Jeux de hasard : aperçu
Les jeunes qui jouent à des jeux de hasard sont plus susceptibles que les adultes d’avoir des problèmes de jeu[1]. Environ 4 à 6 % des élèves canadiens du secondaire ont une dépendance au jeu et 10 à 14 % risquent d’en développer une, ce qui signifie qu’ils montrent déjà des signes de perte de contrôle sur leur comportement en matière de jeu[2]. Une étude réalisée en 2020 révèle que près du tiers des élèves ontariens de la 7e à la 12e année avaient joué à des jeux de hasard au moins une fois au cours de la dernière année[3], et une autre réalisée un an plus tard indique qu’un jeune sur six avait joué avec de l’argent réel[4]. Depuis, les jeux d’argent en ligne sont devenus plus facilement accessibles au Canada : les paris sportifs individuels ont été légalisés à l’échelle fédérale en 2021[5], alors que l’Ontario a créé l’entité Jeux en ligne Ontario en 2022 pour octroyer des licences aux exploitants de jeux d’argent en ligne[6].
Les jeunes se tournent de plus en plus vers les jeux de hasard sur Internet, lieu anonyme et pratique. Les recherches de HabiloMédias ont révélé qu’environ un jeune Canadien sur cinq joue au casino ou à des jeux d’argent en ligne[7]. Même s’ils ne recherchent pas des sites de jeux de hasard, les jeunes peuvent voir des publicités sur ce type de sites en ligne. Les sites de jeux d’argent montrent des publicités aux personnes qui s’intéressent aux sports ou qui suivent les comptes de médias sociaux d’équipes sportives ou d’athlètes[8]. Elles les présentent comme des jeux amusants, sociaux et sans risque[9], et peuvent être très efficaces : 4 jeunes sur 10 disent que les publicités sur les jeux de hasard leur donnent le goût de les essayer[10], et la fréquence à laquelle ils voient ces publicités est directement liée à leur intérêt pour les jeux de hasard[11]. Une fois qu’une personne commence à jouer en ligne, les entreprises de jeux d’argent utilisent ses données personnelles, à la fois celles qu’elles recueillent pendant que le joueur utilise l’application ou le site et celles qu’elles ont achetées à des courtiers en données, pour déterminer la valeur de l’utilisateur qu’il est susceptible de devenir et le fidéliser. Ravi Naik, un avocat ayant intenté des poursuites contre des sites de jeux d’argent en ligne, estime que les sites « détectent vos habitudes de jeu, vos goûts, vos habitudes de consommation et votre exposition au risque. Ils recueillent des renseignements sur vous pour vous envoyer du contenu ciblé[12]. » Les données recueillies sont également utilisées pour identifier les joueurs qui dépensent beaucoup et les inviter à s’inscrire aux programmes de privilèges, lesquels existent principalement pour empêcher les joueurs de quitter le site lorsqu’ils perdent de l’argent. Comme l’a dit un spécialiste de l’industrie, « presque tous les participants à un programme de privilèges sont des perdants[13] ».
« Si vous possédez un téléphone intelligent, vous avez accès à toutes sortes de jeux d’argent au bout de vos doigts. » – Ashley Own, NYC Problem Gambling Resource Center[14]
Mais les jeunes n’ont pas besoin d’argent pour jouer en ligne et dès le jeune âge, ils apprennent que le jeu de hasard sur Internet est une activité amusante et inoffensive. Les sites populaires comme Twitch et TikTok offrent du contenu sur les jeux d’argent, comme des diffusions en direct ou des conseils sur les paris[15].
