] Fallon Andy (Anishinaabe, Couchiching First Nation). (2019) Testimony to the National Inquiry into Missing and Murdered Indigenous Women and Girls.

[11] Rice, W. (2013) « Indigenous journalists need apply: #IdleNoMore and the #MSM. » Canadian Media Guild. Consulté sur le site https://www.cmg.ca/en/2013/01/29/indigenous-journalists-need-apply-idlenomore-and-the-msm/             

[12] Bascaramurty, D. (2020) « Power at their fingertips: Indigenous people turn to social media to expose injustice. » The Globe and Mail. Consulté sur le site https://www.theglobeandmail.com/canada/article-power-at-their-fingertips-indigenous-people-turn-to-social-media-to/ [traduction]

[13] Allaire, C. (2020) « This Inuk Throat Singer is Bringing Cultural Pride to TikTok. » Vogue. Consulté sur le site [traduction]

[14] Final Report. (2019) National Inquiry into Missing and Murdered Indigenous Women and Girls. Consulté sur le site https://www.mmiwg-ffada.ca/wp-content/uploads/2019/06/Final_Report_Vol_1a-1.pdf [traduction]

[15] Lapensée, E. (2017) « Video games encourage indigenous culture. » The Conversation. Consulté sur le site https://www.vogue.com/article/shina-novalinga-indigenous-inuk-throat-singer-tiktok  ttps://theconversation.com/video-games-encourage-indigenous-cultural-expression-74138

[16] Monkman, L. (2020) « Cree video game streamers create space for Indigenous gaming community. » CBC. https://www.cbc.ca/news/indigenous/cree-video-game-streamers-1.5834861