Plusieurs applications offrent aux jeunes l’option de jouer des jeux de hasard comme au casino, tels que les machines à sous et le blackjack, sans qu’ils aient à se servir d’argent – tout en affichant les gains et les pertes en dollars. Ce type de sites et d’applications, appelés « jeux en accès gratuit » ou « jeux de casino social », enseignent aux jeunes à jouer, en brouillant la frontière entre l’argent réel et virtuel[16], espérant qu’ils seront plus portés à aller sur les sites qui utilisent de l’argent lorsqu’ils seront en possession d’une carte de crédit. Puisque vous ne pouvez pas gagner d’argent, ces sites ne sont pas considérés comme des jeux d’argent, mais ils peuvent coûter de l’argent aux utilisateurs, même des dizaines des milliers de dollars dans certains cas, en faisant payer des jetons supplémentaires et en offrant une adhésion à des clubs en ligne exclusifs aux plus gros joueurs[17]. Dans plusieurs cas, on constate que le taux de succès sur ces sites « d’entraînement » est plus élevé que sur les sites où il faut payer, ce qui est un moyen très efficace d’encourager les jeunes joueurs : un joueur sur quatre qui fréquente des sites de jeux de hasard gratuits va ensuite jouer à de vrais jeux de hasard en ligne[18].
L’exposition aux jeux d’argent commence très tôt en ligne. Les trois quarts des jeunes Canadiens font des achats intégrés aux jeux ou aux applications au moins une fois par année[19]. Parmi les achats les plus populaires des jeux vidéo, on compte les « coffres aux trésors », des articles intégrés aux jeux que les joueurs peuvent acheter au moyen d’argent réel et qui donnent des récompenses aléatoires, comme de nouvelles armes, de nouveaux pouvoirs ou des changements esthétiques pour les personnages[20]. Les coffres aux trésors ne sont pas tout à fait la même chose que les jeux de hasard : les joueurs obtiennent toujours quelque chose pour leur argent, bien que la valeur de ce qu’ils obtiennent puisse varier, mais en faire l’achat revient presque au même que de s’adonner aux jeux de hasard sur le plan psychologique[21] et des données probantes démontrent que leur achat est lié à un problème de jeu[22]. Comme l’a dit Luke Clark, directeur du Centre of Gambling Research de l’Université de la Colombie‑Britannique : « Nous pouvons voir une migration claire, c’est-à-dire que les personnes qui dépensent plus pour les coffres aux trésors sont plus susceptibles de commencer à jouer à des jeux d’argent[23]. »
Comme pour les jeux de casino social, les recherches ont montré que les objets que contiennent les coffres aux trésors n’ont pas besoin d’avoir une valeur en dehors du jeu pour encourager les problèmes de jeu[24]. Si certains jeux très médiatisés comme Fortnite ont cessé de proposer des coffres aux trésors, bon nombre de jeux vidéo, en particulier les jeux gratuits qui dominent les jeux mobiles, offrent encore des fonctionnalités similaires. Ils sont répartis dans deux catégories générales : les jeux « payer pour gagner », qui offrent la possibilité d’acheter un avantage que les concurrents n’ont pas, et les jeux « payer pour s’intégrer », qui poussent les utilisateurs à acheter des objets cosmétiques comme des personnalisations (communément appelés « skins » en anglais) pour ne pas se sentir exclus[25]. Comme pour les jeux d’argent, ces jeux tirent la majorité de leurs revenus des joueurs qui dépensent beaucoup : la moitié de l’argent dépensé sur les coffres aux trésors provient de seulement 5 % des joueurs[26]. Par conséquent, ils subissent la même pression que celles exercées par les applications de jeux d’argent pour que les « gros joueurs » reviennent, et utilisent des « incitatifs » comme l’ancrage des prix, la rareté artificielle et les coûts cachés pour encourager les joueurs à acheter[27].
Les chercheurs ont suggéré quatre façons de modifier les coffres aux trésors pour réduire leur impact négatif :
- expliquer clairement quelles sont les chances de recevoir chaque objet possible et s’assurer que les chances sont constantes. Les deux tiers des jeux utilisent un « décompte de pitié » qui rend les récompenses initialement rares de plus en plus probables au fur et à mesure que les joueurs achètent des coffres aux trésors, poussant ainsi les joueurs à dépenser davantage pour augmenter leurs chances d’obtenir les récompenses les plus rares;
- réduire le nombre d’objets qu’il est possible de gagner. Bon nombre de coffres aux trésors contiennent 80 récompenses possibles ou plus : il est alors presque impossible pour les joueurs de calculer leur valeur probable. Les chercheurs recommandent d’en limiter le nombre à 25;
- faire en sorte que chaque objet ait la même probabilité d’être gagné, plutôt que d’avoir des récompenses plus ou moins rares;
- faire en sorte qu’il soit impossible d’obtenir le même objet plus d’une fois afin que les joueurs ne se sentent pas obligés de « partir à la chasse » de la récompense spécifique qu’ils désirent[28].
Les coffres aux trésors ne sont pas le seul élément des jeux vidéo qui s’apparente à un jeu d’argent. Roblox, une plateforme de création de jeux qui arrive en huitième position des applications ou des sites Web les plus populaires auprès des jeunes Canadiens (et au quatrième rang chez les jeunes de la 4e à la 6e année)[29], a été poursuivie en justice en 2023 pour avoir autorisé les jeux d’argent sur des sites tiers en utilisant sa monnaie de jeu Robux[30]. Les « skins » (la présentation graphique personnalisable des personnages) des jeux vidéo sont également utilisées pour les jeux d’argent : au moins un demi-million d’enfants au Royaume-Uni auraient joué à ces jeux[31]. D’autres jeux proposent des « paris de jetons » dans lesquels les joueurs parient ou gagnent des points qui peuvent être échangés contre des récompenses dans le jeu[32].
Le jeu en ligne est difficile à réglementer en raison des lois qui varient d’un pays et d’une province à l’autre. Certains pays, comme la Belgique, ont interdit la vente de coffres aux trésors dans les jeux vidéo, alors que d’autres pays ont adopté une approche axée sur la sensibilisation au problème. Au Canada, les coffres aux trésors et les autres caractéristiques qui s’apparentent à des jeux d’argent ne sont actuellement pas réglementés à l’échelle fédérale ou provinciale[33]. L’Entertainment Software Rating Board indique désormais si un jeu comporte des achats en cours de partie et si ceux-ci incluent ou non des éléments aléatoires comme des coffres aux trésors, mais le classement global du jeu n’en est pas pour autant affecté[34].
Les jeunes peuvent aussi être exposés au jeu dans les médias traditionnels, comme les tournois de poker télévisés. En les regardant, les téléspectateurs sont alors plus réceptifs aux publicités sur les jeux de hasard[35]. Le jeu est aussi associé aux sports : en Australie, 3 enfants sur 4 âgés de 8 à 16 ans qui regardent des émissions de sports peuvent nommer au moins une entreprise de paris sportifs[36]. Les paris sportifs individuels étant désormais légaux au Canada, des équipes et des ligues canadiennes comme TSN[37], les Blue Jays de Toronto et la LNH ont conclu des partenariats avec des entreprises de paris[38]. La hausse des sports électroniques, c’est-à-dire des compétitions professionnelles de jeux vidéo extrêmement populaires auprès des jeunes garçons, a entraîné la création d’une industrie du jeu qui leur est propre. Les revenus en découlant devraient atteindre 10 milliards de dollars américains en 2020[39].
« J’adore regarder le sport, mais aujourd’hui, à la télévision, j’ai l’impression d’être dans un casino[40]. »
– Bruce Kidd, ancien athlète olympique
Les jeunes sont également de plus en plus exposés aux jeux d’argent : des influenceurs, des musiciens comme Drake et des acteurs comme Jamie Foxx soutiennent des marques ou jouent publiquement à des jeux d’argent[41], et les diffusions en direct de joueurs se classent fréquemment dans le premier pour cent sur Twitch[42]. La Commission des alcools et des jeux de l’Ontario a pris des mesures pour interdire aux athlètes, aux influenceurs et aux autres « célébrités qui attirent vraisemblablement les personnes mineures » de faire de la publicité pour les jeux en ligne à partir de février 2024, mais cette mesure ne s’appliquera qu’aux entreprises de jeux en ligne titulaires d’une licence de Jeux en ligne Ontario[43]. Il a été prouvé qu’une plus grande exposition aux jeux d’argent rend les jeunes plus susceptibles de s’y adonner[44] et les fait passer pour une activité normale[45]. Cette normalisation du jeu, ainsi que l’exposition aux publicités pour les jeux d’argent, la perception que leurs pairs jouent, et la perception que le gain est lié à l’habileté plutôt qu’au hasard, contribue à ce que les jeunes considèrent les jeux d’argent comme étant moins risqués[46].
En mai 2012, la Société canadienne de pédiatrie a publié un énoncé de politique sur les jeux de hasard chez les enfants et les adolescents.
Ses recommandations incluent les suivantes :
- les médecins et les fournisseurs de soins de santé devraient procéder au dépistage des problèmes liés aux jeux de hasard, ainsi que du risque de dépression et de suicide chez les adolescents qui ont déjà un problème de jeu;
- les parents devraient connaître les signes de problèmes de jeu et surveiller les activités en ligne de leurs enfants ainsi que leurs habitudes de jeu.
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[14] Strachan, M. (2022) The Rise of Mobile Gambling Is Leaving People Ruined and Unable to Quit. Motherboard. https://www.vice.com/en/article/ake7gk/the-rise-of-mobile-gambling-is-leaving-people-ruined-and-unable-to-quit
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[19] Brisson-Boivin et al. (2022) Young Canadians in a Wireless World, Phase IV: Life Online.
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[21] Drummond, A. & Dauer, J.D. (2018). Video game loot boxes are psychologically akin to gambling. Nature human behavior 2(8): 530 – 532.
[22] Zendle, D., Cairns, P., Barnett, H., & Mccall, C. (2020). Paying for loot boxes is linked to problem gambling, regardless of specific features like cash-out and pay-to-win. Computers in Human Behavior, 102, 181–191. doi: 10.1016/j.chb.2019.07.003
[23] Little, S., & Bala J. (2023) “UBC research draws new links between video game loot boxes and gambling.” Global News. https://globalnews.ca/news/9535007/loot-boxes-gambling-research/ [traduction]
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[29] MediaSmarts. (2022). “Young Canadians in a Wireless World, Phase IV: Life Online.” MediaSmarts. Ottawa.
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[31] Parent Zone. (2018). Skin gambling: teenage Britain’s secret habit.
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[37] Ralph, D. (2022) Ontario’s online gambling market launches today. CTV News. Retrieved from https://toronto.ctvnews.ca/ontario-s-online-gambling-market-launches-today-1.5847087
[38] Hill, D. (2022) Single-game sports gambling is a risky bet for Canadians. The Globe and Mail. Retrieved from https://www.theglobeandmail.com/opinion/article-single-game-sports-betting/
[39] Griffiths, M. (2017). The psychosocial impact of gambling in virtual reality. Casino & Gambling International, 29: 51 – 54.
[40] Quoted in Otis, D. (2023) “Are sports betting ads getting out of control in Canada? Experts weigh in.” CTV News. https://www.ctvnews.ca/sports/are-sports-betting-ads-getting-out-of-control-in-canada-experts-weigh-in-1.6399493 [traduction]
[41] Konnert, S. (2022) “Who loses as online betting takes over sports?” The Walrus.
[42] Little, S., & Bala J. (2023) “UBC research draws new links between video game loot boxes and gambling.” Global News. https://globalnews.ca/news/9535007/loot-boxes-gambling-research/
[43] Alcohol and Gaming Commission of Ontario. (2023) AGCO to ban athletes in Ontario’s igaming advertising to protect minors. AGCO Blog. https://www.agco.ca/blog/lottery-and-gaming/aug-2023/agco-ban-athletes-ontarios-igaming-advertising-protect-minors
[44] McGrane, E., Wardle, H., Clowes, M., Blank, L., Pryce, R., Field, M., ... & Goyder, E. (2023). What is the evidence that advertising policies could have an impact on gambling-related harms? A systematic umbrella review of the literature. Public Health.
[45] Thomas, S., McCarthy, S., Pitt, H., Marko, S., Cowlishaw, S., Randle, M., & Daube, M. (2023). “It is always there in your face.” Australian young people discuss exposure to gambling activities and promotions. SSM-Qualitative Research in Health, 3, 100220.
[46] Nyemcsok, C., Pitt, H., Kremer, P., & Thomas, S. L. (2022). Young men’s perceptions about the risks associated with sports betting: a critical qualitative inquiry. BMC Public Health, 22(1), 867.